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    L’ARBRE SE JUGE AUX FRUITS ET LA MORALE AUX ACTES ;

    HUIT MILLE PROFESSEURS ET INSTITUTEURS, MORTS A L’ENNEMI, ONT TEMOIGNE DE L’IDEAL MORAL DE L’UNIVERSITE. PAR DIZAINES, PAR CENTAINES DE MILLE, LEURS ELEVES TOMBES EN COMBATTANT ONT ATTESTE EUX AUSSI, QUE L’ENSEIGNEMENT TRANSMIS PAR CES MAITRES N’ETAIT PAS RESTE LETTRE MORTE.

    QUELQUES TEXTES EMPRUNTE PRESQUE AU HASARD A CEUX QUI, STOIQUEMENT OU JOYEUSEMENT, ONT CONSENTI LE SACRIFICE DE LEUR VIE, RESUMERONT ICI LA DOCTRINE MORALE DE l’UNIVERSITE ;

    TESTAMENT DE NOS MORTS, PUISSENT CES QUELQUES PHRASES SERVIR A JAMAIS DE LECONS AUX VIVANTS.

     

    FORCE D’AME

    Ne me parle plus de souffrances et de misères : je sais bien moi, ce qu’on endure, et je t’assure qu’en aucun cas, cela ne dépasse les forces d’un homme. Ceux qui se plaignent et pleurent sont des lâches ou des ignorants qui ne savent pas la prodigieuse répercussion de leur petite souffrance sur l’avenir du monde.

    Tout cela n’est pas du laïus de journaliste, Va ! C’est la vérité simple et trop naturelle.

    Henry BARTHELEMY, ancien Elève-Maitre de l’Ecole Normale de la Bouzaréa (Alger).

    Mort à l’ennemi le 25 octobre 1918 (extrait d’une lettre écrite à sa Tante le 19 août 1918)

     

     

    POUR L’UNION

    Tous les Français se sont battus, tous devront s’estimer et s’aimer. Celui qui oublierait en parlant à un français qu’il parle à un frère s’armes serait honni.

    Octave BESSIERE, élève de l’Ecole Normale Supérieure.

    Mort prisonnier de guerre à Ingolstadt le 6 novembre 1915 (note trouvée dans son carnet).

     

    L’HONNEUR PROFESSIONNEL

    Nous continuerons la lutte a outrance. Nous irons à cœur joie jusqu’au bout. Il faut qu’après la guerre l’on puisse dire : « Les instituteurs sont de braves gens. Ils ont fait vaillamment leur devoir. Nous avions tort de les accuser d’antipatriotisme. Il faut réparer cette injustice ». Et cela, nous l’obtiendrons en nous sacrifiant tous, s’il le faut, pour le triomphe de notre chère patrie.

    Frédéric Bonnefous

    Instituteur à Brasc (Aveyron), Mort à l’ennemi en novembre 1915

    (Extrait d’une lettre écrite au Directeur de l’Ecole Normale de Rodez le 15 août 1915).

     

    POUR LE GENIE FRANÇAIS

    Il faut que le génie français vive. Nous autres, qui avons fait joyeusement le sacrifice de notre vie et qui demain, peut-être, serons morts, nous comptons sur vous pour cela et nous vous léguons cette tâche avec confiance.

    Henri BOULLE

     Instituteur à Paris, mort à l’ennemi le 1° janvier 1915

    (Extrait d’une lettre écrite à ses élèves la veille de sa mort).

     

    POUR CEUX QUI VIENDRONT APRES NOUS

    Le fleuve de sang coule toujours plus fort vers une humanité meilleure, puisse les hommes futurs recevoir un peu de la sagesse qui était en nous.

    Henri Ary CHARDON

    Etudiant à la Faculté de Lettres de l’Université de Paris, Mort à l’ennemi le 22 août 1918

    (Extrait d’une lettre à son père le jour même de sa mort).

     

    COMPASSION

    Dans cette triste guerre nous sommes, malgré toutes les souffrances morales des privilégiés à côté de la détresse de tant d’hommes dont beaucoup sont des « envahis », pères d’une nombreuse famille et totalement privés de nouvelles des leurs, les pauvres gens.

    Abel DODLEMAN

    Inspecteur Primaire des Ardennes, mort à l’ennemi le 25 août 1915

    (Extrait d’une lettre en date du 13 janvier 1915).

    LA FOI EN LA PATRIE

    Il faut croire maintenant qu’en la France qui reste un « chic » pays malgré toutes ses fautes. Le plus « chic » de tous les pays.

    Marcel ETEVE

    Elève de l’Ecole Normale Supérieure, mort à l’ennemi le 20 juillet 1916.

    (Extrait d’une lettre écrite à sa Mère le 16 octobre 1915).

     

    ETRE UTILE !

    Ce sont nos œuvres qui nous survivent, et c’est nous qui survivons dans nos œuvres. Celui qui n’a rien fait, rien donné, meurt tout entier, nous ne serons pas de ceux-là.

    Roger ETIENNE

    Elève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, mort à l’ennemi le 9 mai 1915

    (Extrait d’une lettre écrite à ses parents le 4 mai 1915).

     

    LE DEVOIR

    Je m’attends à tout, mais peu importe ! Si je succombe, j’aurai fait mon devoir.

    Paul FISCHER

    Agrégé de l’Université, mort à l’ennemi le 29 octobre 1914

    (Extrait d’une lettre écrite à un ami quelques jours avant sa mort).

     

    PUR NOS FILS

    C’est toujours pour les enfants qu’on travaille, mais aujourd’hui plus particulièrement. Nous les hommes jeunes. C’est pour eux que nous devons vivre et mourir il ne faut pas que nos fils soient obligés de baisser la tête comme des vaincus, et c’est pour eux que ceux qui partent et ceux qui restent doivent s’offrir en sacrifice.

    Fernand GALTIER

    Professeur au Lycée de Limoges, mort à l’ennemi le 11 juillet 1915

    (Extrait d’une lettre écrite à sa femme en juillet 1915).

     

    LA PATRIE ETERNELLE

    Les hommes passent, la patrie reste : c’est l’essentiel.

    Marius Gauthier

    Instituteur à Peyrus (Drôme), Mort à l’ennemi le 25 septembre 1915.

    (Extrait d’une lettre écrite à sa mère quelques jours avant sa mort).

     

    L’APPEL IRRESISTIBLE

    En cherchant a participer activement à la défense nationale, je n’ai fait que céder a une impulsion instinctive et irrésistible : il m’était impossible de faire autrement !

    Emile Havel

    Professeur au Lycée de Brest

    Engagé volontaire à cinquante et un ans, mort à l’ennemi le 10 avril 1916

    (Extrait d’une lettre écrite au Recteur de l’Académie de Rennes)

     

    LE TESTAMENT D’UN HOMME PUR

    Je t’écris cette lettre d’une main sûrs, d’un cœur fort, je suis très maître de moi, lorsque tu la liras, je ne serai plus. Dis-toi bien que jusqu’au dernier moment ma pensée aura été pour toi, pour mes sœurs, pour tous ceux que j’aime et pour  tous ceux que je vais aller rejoindre dans l’éternel repas… C’est ta pensée qui m’a préservé des défaillances. Je n’ai à rougir d’aucun de mes souvenirs. Je n’ai jamais fait de mal à personne, j’ai eu l’estime de tous partout où je suis passé.

    Ernest Jezou

    Elève-maître de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Rouen, mort à l’ennemi le 8 juin 1915.

    (Extrait d’une lettre écrite à sa mère le 4 mai 1915 et conservée dans son portefeuille jusqu’à sa mort).

     

    POUR L’HUMANITE

    Dans ces moments critiques je sens plus que jamais la force de notre mutuel amour. Mais nous ne nous appartenons plus : nous appartenons à la grande cause de l’humanité qui fera de nous ce qu’elle voudra.

    Claude Julliard

    Instituteur à Juliénas (Rhône), mort à l’ennemi le 22 juillet 1915.

    (Extrait d’une lettre  écrite à sa fiancée le 25 septembre 1914).

     

    L’HONNEUR

    La vie n’est rien auprès de l’honneur mutilé… Ce qui m’importe, c’est d’avoir vécu pur et en homme fort.

    Lucien LOBBE

    Instituteur à Suresnes, mort à l’ennemi le 22 avril 1915.

    (Extrait d’une lettre écrite à ses parents le 11 janvier 1915)

     

    POUR LA DIGNITE HUMAINE

    Si je meurs, quelle joie parfaite que de mourir d’une mort qui crée de la Justice ! L’ennuyeux ce serait de mourir pour rien, mais mourir pour ce qui existe le plus surement, pour la dignité humaine, vraiment voilà de quoi vous mettre en belle humeur.

    Joachim MERLANT

    Professeur à la Faculté des Lettres de l’Université de Montpellier, mort des suites de ses blessures le 29 janvier 1919.

    (Extrait de « Souvenirs des Premiers Temps de Guerre »).

     

    L’IDEAL D’AMOUR

    Nous servons toujours le même idéal qu’autrefois qui est un idéal d’amour. Quand la guerre nous semblait en contradiction avec cet idéal, nous l’avions répudiée : quand elle nous a paru nécessaire pour la défense de cet idéal, nous l’avons joyeusement acceptée.

    André MOUGEOT

    Instituteur à Charmes (Vosges), Mort à l’ennemi le 9 août 1915.

    (Extrait d’une lettre écrite à son frère le 25 juillet 1915).

     

    DEVANT LA MORT

    Grâce à l’oxygène que l’on vient de me faire respirer, je puis vous écrire. Ne vous faites aucune illusion sur mon compte. Je suis à bout complètement. Je n’ai pas peur du tout et j’envisage la mort comme une délivrance.

    André PAGNOL

    Instituteur intérimaire à Marseille.

    Engagé volontaire à dix-sept ans et demi. Mort pour la France à vingt-et-un ans, à l’hôpital d’Anneweiller  (Palatinat) le 27 février 1919.

    (Extrait d’une lettre écrite à ses parents en date du 25 février 1919).

     

    JUSTICE

    Le Français digne de son nom, conscient de son histoire, fier de sa pensée ou de sa foi, veut être juste ou ne pas être.

    Albert THIERRY

    Professeur à l’Ecole Normale d’Instituteurs de Versailles, mort à l’ennemi le 26 mai 1915.

    (Extrait des « Conditions de la Paix » écrites dans la tranchée) .

     

    POUR LA FRANCE ET POUR L’ECOLE

    Confiance et espoir !... Je retournerai chez nous sain et sauf, vainqueur et j’aurai la gloire de pouvoir dire : « J’ai lutté pour libérer le sol national ». Humblement je reprendrai alors ma modeste tâche d’éducateur pour enseigner  à nos frères plus jeunes l’amour de cette grande France pour laquelle tant d’ainés sont tombés.

    René VIDAL

    Elève-maître à l’Ecole Normale du Gard, mort à l’ennemi le 25 septembre 1915

    (Extrait d’une lettre écrite à ses parents le jour de sa mort).

     

    Ministère de l’Instruction Publique le 31 mai 1919.

     

     

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    Je m’en souviens comme s’y c’était hier.

    « Je revois un gars du village, Martial. Il avait vingt ans, c’était un beau frisé. Il a dit à sa mère plaisantant : « Je pars chez le coiffeur à Toul. Les Boches pourront avoir le bonhomme, mais pas les cheveux ! »

    Il a été tué au Bois-le Prêtre.

    Lucie Colas n’avait que sept ans en août 1914, mais sa mémoire a conservé des dizaines d’histoires comme celle-là, ainsi que des couplets patriotiques que sa jeune institutrice, Alice Leclerc, aimait à lui apprendre.

    Après que la Belgique a été envahie dans les toutes premières semaines de la guerre, la quinzaine d’écoliers de Gye rend hommage aux voisins et Alliés. «  Nous entonnions ceci, précise Lucie qui se souvient davantage des paroles que de l’air :

    « Salut à la Belgique

    « - A ce peuple énergique,

    « - Qui a combattu

    « - Les casques pointus

    « - Pour protéger la France. »

    Pendant les quatre années de conflit, la petite fille de cultivateur verra défiler de nombreux « pioupious » : « En 1914, ce sont des soldats du 47° Régiment d’infanterie qui étaient cantonnés chez nous. Avec les hommes non mobilisables et les plus jeunes du village, ils ont coupé les saules le long des ruisseaux pour que les troupes puissent avoir un horizon totalement dégagé en cas d’attaque ennemie. Ensuite, ils ont creusé des tranchées sur les côtes, au bois de Gye et au lieu-dit Marinchamp ; des tranchées en zigzag pour éviter les tirs en enfilade. Elles étaient entièrement boisées. Un côté lisse et un côté pour les abris. » Lucie ajoute : « Ces tranchées n’ont jamais servi puisque les Boches ne sont pas venus jusqu’ici.

     

    Plus tard, le village devait accueillir des hommes revenus du front pour se reposer : « Ils dormaient dans les granges et les écuries ; les officiers avaient droit aux chambres libérées par les hommes mobilisés », indique Lucie. Lorsque les soldats arrivaient, harassés, « ils commençaient par se doucher à l’eau froide dehors directement à la pompe en groupe, après avoir secoué leurs chemises au-dessus des tas de fumiers. Ils se douchaient à fond pour les poux, les « toto » comme ils disaient »

    En janvier 1916, juste avant la bataille de Verdun, des artilleurs feront halte à Gye pendant un mois. L’un deux, un père de famille, viendra à la maison de Lucie «  pour me faire faire des dictées et du calcul. Il m’avait dit qu’il m’écrirait. Il a sans doute été tué dans les premiers  jours de la bataille. Je pense encore à lui.

    « Dans notre village, les gens, les enfants rappelaient aux poilus leur vie d’avant. Ils semblaient heureux ». Mais la guerre les reprend. La nuit, ce sont des convois à chevaux transportant des canons qui traversent le village, défonçant les rues, arrachant au sol une glaise rouge et collante… Mais l’armistice viendra. «  Les cloches de tous les villages des alentours sonnaient. Un gars de dix-huit ans très costaud, a grimpé sur le grand sapin derrière l’église avec un drapeau tricolore. Il fallait voir comment l’arbre vacillait sous son poids. Tout le monde criait « descends donc tu vas tomber ! » Mais, il continuait. D’autres riaient. » Le drapeau est resté un bon moment dans l’arbre, tout en haut.

     

    Nés dans le même village à dix ans d’écart, Lucie et Louis devaient se marier en 1926. Pendant que sa future épouse était encore à l’école communale, Louis fut mobilisé pour la guerre

    «  Il est parti en septembre 1916 après avoir bénéficié de cinq mois d’ajournement parce qu’il avait déjà deux frères sous les drapeaux, indique Lucie. Il était présent à Ypres, il s’est battu dans la Somme et, une fois la guerre terminée, il est resté quelques temps dans l’armée au Proche-Orient, à Beyrouth et à Damas. Mon mari a été dans les premières troupes françaises à entrer dans Strasbourg libérée. Il était parti de Belgique avec son régiment, le 18° chasseur à cheval.

    Il s’est notamment arrêté à Thaon-les-Vosges, où il a rencontré la fameuse femme à barbe, Clémentine Delait, qui y tenait un café et vendait des cartes postales avec son portrait et un tampon pour authentifier votre passage chez elle ! ».

    Louis, qui avait fêté ses cent ans avec sa famille et ses amis, à disparu en 1998, le même jouir à quelques heures près qu’un autre poilu du Toulois, Denis Dieudonné, âgé de cent deux ans.

                   François Moulin (Les enfants de la Grande Guerre) ouvrage collectif  L’Est Républicain 2006


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    Parler de courage, c’est aujourd’hui dessiner le portrait de la France entière. De quelles sources jaillit-il ? Quels sont les éléments dont il se compose ? Quels sont les degrés qu’il gravit dans une sorte d’ascension sublime ? C’est une sorte de « méditation » qui nous a semblé convenir mieux qu’aucune autre aux heures que nous traversons.

    Le courage ! Il est partout aujourd’hui, depuis le front où nos combattants soutiennent avec un magnifique héroïsme une lutte de géants, jusqu’aux villes de la zone des armées ou même de l’arrière impassible sous le bombardement. Comme Reims, comme Dunkerque et Nancy, Paris sous les Gothas, Paris sous les obus du canon monstre s’est montré à la hauteur des plus tragiques circonstances.

     

    Eux aussi, ils sont vraiment des soldats, ces sapeurs-pompiers cités par les communiqués officiel à l’ordre de Paris et qui sous un ciel d’enfer, sous les ailes meurtrières qui rodent, s’exposent pour nous sauver de l’incendie allumé par les bombes. Soldats encore ces agents, qui veillent sous le feu à notre salut, relèvent les blessés et les transportent, aux ambulances. N’est-ce pas au champ d’honneur qu’il vient de gagner sa médaille militaire, cet agent Bruet, criblé d’éclats de bombe en volant au secours des passants ?

    Où leur devoir les plaçait, des femmes ont su, elles aussi dompter leurs nerfs, échapper à l’emprise de la peur ? Pas une conductrice de tramway qui ait quitté sa voiture pour se mettre à l’abri. Dans leurs halls, séparés du ciel en fureur par l’épaisseur d’une verrière, les demoiselles du téléphone sont restées au travail. Aucune n’a déserté. Et dans les hôpitaux bombardés toutes les infirmières aussi sont là près des lits. La même gloire unit l’interne David et Mmes Le Troquer et Marie Dantec, mortes sous les Gothas, cinq autres encore blessées au chevet des malades et décorées hier de la croix de guerre.

    C’est donc, plus que jamais, le moment de parler de ce sentiment qui s’appelle : le courage. Jamais ne se seront offerts à nous des exemples plus nombreux et plus éclatant pour fournir à l’analyse une riche matière. Aussi est-ce un livre de la plus vibrante actualité que viennent d’écrire sur ce sujet deux médecins militaires et qui porte ce titre prestigieux : Le Courage. L’un des deux auteurs, M. Louis Huot, médecin principal des troupes coloniales, revenu en France dès le début des hostilités, après avoir maîtrisé une redoutable épidémie de pesta au Sénégal, était déjà muni de toutes les observations recueillies au cours de ses campagnes africaines. L’autre M. Paul Voivenel, est médecin de bataillon dans un régiment d’infanterie depuis 1912. Tous les deux ont vu nos soldats à l’œuvre. Demandons-leur donc ce que c’est que le courage, qu’elle est la nature et quelle est l’histoire de ce sentiment, comment il s’est formé et développé dans l’humanité, d’où elle est partie pour atteindre à ce flamboiement d’héroïsme, qui illumine les soldats aujourd’hui.

    DE LA PEUR AU COURAGE

    C’était jusqu’ici une opinion acceptée de tous que la civilisation avait amoindri chez l’homme contemporain le courage ancestral .Sous l’influence d’un bien-être chaque jour plus moelleux, l’humanité, croyait-on, s’était aveulie. Avec sa rudesse première, elle avait perdu le meilleure de son énergie ; plus affinée, elle était devenue plus sensible, plus nerveuse, partant plus accessible aux défaillances devant la douleur et la mort. Bref, croyait-on communément le courage humain avait diminué.

    Eh bien ! C’est exactement le contraire qui se trouve être la vérité. Car le courage n’est pas le moins du monde un sentiment né avec le premier homme. Le sentiment primitif et naturel, devant la souffrance et devant la mort. C’est celui qui se place dans l’âme aux antipodes du courage. C’est la peur.

    Fille de l’instinct de conservation, c’est elle qui apparait dès les premières manifestations de la vie dans les organismes rudimentaires. Sur la lamelle de verre du microscope on voit les amibes fuir rapidement tout ce qui peut leur nuire ; Chez tous les animaux vous trouverez comment sentiment naturel devant le danger, la peur. Les animaux les plus vigoureux, les mieux armés par la nature, l’éléphant, le buffle, la panthère devant le péril, ont pour premier mouvement la fuite. Ils ne lui font face qu’acculés ou blessés. Le lion ne mérite pas le moins du monde sa réputation de bravoure.

    Chez l’homme primitif comme chez l’animal

    le sentiment instinctif devant une menace c’est encore la peur. Nous en trouvons le témoignage chez ces nègres de l’Afrique centrale, les Quarrès, qui sont au plus bas de l’échelon de l’humanité et peuvent être considérés comme les intermédiaires entre l’anthropoïde et l’homme. Ce sont les Pygmées d’Hérodote et de Stanley, les nains des Grands Lacs, les nègres troglodytes de la région montagneuse entre  Tchad et Congo, ceux qu’on retrouve à Ceylan sous le nom de Veddahs.

    Ces pitoyables représentants de la plus lointaine humanité semblent vivre dans un état de terreur perpétuelle. Un rien les épouvante, si ce rien est nouveau pour eux. Leurs prunelles jaunâtres épient sans cesse et leurs regards, au moindre phénomène qui les étonne et les inquiète, ne sont animés que d’un sentiment, le désir de fuir.

    Voici, au-dessus de ce prototype véritable de la lâcheté qu’est le Quarrès, le nègre de la tribu guerrière. Celui-là se bat. Il se bat pour piller, il se bat pour chasser le voisin de la riche contrée qu’il convoite. C’est toujours, notons-le, par intérêt. Allons-nous dans son âme voir étinceler ce diamant qui s’appelle le courage ? Non. D’abord, avant le combat, il lui faut l’exaltation frénétique communiquée par ce représentant des génies tout-puissants qu’est le féticheur, l’excitation de l’alcool et du tam-tam, l’ivresse, la danse guerrière. Dans l’attaque, il gardera jalousement le souci de sa conservation personnelle. Il espionnera, il tâchera de surprendre l’adversaire sans défense, la nuit, pendant son sommeil.

    Mais, ayant sous son pouvoir une race plus fortement trempée, un maître à poigne comme Behanzin…

     

    Parvienne à établir une discipline sévère, et voici le Dahoméen s’élevant aussitôt au-dessus de ces nègres guerriers, sournois et lâches, et à l’appel du chez bravant la mort. Nos officiers ont rendu hommage à la valeur des troupes de Behanzin, qui se firent tuer dans leurs retranchements sans reculer et qui, sous nos baïonnettes, hurlaient fièrement leur suprême cri de guerre « Coïa, Coïa Dahomey ! ».

    Sommes-nous donc, avec les soldats de Behanzin et de Rabbah, arrivés au véritable courage ? L’apparition de l’idée de discipline et d’obéissance à l’ordre nous en a rapprochés. Mais il faut noter que le sacrifice est ici imposé au guerrier par un maître implacable, Gligé, Samory, tous les grands chefs africains amenaient leurs hommes à affronter la mort par de terribles sanctions. Le courage dans leurs meilleures troupes n’était pas spontané. Il n’était pas librement consenti. La menace disparaissant avec le chef, l’énergie disparaissait. Après la capture de Behanzin et de Samory, tous les soldats baissèrent la tête et se soumirent.

    C’est que leur geste n’avait eu pas d’idéal. Au-delà du maître ils ne voyaient rien. Ils n’avaient pas l’idée d’une patrie appartenant à tous. Le sultan est l’unique possesseur des terres, des cases et du bétail ; tous les enfants sont la propriété du chef. Foyer, famille, patrie, autant d’idées nées de la civilisation.

    Aussi est-ce seulement à notre contact que le Sénégalais arrive à la pleine notion du courage. En les traitant comme les égaux de nos propres soldats, nos officiers coloniaux ont su, avec une très fine intelligence, les faire participer à nos idées, à nos sentiments et du coup faire éclore en eux la notion du sacrifice volontairement accepté pour une grande cause. C’est à notre école que les Sénégalais ont appris la vertu du devoir.

    Jusqu’à quel degré ils ont poussé l’esprit de dévouement, de magnifiques citations à l’ordre de l’armée en portent témoignage. En voici une, prise entre cent autres : « Ousman  Sall, sergent au 28° bataillon de tirailleurs sénégalais ; le 20 juillet 1916, a entraîné vigoureusement et avec une grande bravoure ses tirailleurs à l’assaut. A été blessé. Tous les officiers de sa compagnie ayant été mis hors de combat, s’est avancé vers son capitaine blessé et lui a dit : « Tu vois, mon capitaine, moi déjà blessé, mais moi moyen marcher tout de même. Les Sénégalais jamais recule, moi commander la compagnie », puis brandissant son fusil, il se plaça en avant de la vague et, poussant le cri : « En avant, Sénégalais ! » qui fut entendu de toute la ligne, il entraina dans un magnifique élan toute la vague d’assaut.

    On le voit donc, inconnu à l’origine, le sentiment du courage s’est formé peu à peu dans l’âme de l’homme ; puis à mesure que son intelligence et sa volonté grandissaient, il a lui-même grandi, il est monté comme une étoile dans la nuit. Pour ne pas trembler devant le danger, il faut un idéal, et c’est parce qu’on ne s’est jamais battu pour un plus noble idéal, que jamais le courage n’a plus splendidement rayonné aujourd’hui. Les docteurs Huot et Voivenel ont pendant trois ans, dans la tranchée, sur le champ de bataille, observé en savants, vieux briscards et bleuets. Recherchons avec eux de quels éléments le courage du poilu est fait, où il prend sa flamme.

    L’ART DE MAITRISER SES NERFS

    Les premiers jours, les premières nuits surtout, l’émotion est de règle. Comme le formidable inconnu de la guerre, son tonnerre dont tremblent terre et cieux, et tout ce qu’elle tient en réserve de terribles surprises ne réveillerait-il pas chez le nouveau combattant ce qui peut subsister en lui du vieux levain de la peur ? « Triple menteur, assurait le maréchal Ney, qui fut un brave parmi les braves, triple menteur qui se vante de n’avoir jamais eu peur ! » Henri IV en a connu le frisson et ou Turenne injurier sa « carcasse ». Cet état émotionnel passe vite. L’accoutumance exerce son action avec une rapidité et une force incroyables. De même que les animaux, chats et chiens dans la tranchée et chevaux sous la mitraille, restent calmes, que les vieilles femmes de Reims épluchent placidement leurs légumes sur le pas de leur porte, le soldat se libère en très peu de temps de la tyrannie des nerfs. Le même homme qu’un bruit dans la nuit angoissait pendant les premières nuits de veille et qui à tout propos pressait sur un ennemi imaginaire la gâchette de son fusil, quelques jours plus tard se fait punir par son sergent pour être allé sous le nez des Boches cueillir de l’aluminium d’une bague à ciseler.

    Un autre facteur intervient en même temps, très puissant : l’expérience. Voici le témoignage d’un héros, l’auteur de ce beau livre intitulé Ma Pièce, tombé il y a un an au champ d’honneur. « D’abord le danger est inconnu…On sue…On tremble… L’imagination l’amplifie On ne le raisonne pas. Par la suite on discerne. La fumée est inoffensive. Le sifflement de l’obus sert à prévoir sa direction. On ne tend plus le dos vainement ; on ne s’abrite qu’à bon escient. Le danger ne nous domine plus. On le domine. Tous est là ». Après l’arrivée de la marmite, ayant mesuré avec un camarade la largeur et la profondeur de l’entonnoir et suivi sur les arbres environnants la trajectoire de la gerbe d’éclats, il conclut : « L’obus ainsi étudié perd beaucoup de son effet moral. » Le soldat qui a huit jours de tranchée n’a plus ce mouvement de réflexe, qui lui faisait baisser la tête au sifflement d’une balle, parce qu’il sait maintenant que la balle qui siffle est déjà loin. L’expérience a rendu son courage réfléchi. Il connaît le danger, le juge et l’aborde en lui faisant la part la moins belle possible. Sa bravoure est toute entière de sang-froid et d’intelligente volonté.

    C’est là qu’il faut voir la principale raison de l’attachement qui retient le soldat au secteur où il combat depuis quelques mois. Tout lui en est familier. A l’abri de la surprise, ses nerfs ne viennent plus taquiner son âme, ni ébranler sa maîtrise de soi. « A la Selouze, écrivent les auteurs du Courage, nous savions qu’à tel tournant précis parvenaient les balles de la mitrailleuse d’en face, qu’à tel autre endroit le boyau était pris d’enfilade par des tireurs montés sur des arbres, que tel créneau était dangereux. L’un de nous n’a jamais vécu si bien avec ses infirmiers que dans un petit moulin attenant aux lignes, dans une prairie. Très à découvert, entouré de pièces artillerie, destiné à être rapidement démoli, il n’était utilisé par personne. Comme il possédait trois lits, nous y glissâmes une nuit. On ne dormit pas tranquillement… Puis peu à peu nous y vécûmes paisiblement, cultivant, nouveaux Candides, les légumes du jardin. Nous avions calculé que les nombreuses batteries qui nous entouraient nous servaient de paratonnerre et que l’ennemi, assez occupé des canons, oublierait la bicoque. Nous y avons vécu huit mois, e l’aide-major qui descendait du poste de secours avancé s’y trouvait aussi bien que le meunier de jadis. Quand les artilleries se contre-battaient, le spectacle nous paraissait intéressant ; si quelques obus couvraient le moulin d’éclats, nous nous disions : « C’est un écart ! » et nous avions raison. On finit par posséder l’âme paisible d’un bourgeois à cent mètres de l’ennemi et, confiant dans la vigilance des camarades, à dormir avec sérénité     en compagnie des rats ».

    Et voici que ce signe suprême de la santé physique et morale, le rire, que l’anxiété des débuts semblait avoir tué à jamais, le rire reparaît entre les coups de chien, rayon de soleil entre deux orages. A être si souvent en péril de mort, la vie a des minutes plus intenses.

    L’AMOUR DU RISQUE

    Autre élément du courage : l’amour du risque ce goût du jeu, qui est au fond de l’âme des hommes.

    C’est lui qui, aux premières heures de la guerre, lança à l’assaut les Saint-Cyrien en gants blancs. S’il provoque de ces héroïques témérités, où ne se hasarde jamais l’Allemand méthodique et prudent et qu’il a fallu refréner chez nos troupes, c’est lui toujours assagi mais tenace, qui fait reprendre une sixième fois l’œuvre tentée cinq fois en vain, repousser une onzième fois l’ennemi déjà refoulé dix fois. Le courage français n’aime pas perdre quand il joue. « Les patrouilles, écrivent les docteurs Huot et Voivenel, pour le plus froussard sont une raison de fierté et de satisfaction au retour ».

    Car c’est l’aimant de la gloire qui par le risque attire à lui le courage. Pour le soldat, le salut du pays c’est la grande idée, c’est la raison de se battre et c’est le but. Oui, mais la gloire c’est la récompense. A la guerre, la gloire est visible, elle est tangible. Comme le clairon Rolland promené devant les troupes d’Algérie sur l’affut d’un canon, le soldat voit que son courage le hausse au-dessus des autres hommes. La fourragère à son épaule, la médaille militaire sur sa poitrine, le sacrent aux yeux de tous chevalier. La Légion d’Honneur vient d’être épinglée à la soie vivante du drapeau. La division a été hier baptisée la Gauloise. Le monde dira, agenouillé : « Ce sont les soldats de Pétain ! » Comme il a dit : « Les hussards de Lasalle ! » Il a dit : « Ceux d’Arcole et d’Austerlitz ! » Il dit aujourd’hui : « Ceux de Verdun ! » La chaîne de la gloire française est ininterrompue. Le plus humble des paysans de France sent au fond de son âme que son courage le fait de la plus vieille, de la plus pure noblesse. Quand le sacrifice est consommé, aux portes de la mort, c’est le baiser de cette gloire, qu’il était sûr de trouver à son chevet, qui apaise son visage crispé. « Un petit soldat blessé à mort, raconte M. Henri Puget dans ses Impressions d’hôpital, vient d’entrer en agonie. On le décore… Il souriait d’un sourire las…Il est retombé dans son immobilité, il n’a pas voulu qu’on remonte le drap, et le ruban vert et rouge coupé de la palme, tranche sur sa chemise blanche : petite récompense, témoignage d’héroïsme… La jeunesse, la bravoure et la mort, grandes idées, tristes et douces, qui toujours bouleversent les cœurs des hommes et qui ce soir flottent autour de ce lit d’hôpital. »

    DISCIPLINE ET ESPRIT DE CORPS 

    Instinct de conservation nationale, expérience de la guerre, maîtrise de la volonté, amour du risque et de la gloire, voilà de quels fils se tisse l’étoffe splendide du courage. Comment tous les héroïsmes individuels s’agrègent-ils maintenant pour former l’infrangible faisceau du régiment, le bloc de l’armée toute entière ? De quelles sources jaillit le courage collectif ?

    Dans le cataclysme effroyable qu’est la guerre, les courages les mieux trempés ont besoin d’une armure. Cette armure, c’est la discipline. C’est-elle qui donne à l’armée la personnalité une et stable, sans laquelle elle ne serait qu’une foule avec toutes ses faiblesses. « Elle est, répétait Carnot, le gage le plus assuré de la victoire. C’est par elle que toutes les forces partielles concourent à un but unique. » Les troupes les plus solidement disciplinées sont les plus courageuses. Malgré leur élan magnifique et leur flamboyant enthousiasme, les volontaires de la première république versèrent dans l’anarchie à Lille et à Valenciennes. Les héroïsmes individuels n’étaient pas liés et, n’étant pas tenus, ne se tenaient pas. Ce n’est qu’encadrés par de vieilles troupes, fortement disciplinés, que les volontaires firent merveille. En 1899, les Boers, se montrèrent tous individuellement d’admirables soldats, mais seul les vingt mille partisans à qui Dewet et Botha surent donner une organisation militaire firent vraiment figure d’armée.

    A côté de la discipline, voici qu’apparaît cette féconde émulation entre les diverses armes, qui s’appelle l’esprit de corps. « On sait, écrivait en 1839 le maréchal Soult à Louis-Philippe, de quels prodiges de valeur les régiment sont capable pour soutenir l’honneur de leurs numéros et pour demeurer dignes de leur renom. » Un homme qui s’y connaissait, Napoléon, l’avait dit avant lui : « Un soldat français s’intéresse plus au gain d’une bataille qu’un officier russe. Il attribue constamment au corps où il est attaché la première part de la victoire. Les soldats des autres nations gardent leur poste par devoir ; le soldat français par honneur. Les premiers sont presque indifférents à une défaite ; le soldat français en est humilié. Le seul mobile du soldat français, c’est l’honneur ». A Dixmude et à Steenstrate, les fusiliers marins ont voulu maintenir la renommée de leur pompon rouge ; au Viel Armand, les alpins celle de leur béret bleu. Zouaves et vitriers se disputent la première place au banquet de la gloire. Les bataillons de chasseurs ont dans leurs annales un joyau, qu’ils ne veulent se laisser ravir par personne : Sidi Brahim, Montagnac et ses 450 braves contre 5 000 A rabes.

     Le 30 juin 1916, entouré, encerclé, le 66° entend montrer que tous ses officiers et tous ses chasseurs sont toujours dignes du passé. Il fait Sidi Brahim. Un diable bleu imberbe, le ventre ouvert par une terrible blessure, entend à l’ambulance, un Allemand prisonnier, qui geint pour un bobo : « Tu pleures le Boche ! Regarde donc mourir un chasseur, je ne pleure pas moi, et je suis pourtant fichu ! »

    En 1915, voici ce qu’écrit aux siens un jeune officier morlaisien du 19° d’infanterie : « Aux tranchées, le 5 mai 1915. Ici les Boches ont tenté une attaque ces jours derniers, et ils sont tombé sur le manche, comme toujours. Quand le 19° est là, rien à faire. Ils le savent bien. La première chose qu’ils demandent aux prisonniers, c’est : « Où est le 19° ? » Dans le voisinage, deux petits postes, allemands et français, étaient distants de deux douzaines de mètres. Un Boche plus hardi que les autres a demandé : « Est-ce le 19° qui est là ? – Non, pourquoi ? – C’est qu’avec le 19° y a pas bon ! ». La bravoure depuis des siècles parle le même langage. Elle écrit de la même encre. ….

    L’EXEMPLE DES CHEFS

    Le courage se modèle sur l’exemple. Exemple des anciens, de tous ceux qui dans le passé sont morts pour que la France vive. Exemple du chef, qui est là. Les courages autour de lui valent ce que vaut le sien. « Je faisais de la liaison raconte un sous-officier. Depuis deux jours ça chauffait, puisque dans ce laps de temps nous avons arrosé les Boches avec 170 000 obus. J’avais un pli à porter au général B… Un peu avant d’arriver à lui, je suis ramassé par une marmite, qui me fait faire la cabriole, car elle n’éclate pas loin de moi. Je me relève complet, mais pas fier et je file en vitesse. Arrivé au poste de commandement du général, alors que je lui remettais l’ordre, v’lan, encore une marmite qui, fait trembler toute la cambuse. Ma main fait comme la cambuse elle tremble. Le général, lui n’a pas bronché et, constatant mon émotion, me dit en souriant : « Voyons jeune homme, qu’y a-t-il ? Es-ce que nous avons mal dormi cette nuit ? » Ce mot-là m’a remis d’aplomb.

    Voyez dans la tourmente ce colonel encore, au milieu de ses bleuets. L’heure est terrible, le feu de l’ennemi formidable, il faut pourtant avancer dans une plaine découverte. Nouveaux venus les jeunes soldats sont nerveux. Le colonel se jette sur leur front, en pleine pluie de fer. « En avant ! »  Ils hésitent. « En avant ! » Ils renâclent. Alors doucement il revient vers eux : « Quoi, les petits, on flanche ? Tenez, donnez-moi le bras et donnez-vous tous le bras et allons ici, bras dessus bras dessous, votre fusil d’une main, vous verrez que çà n’est pas malin ! » Et tous ils y allèrent. Deux secondes après il fallait les retenir. Au colonel, qui contait l’affaire, on demanda plus tard : « Heureusement que vous n’aviez pas peur, vous ! –Pas peur moi ! Si vous saviez quelle frousse me tiraillait… Mais il a bien fallu que je donne l’exemple. J’ai bluffé ! »

    AUTOUR DE L’ATTAQUE

    C’est dans la bataille que tous les éléments dont est fait le courage vont être mis à la grande épreuve. Quelles vont être dès los les étapes de la bravoure ? Quelle figure a-t-elle avant l’attaque, pendant la mêlée, après la victoire ? Les docteurs Huot et Voivenel nous permettent, par les observations recueillies sous la mitraille, d’établir une curieuse psychologie du courage au moment suprême.

    Dans les minutes qui précèdent le signal, le soldat offre une physionomie particulière. L’émotion se traduit par une sorte d’angoisse physique, qui chez celui-ci provoque un frémissement du menton, chez celui-là un tic nerveux. Les hommes se regardent longuement, profondément les uns les autres ; ils se raffermissent mutuellement. Un silence plane. C’est le moment où l’énergie cérébrale s’accumule et entre en tension. Leur gestes le prouvent, inconscients, automatiques, l’un nouant et dénouant vingt fois sa cravate, l’autre serrant et desserrant sans cesse la jugulaire de son casque.

    Le signal ! Les nerfs des hommes l’appelaient pour se libérer. L’énergie accumulée en eux les étouffait. Après la période de la tension, voici celle de la dépense. Après le silence, le bond en avant. Le soldat va se soulager dans la bataille de l’angoisse qui lui serrait la gorge. Tout ce qui a pu rester de peur en lui disparaît dans l’action. Le courage joue le dénouement du drame et se fait passion. La colère, la rage décuplent réellement la force physique. A la Marne, les troupes étaient épuisées par la retraite et par la faim. A l’appel du courage, tous les corps se redressèrent et l’énergie de la race électrisa magnifiquement des muscles exténués. Le bruit, les hurlements, la musique, tout alors intensifie la crise. Le courage s’enivre à l’appel d’une Marseillaise ou d’un clairon. Dans ses Diables bleus le lieutenant Louis Thomas raconte : « Les chasseurs à pied venaient de reprendre le village de la Salle et poursuivaient les Allemands dans les rues. Un clairon entraîné par son ardeur s’égare et cherche sa compagnie. Il entend soudain des voix, qu’il croit reconnaitre françaises : « C’est la 2° compagnie ? » demande-t-il. Quatre ou cinq coups de fusil lui répondent seuls. Pris alors d’une rage subite, il empoigne son clairon et sonne une Sidi Brahim endiablé. L’effet est immédiat. Les Boches s’enfuient. Une contre-attaque allemande provoque un certain recul au centre. Reformés à 100 mètres en arrière, les chasseur se précipitent à nouveau sur le village au chant de la Sidi Brahim et l’occupent définitivement. »

    A  ce paroxysme de la bravoure, l’âme du soldat est devenue insensible à tout ce qui n’est pas la bataille, à tout ce qui n’est pas la victoire. L’image de la mort, partout présente autour de lui, ne l’émeut plus. Il est maintenant au-dessus de l’humanité.

    L’âme même du pays est passée en lui, ce type âme quoi veille éternellement. L’homme de la terre sent que la terre veut être sauvée ; l’idéaliste, que la civilisation ne veut pas périr. Tant qu’elles sont menacées, terre et civilisation ne cessent pas leur appel, et c’est lui qui en dernière analyse allume dans l’âme du soldat cette flamme quasi divine, qui s’appelle le courage. Pour le dire à son enfant, une mère a trouvé ces mots admirables qui résument tout : « Mon cher petit, je te sais toujours près du danger. Aie courage, aie confiance et travaille à sauver la patrie. Je t’envoie un colis qui te fera plaisir j’espère. Tu n’y trouveras qu’un peu de terre. Mais elle est sacrée. C ‘est la terre de chez nous. Je suis allée la chercher sur la tombe de ton père et de ton grand-père, qui sont morts soldats. Garde-la bien et qu’elle te parle, tout près de ton cœur, pour te soutenir dans la bataille. »

                                                                Armand RIO (Lecture pour Tous du 15 avril 1918) 


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