• INONDATIONS DU MIDI : DÉSASTRES EPOUVANTABLES

    INONDATIONS DESASTRES EPOUVANTABLES

     

    Causés par d’effrayantes inondations qui viennent de jeter la consternation dans le département de l’Aude et de l’Hérault. Le nombre considérable de maisons qui ont été renversées et englouties par ce terrible fléau, ainsi que plus de trois cents personnes qui ont péri, parmi lesquelles se trouve une jeune femme, serrant dans ses bras le corps inanimé de son enfant, désolation des habitants qui ont eu leur cimetière bouleversé et les cadavres de leurs parents entraînés. Courage d’un prêtre qui, au milieu des flots a rappelé un grand nombre de personnes à la vie. Intrépidité d’un chien qui a retiré des eaux dix-sept femmes et enfants qui se noyaient.

    Capture.JPG DESSIN

     

    ON ECRIT DE NARBONNE :

    Un désastre épouvantable frappe nos contrées. Depuis la fin septembre, de grandes pluies n’ont pas discontinué. Narbonne est entourée d’une vaste mer.

    Toutes les communes environnantes sont dans la désolation l’eau a tout envahi ; les pertes sont immenses. A chaque instant, l’eau enlève des troupeaux, des arbres, des maisons. On vient de ramener sur les bords de la Robinne une armoire à glace contenant du linge, des bijoux et quantité d’effets précieux ; elle a été déposée à la mairie, où elle sera probablement réclamée.

     

    Rien ne résiste à la force de l’inondation. Les moindres ruisseaux sont des torrents, et hier nous avons vu passer plusieurs cadavres parmi lesquels une jeune femme serrant encore dans ses bras le corps inanimé de son enfant étouffé sans doute dans une étreinte convulsive. A Coursan, l’eau arriva au preleier étage, et la crue devenait si forte que samedi, dans la nuit, on a sonné le tocsin d’alarme ; les habitants des communes voisines sont arrivés dans deds nacelles, et l’ingénieur s’est rendu lui-même sur les lieux, et après avoir enfoncer les portes des maisons, on en a retiré plusieurs personnes déjà presque morte de frayeur.

     

    A Bize, quatorze maisons sont englouties ; à Sallèles, on en compte dix ou douze. La route de Villedogne a été emporté ; les eaux de l’Orbien se sont élevées à une hauteur effrayante ; le pont construit sous l’habile direction de M. Desplace, a seul résisté.

     

    Sur le chemin de Bige, la voiture qui fait le service journalier de Narbonne a été entrainée par le torrent : les chevaux ont été étouffés ; le conducteur a été sauvé presque miraculeusement, mais ses jours sont encore en danger.

     

    A Canet, l’eau a tout envahi, c’est à peine si on aperçoit les pignons des maisons les plus élevées.

    Les caves qui contenaient la récolte de plusieurs années ont été submergées si violemment que les tonneaux s’entrechoquaient et se sont brisés, et l’on ne voyait alors qu’une immense quantité de vin, seule ressource d’un pays que ce désastre ruine complètement.

     

    A Orvaisons, plus de vingt maisons se sont écroulées. Les communications n’ont lieu qu’en bateau ; plusieurs négociants de Narbonne viennent d’ouvrir une souscription spontanément pour envoyer des vivres aux habitants des campagnes inondées.

    Cette inondation dépasse de 75 centimètres celle de 1772, qui a laissé parmi nous de si funestes souvenirs. Le courrier de Paris n’est pas arrivé depuis deux jours, celui d’Espagne manque tout à fait. Nous n’avons aucune communication avec l’Hérault ; car l’eau passe sur le pont de Béziers, et on n’a trouvé personne qui voulût se hasarder à porter les dépêches sur une nacelle.

     

    Des nouvelles reçues des départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales font un tableau effrayant des inondations qui ont eu lieu par suite de ces grandes pluies.

     

    Dans l’Aude, la plaine de Coursan a été inondée. A la Cesse, quinze maisons ont été renversées et quinze personnes ont péri.

     

    La magnifique terre de Truilhas a souffert un dommage irréparable ; la Cesse l’a couverte de plus d’un pan de son gravier ; le jardin qui était sans contredit le plus beau de la contrée, n’est plus qu’une ruine. Trois mille pieds d’oliviers, dont chacun donnait sa mesure d’huile, ont été arrachés et emportés, ainsi que la riche orangerie.

     

    L’administration du canal a beaucoup souffert pour sa part des suites de ce débordement sans exemple. On a craint pour le pont d’Ognon, qui a été endommagé. Entre Paraza et Ventenac, le petit ruisseau  de Jonquière s’est tellement accru qu’il a presque entièrement comblé le lit du canal du gravier qu’il entrainait. Sur d’autres points de la même retenue, d’immenses excavations ont été creusées par les eaux des petits torrents de la localité ; le pont-aqueduc de Reprude a été troué en plusieurs endroits et le canal mis à sec. En face de Ventenac, le canal a été comblé par les décombres d’un mur entier.

     

    A Peyrac, les murs du cimetière ont été emportés ; les tombeaux ont été ouverts et les ossement dispersés. On n’a pu découvrir deux cercueils contenant deux cadavres inhumés depuis peu. Vingt-cinq ou trente comportes ont été remplies d’ossements humains qu’on a déposés dans une chapelle, pour les replacer plus tard en terre sainte.

     

    Dans le département des Pyrénées-Orientales, la plaine de Salanque a été entièrement inondée. Deux arches du pont en construction sur l’Angly ont été renversées. Les agents voyers qui étaient sur le pont ont roulé au milieu des flots parmi des décombres ; on est cependant parvenu à les sauver.

     

    Quatre maisons ont croulé à Argelès ; Sorède a également souffert. Les jardins de Collioure ont été emportés.

     

    La rivière de Ballaury a fait aussi de grands ravages dans son cours, elle a renversé plusieurs maisons de fond en comble ; plusieurs vignobles ont été détruits.

     

    La route d’Amélie-les-Bains est interceptée par suite d’un éboulement considérable de rocher.

     

    Les nouvelles de Porvendres sont aussi des plus affligeantes. Tout ce qui se trouvait sur les quais de l’ancien port a été entraîné dans la mer.

    Le nouveau bassin a été comblé par les ruines des murs renversés.

     

    Grone a principalement souffert de ce désastre : cinquante-sept maisons ont croulé, et plus de deux cent cinquante cadavres sont ensevelis sous les décombres ou entrainés par les torrents. La population est dans la plus grande consternation.

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    Aux détails mentionnés ci-dessus sur les désastres occasionnés par les dernières inondations qui ont ravagé les départements de l’Hérault et de l’Aude, le Journal de Béziers en ajoute de nouveaux. Un voyageur de Paris qui se trouvait à Cette sur le pont de service, au moment où il s’est brisé, est mort des suites de sa chute. Mais les malheurs supportés par le département de l’Hérault ne sont rien en comparaisons de ceux qui ont désolé celui de l’Aude. Nous avons déjà cité quelques faits. En voici d’autres, et nous ne reprenons que les principaux :

     

    A Peyrise, où, comme nous l’avons dit, les eaux ont bouleversé le cimetière, il a fallu plusieurs jours pour recueillir et rendre à la terre ces tristes débris.

    Marseillette est de nouveau un étang, et dans les parties basses les batisses sont inondées. Plus loin,la rivière l’Orbieu, après avoir ravagée le territoire de Lagrasse, se joignit à l’Aussieu pour renverser, près d’Ornaisons, deux maisons situées sur la grande route. Les débris charriés jusqu’au pont de Villedagne y avaient arrêté les eaux qui se sont frayés un passage sur le côté, en emportant 400 mètres environ de chemin fermant l’avenue du côté de Narbonne.

    Un petit ruisseau, le Rec la Fumade, qui coule sous les murs de Lézignan, menaçait d’engloutir plusieurs maisons qu’il a fallu étançonner.

     

    La catastrophe de Bise n’est malheureusement que trop vraie ; ce n’est pas le village proprement dit qui a été envahi par le débordement de la Cesse, de ce côté le lit est profond ; mais  sur la rive opposée, à l’endroit où se tient la foire, l’eau peut s’étendre sans obstacles, et c’est là que plusieurs maisons nouvellement bâties, dont quelques-unes inachevées ont été rasé de fond en combes, des familles entières y ont péri surprises par le torrent. Nous ne parlons pas du pont en fil de fer détruit, des troupeaux de bêtes à laine et des bestiaux submergés.

     

    A Sallèles, les habitants après avoir tenté tout ce qu’il était humainement possible de faire pour consolider les digues d’enceinte et les préserver d’une destruction qui pouvait entrainer celle d’une grande partie de leurs habitations, convaincus de leur impuissance, laissèrent le champ libre au fléau et se précipitèrent dans l’église pour implorer la Providence ; mais le fleuve eut bientôt rompu les digues et submergé le village. Vingt maisons détruites jusqu’aux fondements, un plus grand nombre ébranlées et menaçant ruine, de grandes mares d’eau, des monceaux de boue : voilà les traces qu’à laissées le passage du torrent.

     

    Cuxac était menacé du même sort, mais ici l’homme fut plus fort que l’eau. Dirigés par un ingénieur aussi habile qu’intrépide. M. Pamérou, tous les bras du pays s’employèrent et parvinrent à paralyser les efforts des vagues et à les maintenir dans leur lit jusqu’à ce qu’elles eussent retrouvé à se répandre par la rive opposée.

     

    De Cuxac à Coursan, la rivière s’est frayé un passage sur les deux bords par cinq brèches énormes, et a changé en un lac immense la plaine de Coursan. Du haut du pont de ce village, on pouvait voir passer au milieu des flots, des meubles, des charrettes, des bestiaux, et, chose épouvantable, des hommes, des femmes, des enfants entraînés sans espoir vers la mer.

     

    Les plaines de Salles et de Fleury ont été aussi dévastées.

    Il est rare qu’au récit de ces terribles catastrophes, on ne puisse ajouter de quelque noble dévouement qui soulage un peu le cœur de l’aspect de tant de misères.

    A Peyriac, ce sont des gendarmes qui exposent courageusement leur vie, au milieu de la nuit, pour sauver celles des habitants.

    A Cuxac, c’est M. Paméron que nous avons déjà nommé, ce sont tous les travailleurs qui restent sur les digues aux endroits les plus périlleux ; c’est surtout le digne curé qui, dans une nacelle, au milieu du torrent, à, par ses soins empressés, rendu plusieurs personnes à la vie. Un chien de Terre-Neuve a rendu de grands services. On l’a vu se jeter à la nage, et dix-sept fois de suite ramener des femmes et des enfants que les flots entraînaient.

           JOURNAL ( vers 1837 - 1840)


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