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    FRANCOIS I° ET SA NOUVELLE COIFFURE : LE JOUR DES ROIS

    C'était, mercredi dernier, la fête des brioches au sel et des coiffures à la Titus. La célébration en a été remise au dimanche suivant. Voilà pourquoi, aujourd'hui, les perruquiers mettent une immortelle à leur boutonnière, et les pâtissiers une fève dans leurs gâteaux.

     

     Pasquier, au livre septième de ses recherches, nous dit qu'en 1521, précisément le jour de l'Epiphanie, François Ier bombardait un fort que défendait Saint-Pol. L'artillerie royale faisait un ravage épouvantable, et le prince s'en donnait à cœur joie avec les jeunes seigneurs qui s'étaient associés à lui pour cette petite guerre, ou les boulets étaient de neige.

     Les assiégés, se voyant chauffés de trop près, ripostèrent tout à coup par un feu roulant. L'énergie de ce choc inattendu fit ployer les assaillants, et la victoire penchait pour leurs ennemis, quand soudain un tison, partant de l'une des redoutes, également en neige, et dans laquelle on avait allumé du feu pour réchauffer les mains des combattants, vint effleurer la tête du monarque et le mettre hors de combat.

     

    Les courtisans ayant voulu blâmer la maladresse du duc de Montgomery, qui, dans sa précipitation, avait jeté tout ce qui se trouvait sous sa main, François Ier leur ferma la bouche en disant :

     

    — Eh, messieurs, qui n'entend pas le jeu ne doit point jouer. Quanta moi, je n’accuse rien, ni personne, et je suis prêt à recommencer, dès que je serai guéri, si la neige dure encore. Cependant les chirurgiens en cheveux furent consultés, et ils opinèrent pour l'amputation. Sa Majesté fut donc tondue, mais le prince ainsi fait, craignant d'avoir l'air d'une momie, imagina de porter un chapeau à grands rebords et de laisser croître sa barbe. Dès le soir même, les courtisans se couchèrent sans toupets.

     

     Huit jours après, la province eut imité la cour. On n'osa plus paraître en cheveux; une tête frisée aurait eu l'air d'un siècle ambulant. Cette mode des cheveux courts et de la grande barbe dura jusqu'à Louis XIII. Vers cette époque, on coupa peu à peu la barbe en laissant croître les cheveux. Malgré cela, l'institution de la fête de la Titus a été conservée, et les coiffeurs, ayant fait une sainte alliance avec les héros de la pâte ferme et de la feuilletée, célèbrent leurs saints et patrons le même jour.

     

    C'est un grand honneur pour un perruquier que d'être roi de la fève; c'est une gloire ambitionnée par les fabricants de galettes que d'être coiffés à la Titus. Autrefois, les Grecs d'Athènes faisaient usage de fèves dans l'élection de leurs magistrats, et après dépouillement des votes, pour les mettre en purée aux croûtons. Ce fait est consigné dans Plutarque et le Voyage d'Anacharsis, qui ont maladroitement oublié de nous dire si, au besoin, dans les réjouissances publiques, l'urne au scrutin ne leur servait pas de soupière. Les Romains, qui trouvèrent la chose plaisante et bouffonne, la leur empruntèrent bravement ; les enfants du Forum, pendant les saturnales, s'amusaient à tirer au sort à qui serait le roi du festin. Varius et Plotius, ces bons amis de Virgile, quand ils allaient à la Popina, ne jouaient-ils pas la bouteille de Syracuse à la courte-paille?  Nous autres qui avons inventé le vaudeville, qui sommes orgueilleux de la poudre Charlard, des chapeaux de bal et du Panthéon, nous ne pouvions, sans déroger à notre singerie nationale, manquer de nous emparer de cette coutume pour la poétiser à notre façon et en fabriquer une fête de famille et toute patriarcale. Ca donc été la même cause et le même caprice qui nous valurent les soupers d'Auguste et les royales fèves du Pirée.

     Hippocrate et Aspasie ne pensaient certes pas qu'après eux, on saurait boire aussi sec et s'amuser à la loterie des fèveroles. Pourtant, si la fête des Rois n'était que la fête d'un monarque, elle tomberait bientôt en désuétude; mais la fête des Rois est en même temps celle de toutes les réunions qui peuvent se donner une brioche de Félix ou un gâteau de Savoie de Guillet. De là vient que l'Epiphanie, institution purement gastronomique, ressemble au réveillon, solennité de ventre, qui, comme toutes les bonnes traditions de bouche, est de force à résister à bien des bouleversements, à bien des déluges, à bien des disettes. Aussi il faudrait pouvoir assister, comme Asmodée, à ces élections de roitelets, véritables rois d'Yvetot, ayant les honneurs du refrain bachique, mettant leur premier ministre au sec et condamnant leurs mauvais sujets au régime des confitures. Il faudrait voir ces rois de chaque étage, de l'entresol à la mansarde, puiser eux-mêmes la voix du peuple au fond d'une serviette et grimper au dessert sur le pavois de la table. Puis, pour combler la mesure de ces joies, pour ajouter encore aux bonheurs de cette charge éphémère, la loi veut qu'il n'y ait pas de roi sans reine, et le partage de la couronne de caramel appartient de droit à la plus jolie ou à la plus aimée ; ce qui fait que quelquefois des mariages assortis ont commencé par le royal légume.

     

     Malgré ces riants résultats, il s'est rencontré des gens assez peu friands du sceptre pour se soustraire aux honneurs du «  le roi boit! » en essayant d'avaler la fève : la royauté les étouffait. Ce n'est cependant pas une-chose difficile à conduire qu'un royaume qui a pour horizon le parvis d'une salle à manger, et où les contributions se paient en pralines et en pistaches ; mais c'est souvent dispendieux, un avènement qu'il faut célébrer avec des biscuits de Reims, du vin d'extra et du nougat de Marseille. De pareilles tentatives de suicide disparaîtraient si, dans ce gouvernement, il y avait un autre code que le Cordon bleu, une autre charte que les règles de Carême et de Viard, un autre programmé que celui de Lesage, et, surtout, si le roi de la fève avait une liste civile.

     

    En revanche, point de protocoles, pas d’ordonnances,  pas d'ordres du jour, pas de drames-régence, de revues épisodiques, de revues au Carrousel, pas de garde-malades et de gardes à monter  peuple et foi se portent à merveille et se servent au même plat. Le roi trinque jovialement avec ses sujets, et lorsque les gouvernés ne sont pas satisfaits des gouvernants, comme la pourpre n'est pas héréditaire, ils donnent des chiquenaudes sur le nez du roi et vont tranquillement se coucher par là-dessus.

                                                                                Burat de Gurgy.


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