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Ferdinand le facteur de Pradines
Je dédie ce conte à tous mes anciens collègues de Roanne-Principal (Bernard)<o:p></o:p>
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FERDINAND LE FACTEUR DE PRADINES<o:p></o:p>
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Les contes des Bords du Rhins<o:p></o:p>
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Cela faisait une bonne dizaine dannées que Ferdinand était préposé à la distribution du courrier dans le secteur de Pradines. Ce métier il lexerçait avec convictions, attaché quil était à la fonction publique, mais aussi avec la désinvolture, au sens noble du terme, qui caractérise assez souvent le comportement des gens heureux.
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Originaire du Beaujolais viticole. Il en avait gardé un goût très sur pour les produits de la vigne et ses compétence dans se domaine lui valaient lestime générale. Quelquefois naturellement
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Tout le monde lappelait par son prénom et peu de personnes, en vérité, connaissaient son nom de famille ; lui-même nen faisait guère état. Ce nest pas quil fut ridicule mais il le considérait comme trop répandu et il ne sy attachait pas sincèrement. Son prénom, en revanche, le personnalisait suffisamment, disait-il, pour quil néprouvât nul besoin de lui ajouter autre chose.
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Tous les matins, à heure fixe, il quittait le bureau de Poste de Pradines et tous les soirs, à heure moins fixe, il y revenait. Entre ces deux points de repère se déroulait sa tournée quil effectuait partie à pied, partie à bicyclette suivant létat des chemins.
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Sachant quil avait un certain nombre de lettres, de paquets poste et dimprimés à distribuer, auxquels venaient sajouter en fin de mois les mandats des retraites et des pensions. Il organisait son itinéraire en usant dune psychologie toute personnelle. « Voyons » se disait-il, et il classait : « une carte postale des Chemins du Passé pour le docteur Jean B. lancien maire de la commune, un paquet pour le Vieux Bourg , deux lettres pour le Crêt de Chézy, un mandat pour la Picolière », il continuait jusqu'à épuisement du contenu de la sacoche. Puis il se recueillait un moment et décidé alors des priorités à accorder, moins en fonction de son humeur du moment que des amitiés quil entretenaient tout au long du circuit. Il avait ainsi catalogué sa « clientèle » et celle-ci, du moins la fraction privilégiée, savait lui témoigner sa reconnaissance par de petites attentions auxquelles il était fort sensible. Pour les autres, les choses nallaient pas toujours aussi aisément et tel qui aurait pu espérer recevoir son courrier vers le milieu de la matinée ne voyait passer le facteur quau début de laprès-midi.
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Ferdinand avait ainsi ce quil appelait « sa dignité ». Il nadmettait pas dêtre traité comme un simple porte-paquets, auquel on adresse un remerciement du bout des lèvres ; il aimait les contacts chaleureux, les gens qui selon lui savaient vivre, et ne supportait ni les grincheux ni les chiens hargneux, agressifs, méchants, aux aboiements interminables qui essayaient de vous mordre « traîtreusement en douce » au moment où vous vous y attendez le moins. Et cest en partant de ces critères quil avait fait ses choix.
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Comme la population du secteur était relativement stable, que les caractères évoluaient peu, la situation sétait figée et chacun, bon gré mal gré, en avait pris son parti.
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Notre homme lui ne se plaignait pas ; il jugeait sa mission hautement positive dès linstant quil avait fait le tri entre le contraignant et lagréable. Cest dans cette dernière catégorie quil plaçait quatre ou cinq bonnes maisons et ceux quil appelait « ses vieux ». Là, Ferdinand sattardait, soit quon le fit entrer pour goûter au vin nouveau soit quil eut à sacquitter dune commission dont quelque brave personne lavait chargé.
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Lune de ses haltes privilégiées se trouvait sur le chemin qui mène au Vieux Bourg à Montgalant ; à la hauteur de la Voisinée, il sarrêtait au bord de létang et attendait, les jours de canicule que la chaleur lui devint plus supportable. Allongé, la tête reposant sur la fermeture de la sacoche pour témoigner de sa conscience professionnelle, il senfonçait petit à petit dans la béatitude de la sieste. Au réveil, il lui fallait souvent mettre les bouchées doubles ; dans ce cas, on le voyait expédier en un temps record ce qui lui restait à faire de la tournée si bien que les gens non avertis en tiraient des conclusions hâtives.
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Mais ce qui lui laissait à nen pas douter limpression la plus agréable, cétait ses rencontres quasi quotidiennes avec « ses vieux ». Ils étaient une bonne demi-douzaine auxquels il rendait visite régulièrement même si aucune nécessité professionnelle ne lui en faisait obligation. Seul lien parfois, avec une société qui les avait plus ou moins rejetées, Ferdinand, par de multiples services quil rendait à ces personnes âgées donnait à sa profession un côté humain auquel il était parfaitement sensible. Il y avait même du côté de Bozon une vieille femme qui devait avoir dépassé les 80 ans et qui vivait seule dans une petite maison en contrebas de la route. Pratiquement sans famille à lexception dun vague neveu qui ne venait la voir que de loin en loin. Amélie Ducrêt attendait chaque matin Ferdinand sur le pas de sa porte. Ce dernier navait pas grand-chose à lui apporter qui relevât de son service mais il sarrangeait de temps à autre pour lui glisser dans les mains quelque dépliant ou revue publicitaire dont il avait pris soin auparavant de modifier la bande. Amélie, en revanche, avait souvent besoins quon lui fit quelque commission : cétait un médicament à renouveler, une démarche auprès de la Sécurité Sociale dont elle ne saisissait pas le sens et quelle ne pouvait effectuer.
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Ferdinand acceptait toujours avec le sourire ce quil appelait « sa tournée annexe » et le lendemain, à la même heure, il apportait ce quon lui avait demandé. Depuis plusieurs années, pour les fêtes du Jour de lAn, il poussait la gentillesse jusquà commettre un pieux mensonge : il adressait ainsi à Amélie une carte de vux quil signait en imitant vaguement la paraphe du petit neveu et il lapportait triomphant, à la bonne vieille. Alors le miracle se produisait : Amélie, les yeux embués de larmes embrassait Ferdinand comme elle leût fait sil avait été de sa propre famille et Ferdinand, heureux, mais tout aussi ému, sentait monter en lui un sentiment diffus de reconnaissance envers son administration qui, peut-être bien malgré elle, lui permettait tout de même de donner à la notion de « service » sa véritable et chaleureuse dimension.
<o:p></o:p> Léo MIQUEL (1982)
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