• Débacle Allemande St-SYMPHORIEN-de-LAY : LES VELOS CREVES

     
     

     

    Débâcle Allemande : Saint-Symphorien-de-Lay : les vélos crevés

     

    Lundi 21 août 1944 :

    La libération approche ? les allemands quittent Roanne et se dirigent vers Lyon.

    Le matin à 10 h, messe des funérailles de Raymond Roberton et André Vacheron (assassinés tout les deux dans la malheureuse attaque de Neaux), l’assistance déborde sur le parvis de l’église. A la sortie quelqu’un me signale qu’une colonne allemande monte de Roanne, les premiers éléments seraient à Neaux ; les maquisards venus pour assister à l’inhumation de Roberton, sont près du cimetière de Saint-Symphorien. Je me place sur la route n° 7 entre la route de la Tête-Noire et celle du cimetière, pendant que passe le cortège funéraire. Arrivé au cimetière, à la vue des maquisards, certains prennent peur et rentrent précipite ment chez eux.

     

    L’après-midi : vers 16 h, les premiers éléments d’une colonne à pied, comprenant deux ou trois automobile légères, un train d’équipage hippomobiles, quelques soldats munis de bicyclettes commencent à se répandre dans le bourg de Saint-Symphorien.

     

    Ils ont deux objectifs : boire et, pour ceux qui sont à pied découvrir une bicyclette chez les habitants du bourg. Chacun s’ingénie à camoufler sa bicyclette.

    Vers 18 h, deux jeunes gens, imaginent de semer des clous sur la route n°7, depuis le carrefour de la route de Régny jusqu’à la « maison des casernes ».

    Inutile de décrire les résultats, un grand nombre de pneus sont percés.

     

    Vers 20 h, les Allemands réagissent, ils font appeler M. Bal et le somment de désigner 20 otages, de fournir 25 bicyclettes et de faire préparer 25 repas. Il lui donne 20 minutes de délai, sinon tous les hommes de 18 à 35 ans seront pris et le village saccagé et pillé.

     

    C’est la panique beaucoup se sauvent dans toutes les directions. Je suis dans le chemin qui conduit à l’école privée de garçons, en compagnie de frère Maurin et de MM. Jean Deux et Matha. Nous entendons Mme Dumas criant Félix (c’est le prénom de son mari) à tous les échos ; c’est elle qui nous renseigne sur ce qui se passe. Je pars immédiatement aux informations. Apercevant M. Gouget secrétaire de mairie, au carrefour de la route de Régny, je me dirige vers lui. Il est plus mort que vif, mais résigné. Il demande à M. Duprè, adjoint, en arrêt sur le pas de sa porte de le suivre pour être otage. Avec M. Gouget, je descends vers le bas du bourg où se trouent les Allemands ; en peu de mot il m’expose la situation.

     

    Devant la maison de M. le Maire, des femmes crient, gesticulent et parlent toutes à la fois. M. et Mme Bal me demandent l’absolution, ils sont prêts à se  sacrifier à la place de tous. Je leur dis simplement : « je vais voir ».

     

    Deus sentinelles postées à la hauteur du café Perraud m’arrêtent. Par gestes et dans un allemand (petit nègre) je leur fais comprendre que je veux parler aux officier ; ils me laissent passer.

     

    Sur le pont du chemin de fer, une automobile se prépare à partir, un lieutenant est là ; je me présente, il me désigne un groupe d’officiers. Ceux-ci sont assis sur des bancs placés contre le mur du jardin de M. Chabat, à l’angle du chemin de la Croix de fer et de la route n° 7. Ils appellent, pour traduire, deux femmes qui voyagent avec eux. Simulant l’ignorance, je demande le motif d’une telle sanction ?

    • Réponse : les clous semés sur la route.
    • Je leur fais remarquer que les auteurs sont peut-être des maquisards.
    •  Réponse : Nous n’en avons pas vu.
    • La sanction n’est pas en rapport avec la faute commise

    Ils ne veulent rien savoir.

    • Que voulez-vous faire des otages ?
    • Réponse : Nous verrons !
    • Il n’y a pas de nous verrons que voulez-vous faire ?
    • Réponse : Arbeitz !!!
    • Quel travail ?
    • Réponse : Nous verrons !
    • Il n’y a pas de nous verrons, quel travail ?
    • Réponse : Nous leur ferrons réparer les bicyclettes.

    Connaissant la psychologie des militaires allemands (expérimentée en captivité), leur sens de la discipline et de l’honneur, je tente ma chance audacieusement :

    • Me donnez-vous votre parole d’honneur qu’ils ne seront pas fusillés ?
    • Réponse : Nous ne sommes pas des barbares !!!
    • A cette condition je vais voir.

    Je retourne auprès de M. Bal.

    Cinquante bicyclettes au moins sont déjà là ; je garde les plus usagers et fais évacuer les autres. J’explique rapidement le résultat de ma démarche et demande aux femmes présentes d’aller recruter des volontaires. M. le curé Sicre arrive demandant quelle est la dernière invention de son vicaire. Je l’invite à rentrer à la cure, à me laisser agir et de ne pas s’inquiéter, l’émotion et la tension sont trop grandes pour un homme atteint d’angine de poitrine.

     

    Je retourne vers les officiers, je m’inscris comme premier otage (ceci semble les gêner) arrivent ensuite Lucien Combe, Marius Bonnepart et son fils Georges, Gouget, Jacquier ingénieur des ponts et chaussées. Les Allemands s’impatientent. Je fais remarquer que les notables sont tous là. Un sous-officier de haute taille, l’air farouche, hurle : cinq minutes bled caput ! Je réclame trente minutes ! Il me montre les maisons les plus proches où il a vu trois messieurs. Je réponds par une mimique de gestes indiquant une peur épouvantable et une fuite rapide ; les officiers éclatent de rire. Je profite de l’occasion pour parler plus fort disant : « j’ai été prisonnier, je n’ai peur de rien, vous voulez-nous faire trembler » (la traductrice ne traduit pas les derniers mots). Là se termine la discussion.

     

    Les otages arrivent lentement. Voici les noms : abbé Henri Lacroix, vicaire, Combe Lucien, maçon ; Bonnepart Marius, boucher ; Bonnepart Georges, cordonnier ; Goujet, secrétaire de mairie : Jacquier ; Veron retraité SNCF ; abbé Jean Vignon, vicaire à la paroisse des Etats-Unis à Lyon en vacances à Saint-Symphorien ; Lacroix, carrier ; Combe, cafetier ; Allègre, beau-frère de Combe, en vacances à Saint-Symphorien ; Fonlupt, carrier, Gérard, gendarme ; Louis Mignard, lainage ; Jean Bouchard, ouvrier chez Vignon ; Jean Duret, bourrelier ; Joseph Désormière, sabotier, Jean Cortay, hôtelier ; Roche employé à la laiterie ; Robert, industriel.

     

    Les otages rassemblés M. Bal peut s’en aller. Jean Cortay est désigné pour aller préparer 25 repas à son hôtel. Je demande de former une équipe pour les bicyclettes, je prends Louis Mignard, Jean Bouchard, Lucien Combe, l’abbé Jean Vignon, Roche, Jean Duret. Escortés par des gardiens, nous allons chez Brossat, marchand de cycles. J’avais toujours un peu peur d’in incident causé par un irresponsable, de fait un jeune maquisard fut dissuadé, à Lay par M. André Vignon.

     

    Les officiers se rendent à l’hôtel Jean Cortay pour prendre leur repas ; à la porte deux hommes armés, l’un d’entre-deux avec un fusil mitrailleur.

     

    Mardi 22 août 1944 : Fête de Saint-Symphorien, martyr à Autun

     

    A 1 h 15, les bicyclettes étant réparées, nous retournons vers le point de rassemblement, en compagnie de tous les officiers allemands qui ont terminé leur repas. Parmi les officier, un lieutenant parle français ; je lui explique :

         - Un bicyclette possédant un pédalier spécial n’a pu être réparée.

    Il traduit immédiatement. Je continue :

    • Toute satisfaction vous a été donnée, je demande la libération des otages. Pour éviter toute difficulté lors du départ, veuillez bien passer sur les trottoirs, dans la traversée de l’agglomération.

    Des ordres sont transmis, nous pouvons repartir ; notre groupe est accompagné par un adjudant-chef jusqu’au poste de garde toujours posté vers le café Perraud.

     

    A la cure je rassure M. le curé Sivre et l’abbé Nandav (celui-ci, ancien vicaire de St-Symphorien, avait été retrouvé sous les décombres de l’église St-François, à Saint-Etienne, lors du bombardement du mois de mai précédent et se ressentait de la forte commotion éprouvée. Il était venu ici pour être au calme ; il tombait très mal en l’occurrence). M. le curé Sicre conclut : « Saint-Symphorien nous devait bien cette protection au jour de sa fête ».

    Je prends quelques moments de repos allongé sur mon lit. A 6 h je vais avertir les Allemands que je vais sonner l’Angélus (de crainte qu’ils n’imaginent la sonnerie comme un signal donné contre eux). Je trouve la colonne rassemblée, elle comprend environ 1 000 hommes, et occupe les trottoirs, suivant ce qui avait été décidé dans le courant de la nuit. Des femmes balayent la rue. Mme Désormière m’apprend que les Allemands ont réquisitionné trois chevaux, trois voitures et trois conducteurs. M. joseph Désormière (sabotier), déjà volontaire, a encore accepté de conduire le cheval de M. Cherpin, de Gand, M. Symphorien Dépierre et M. Cruzille. Je pars sonner l’Angélus et célébrer la messe. Je reviens sur la route N°7, les Allemands sont toujours là, un silence pesant régne dans le bourg. J’ai hâte de les voir s’éloigner, car je redoute toujours le moindre incident. Je profite de ce temps pour aller m’entretenir avec les trois conducteurs répartis le long de la colonne, leur recommandant de réclamer, dès le sommet du Pin-Bouchin, leur mise en liberté.

     

    La colonne se met enfin en marche vers 9 h 30 ; c’est un soulagement général, bien que l’anxiété demeure pour nos trois conducteurs. (Ceux-ci pourront finalement rentrer en fin d’après-midi)

                                 H. LACROIX  Vicaire à St-Symphorien-de-Lay en 1944

     

    Nota : Monsieur et Mme Bal furent dans l’équipe des fondateurs de notre association ; madame Bal est décédée il y a quelques années, âgée de plus de 100 ans. Elle est considérée comme notre marraine car c’est elle qui trouva notre nom : « Les Chemins du Passé ».

    Plusieurs des descendants des otages font encore partis de notre association.


  • Commentaires

    1
    mamilole
    Samedi 25 Septembre 2010 à 19:38
    Je viens de lire votre article sur cette fameuse journée du 21 Août 1944, mon papa et ma grand-mère me l'avait souvent racontée. C'est ce jour là que les allemands en se "promenant" dans la campagne environnante ont incendié plusieurs fermes, dont celle de mes grand-parents au lieu dit "Le Chizalet" à Machézal.... Sinistre journée où tout leur patrimoine est parti en fumée. Ma grand-mère m'a toujours dit qu'elle n'avait pu "sauver" que deux paires de draps du sinistre!!.......... Mon papa se rappelle très bien de s'être caché dans un bosquet et d'avoir regardé brûler sa maison.... Il a fallu au moins dix ans pour que la ferme soit reconstruite.... Souvenir familiaux que tout cela!!.........
    2
    TESTENOIRE Profil de TESTENOIRE
    Lundi 27 Septembre 2010 à 09:53
    Bonjour
    Je lis avec beaucoup de plaisir votre commentaire sur les difficiles moments passés par votre famille.
    L'action se déroulant exactement dans le canton de Saint-Symphorien . Il serait intéressant d'avoir plus de renseignements sur la vie de votre famille à Machézal pour laisser une trace
    dans nos archives, aux générations futures.
    Si l'aventure vous tente pour écrire quelques lignes ou plus nous sommes preneurs.
    Je vous rappelle que monsieur Noël Jusselme ancien maire de Machézal est un de nos plus anciens adhérents
    Bien amicalement
    Bernard
    3
    mamilole
    Dimanche 17 Octobre 2010 à 10:48
    Bonjour monsieur, il y a environ un mois je vous avais posté un commentaire sur les journées des 21 et 22 août 44 où la ferme de mes grand-parents avait été incendiée par les allemands. vous m'aviez demandé d'écrire un petit article sur cette journée. Hier j'ai vu mon papa, il m'a raconté en détail le déroulement de l'histoire et j'ai tout relater par écrit. Comment faire pour vous le faire parvenir? Salutations.
    4
    TESTENOIRE Profil de TESTENOIRE
    Lundi 18 Octobre 2010 à 10:27
    Bonjour
    Je vous remercie de cette excellente initiative.
    Contactez-moi à mon adresse courriel ci-dessous. Je vous indiquerai la façon de procéder.
    Bien amicalement
    Bernard

    bernardhugues@hotmail.com
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