• DE LA DILIGENCE AU CHEMIN DE FER

     

    MONTEE  MONT CENIS LE COUCOU
     
    Le phénomène le plus caractéristique des temps nouveaux (c’est-à-dire de la période qui prend naissance vers 1840, avec le machinisme), c’est le besoin généralisé de la locomotion à des vitesses jusqu’alors inconnues. Et qui a déclenché le mouvement, qui a permis de s’accentuer toujours plus, sinon le Chemin de fer, faisant circuler sur des rails, des convois d’un genre encore inédit : les wagons.

    Non que le fait de voyager soit, en lui-même une invention moderne, puisque de tout temps on a circulé sur les routes, non que la recherche d’une vitesse plus grande soit restée autrefois chose inconnue (Piron dans une lettre de 1742 ne remarque-t-il pas que ses contemporains éprouvaient «  le besoin de courir à fond de train, au risque de se rompre le cou », et ne vit-on pas en 1783, de jeunes élégants organiser un « concours de vitesse pour chaises de poste »), mais en réalité, ce goût du voyage, et la passion de la vitesse, ne pourront se donner libre cours que lorsqu’ils auront l’instrument nécessaire, c’est à dire la machine.

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    Mont cenis.JPG passage

    On a rappelé, quelquefois à quelle vitesse marchait la berline de Napoléon, lorsqu’elle franchissait en deux jours et demi, la distance de Turin à Saint-Cloud ; mais la voiture de l’Empereur n’était ni celle d’un particulier, ni celle d’un service publics. Or, berline, chaises de poste, même les fameux coffres-traîneaux pour le passage des grands monts. En 1864, encore, le service du Mont-Cenis était réputé pour sa rapidité tout cela marchait à une vitesse qui nous paraîtrait bien modérée.

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    DESCENTE MONT CENIS

    De tous les moyens de locomotion du passé, un seul, en réalité, mérite de fixer l’attention, : la diligence, ancêtre direct du chemin de fer, tuée par ce même chemin de fer après avoir vainement essayé de lutter contre lui, et dont la résistance fut quelquefois héroïque ; la diligence des Messageries royales, impériales, nationales, attelée de ses vigoureux percherons, qui représente tout un siècle d’histoire, qui a eu ses peintres, ses chantres, ses chroniqueurs ; la diligence avec ses anciens postillons à cadenette, avec ses relais, son personnel d’officieux, ses commis-voyageurs, les rois de la route comme les a appelés un romancier, ses tables d’hôte (la grande distraction des sous-préfectures) ; la diligence a donné naissance à une sorte de vie de société, à travers monts et vaux : qui souvent créa, entre inconnus des deux sexes, des relations si suivies qu’en matière matrimoniales il est permis de voir en elle l’ancêtre de l’Opéra-Comique.

    Demandez-le à Thomassin de Montbel qui, dans son curieux ouvrage : « La Diligence Philosophique ou Le Moraliste Champenois » (Paris 1808)  a enregistré par le menu tous ces amusants dialogues, tous ces piquants incidents.

    Faut-il dire, comme pour Malherbes : enfin le chemin de fer vint ? Ce qui est certain, c’est qu’en peu de temps il allait multiplier les déplacements, rapprocher les gens en réduisant les distances, et faire naître ce qui constituera une des principales caractéristique de la société future : le voyage « pour voir du pays », pour satisfaire à ce nouveau besoin de curiosité qui deviendra, peu à peu, une nécessité impérieuse.

    Le chemin de fer ! « Le train des voitures à vapeur et sur rails ». On aimait, à l’origine, à se servir de ces qualificatifs. Lui aussi, il aura ses enthousiastes et ses détracteurs ; on sait ce que Thiers en a dit et pensé. Vers 1847, lorsque régnait cette spéculation qu’on appelait alors « fièvre des chemins de fer », Victor Comidérant (qui pour donner plus de poids à sa thèse, avait eu soin de rappeler qu’il était « ex-capitaine du Génie et ancien élève de l’Ecole Polytechnique ») lança contre lui un pamphlet d’une nature bien spéciale : Déraisons et dangers de l’engouement pour les chemins de fer. Car le chemin de fer fut, pour le dix-neuvième siècle, ce qu’avaient été, pour le dix-huitième, les fameux globes allant « ravir au ciel ses secrets ». Même curiosité naïve, même enthousiasme parmi les masses ! Même scepticisme, même crainte irraisonnée, même frayeur instinctive de la force nouvelle. Ne vit-on pas des illuminés se précipiter, armés de pied en cap, au-devant du « monstre vomissant des flammes de feu », et chercher, par tous les moyens, à paralyser son élan ?

    Bénies par les évêques les locomotives n’en accomplirent pas moins leur œuvre, partant à la conquête des voies ferrées, couvertes de fleurs et de branchages, saluées, admirées tout le long de leur parcours. La vapeur triomphait.

    Les poètes s’essaieront à célébrer «  le nouveau Pégase aux ailes de feu » ; les images d’Epinal le feront pénétrer jusque dans les moindres chaumières où il prendra place aux côtés du Petit Caporal, la caricature se fera à la fois le porte-parole et le porte-images de tous les lieux communs, de toutes les billevesées, de toutes les récriminations auxquelles il devait donner lieu de la part du public.

    Dès 1837, Pruche, un de ces anecdotiers du crayon comme il en fut tant, publiait une suite de lithographies vulgaires qui amusèrent un instant

    Heureusement la caricature d’observation, dont les œuvres ont l’importance de documents pris sur le vif, est là pour nous renseigner sur les conditions de voyage durant l’âge de transition entre le cheval et la vapeur, alors que encore, montées sur les wagons-plateaux, les lourdes diligences des Messageries achèvent sur rail le voyage commencé sur route. Epoque où la démarcation n’était pas encore bien nette entre les deux éléments de transport : « trains de voyageurs » et « trains de marchandises » ; où les « trains mixtes » et les « semi-directs » essayaient de concilier les deux intérêts en présence. Epoque d’essais, de tâtonnement où les « omnibus » à trois classes, à marche plus ou moins lente, constituaient la grande majorité des convois. L’idéal, c’était « l’express », à l’origine composé uniquement de « premières classes », l’express des grandes lignes, brûlant les multiples arrêts du vulgaire « omnibus » ; l’express, dont le type le plus parfait était alors le Paris-Lyon-Marseille qui inaugura la vitesse kilométrique et se trouve l’ancêtre des grands rapides, l’express, qui jouit auprès du public d’une faveur toute spéciale parce qu’il est le train des privilégiés de la fortune, c’est à dire des voyageur de première classe, donc de qualité supérieure, payant la plus haut tarif pour franchir les plus grandes distances avec la plus grande rapidité.

    Prendre l’express ; se faire réserver une place de « coupé » encore un vieux souvenir de la diligence. C’était aux environs de 1865, avoir un brevet d’homme chic. En fin d’année des voyageurs s’extasiaient devant le nombre des plaques : loué,  accrochées aux wagons.

    Epoque classique, dont ne peuvent se souvenir que quelques rares contemporains dont je suis, où les « deuxièmes » les éternelles caisses jaunes, avaient sur leurs banquettes des coussins d’une platitude telle qu’on pouvait, sans exagération les comparer à des galettes, où les « troisièmes » baptisées, on ne sait pourquoi « premières de nourrices » étaient réputées pour le manque de confortable de leurs sièges étroits, au bpois dur comme fer. Tout cela et le reste, on peut le voir sur les lithographies de Daumiers rehaussées d’une si amusante pointe d’humour : foules anxieuses se ruant sur les quais à l’ouverture des salles d’attente : foules affamées se jetant sur les maigres provisions du buffet ; foules angoissées mettant à profit les « cinq minute d’arrêt » pour prendre des précautions nécessaires ; voyageurs emmitouflés, chargé de sacs en toile cirée ou en tapisserie, flairant à  3 heures du matin, le compartiment qui voudra bien les recevoir. Ici, c’est le contrôleur ouvrant brusqueùment les portières pour le classique : « Vos billets, s’il vous plait » ; là, c’est l’intérieur d’un  wagon de troisième classe ; ou encore M. Prudhomme refusant de monter sans un compartiment où se trouve un voyageur seul. D’autres planches sont précieuses pour les détails qu’elles donnent sur le personnel, tels ces facteurs et sous-facteurs du temps jadis qui, avec leur casquette à soufflet et leur petite veste galonnée, ont gardé l’allure des conducteurs de diligence.

    Non moins curieuse à parcourir serait la littérature du chemin de fer. Il n’a pas eu seulement des volumes d’Hygiène ou de Conseils ; il a encore inspiré les poétes et donné naissance à nombre de dissertations. Méditations en chemin de fer, lit-on sur la couverture d’une plaquette d’Arthur de Gravillon. Comme la montagne il a inspiré la crainte et l’effroi.

    Goûter ces lignes d’un compte rendu d’inauguration de voie ferrée en 1843. Il s’agit du passage d’un tunnel de quatre minutes. « Avançait-on ? On le supposait. Allait-on vite ou doucement ? Le convoi allait-il dérailler ? N’avait-on pas dit adieux pour toujours à ceux qu’on aimait ? Aussi quelle imprudence ! A quoi bon tenter Dieu ! Oh ! Rendez-nous la lumière, et la campagne et la verdure ; ce bruit de locomotive haletante, ces chaînes qui se heurtent dans la nuit, ce sifflet infernal qui prévient dit-on du danger, tout cela est affreux à entendre, quand on ne peut pas se voir. »

    Ce qu’il importe encore de noter, car c’est là un signe des temps, c’est l’influence exercée par l’idée de la voie ferrée sur les esprits du moment. Puisqu’il y a des wagons sur rail, pourquoi n’y aurait-il pas aussi des voitures sue rail. Et c’est en partant de ce principe que, dès 1838, un ingénieur inventera les « rails mobiles ou chemins de fer mouvants » prêt à servir sur toutes les routes et avec toutes les voitures ». Bien mieux ; la même année, une société de Messagerie organisait sur la route de Gand à Lille un service de « voitures inversables à six roues, à trains articulés », le chemin de fer hippomobile qui fonctionnera un certain temps et deviendra le tramway. Mais le chemin de fer, qui ne cessait d’être l’objet de violentes critiques, devait être, un jour, attaqué dans sa source : la machine à vapeur. De là les tentatives répétées, les essais de locomotions à l’aide de l’air comprimé : la plus intéressante ayant été celle de l’ingénieur Andraud, en 1855, c’est-à-dire la locomotion éolique qui supprimait la locomotive, « cause des mouvements désordonnés qu’on ressent en chemin de fer ».

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    train tiré cheval

     

    Voici venir les temps nouveaux et, avec eux, des trains d’une conception toute différente. Trains de luxe, grands rapides, wagons-lits organisés avec une recherche de confort répondant mieux à notre idée moderne du bien-être. Toutefois, ce n’est point cela qui constitue leur originalité, car le train de luxe, à vrai dire, n’est point chose nouvelle. On le trouve, à l’origine même du chemin de fer ; seulement alors, il n’est pas à la disposition «  de ceux qui veulent bien y mettre le prix ». Il est uniquement réservé aux souverains. C’est la voiture des princes, sous Louis-Philippe, qui date de 1842 ; ce sont les wagons du train impérial pour le camp de Châlons qui sont de 1859, wagon-salon, wagon-salle à manger, wagon-chambre à coucher, wagon-terrasse, et leur confortable n’était point inférieur à celui de nos trains de luxe. Quel chemin parcouru depuis 1840 ! Quelle révolution dans la façon de concevoir le voyage !

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    DESCENTE MONT CENIS CHEMIN DE FER

     

    Autrefois en effet, que le moyen de transport soit le chemin de fer ou la diligence, le principe est le même. Le voyageur est un colis vivant à qui l’on assure, une place assise et la possibilité de satisfaire sa faim. Mais il ne peut bouger, se lever ou, même rester debout, à moins que ses voisins ne l’y autorisent. Quelques arrêts lui permettront, il est vrai, de se dégourdir les jambes, mais c’est tout. Quant à dormir il ne saurait en être question. Quelle transformation aujourd’hui ! L’homme qui monte dans un wagon n’y est plus enfermé, ni voué à l’immobilité. Il peut se lever de son siège, circuler dans les couloirs, regarder passer ses compagnons de route, et même avoir la surprise de rencontrer des figures de connaissance.

    A quoi comparer ces rapides avec leur grands compartiments servant de lieu de réunion et offrant à leurs « locataires » tout ce que les combinaisons modernes permettent d’organiser sur rail : le manger, le coucher, la toilette, sinon à des maisons ambulantes !

    Et c’est ainsi qu’à la caisse d’autrefois a succédé le wagon transportant à travers monts et vaux des foules humaines qui ne sont plus retenues prisonnières !

                          John Grand-Carteret (Agenda P.L.M. 1924).

     

    Note de Bernard: Mon dernier voyage entre Roanne et Lyon,  en convoi tiré, par une locomotive à vapeur date de l’été 1966. Mon étonnement avait été grand car habitué de cette ligne, nous étions d’habitude tirés par une locomotive diesel (la gare de Roanne n’est pas électrifiée).


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