• TESTAMENT DE GEOFFROY-TÊTE-NOIRE

    dit « LA GRANDE DENT ??? »

    (Vers 1380.)

    Il s'agit ici d'un testament militaire, rédigé assez cavalièrement par le capitaine Tête-Noire, dont il faut d'abord dire un mot. Ce Geoffroy Tête-Noire était l'un de ces chefs de compagnies anglaises qui, pendant les guerres du XIV° siècle, infestaient les provinces éloignées, s'y emparaient des châteaux pour leur propre compte, et les gardaient jusqu'à ce qu'on les en délogeât par la force : plus brigands que guerriers, ils ne vivaient que de pillage.

     Le capitaine Tête-Noire, avec trente de ses soldats, occupait le château de Ventadour dans le Limousin, qui lui avait été livré en 1378, moyennant 6000 liv., par la trahison d'un valet du vieux comte de Ventadour. Comme ce château-fort était bien approvisionné, le capitaine Tête-Noire s'y maintint et repoussa toujours courageusement les troupes qui venaient l'attaquer. C'était un homme vaillant et même ayant une certaine loyauté; Car le perfide valet qui livra le château, ayant mis pour condition additionnelle qu'on sauverait la vie à son vieux maître, le capitaine le promit et tint parole. Il entendait parfaitement le métier de la guerre.

    Cependant un jour il s'avança un peu trop en repoussant une attaque, et « du trait d’une arbaleste (dit Froissard, Liv. III, cha. 136) tout outre le bacinet et la coeffe furent percez et fut narie d’un cartel en la teste tant qu’il luy en convint gesir au lict…. De cest bleceure, s’il se fust bien garde, il eust tost guery. Mais mal se garda especialement de fornication de femme dont cher l’achepta car il en mourut ; mais auant que la mort le prensit, il en eu bien la congnoissance et lui fut dit qu’il estoit et gesoit en grand péril, car sa teste estoit a postumée et qu’il voulist penser à ses besongnes et a ses ordonnances »

    C'est alors qu'il fit venir ses compagnons d'armes, et « s'estant assiz emmy son lict, » il les pérora, les engagea à prendre pour capitaine un de ses parents, nommé Alain Roux, qui était de la troupe, ainsi que Pierre son frère, pour capitaine en second ; ce qu'ils firent tous avec plaisir, parce qu'ils lui étaient affectionnés et dévoués. Ensuite le moribond fit son testament.

    C'est ce testament militaire qui est l'objet de cet article. Nous allons conserver le style naïf de Froissart, dans l'exposé de cette pièce. « Quand toutes ces choses furent faites et passées, Geoffroy-TesteNoire parla encores,. et dit : Or bien, seigneurs, vous avez obéi a mon plaisir ; si vous en say gré et pour ce ie veuille que vous partissez (que vous ayiez part) a ce que vous avez aidé a conquerir. Je vous dy qu'en cest arche (coffre-fort) que vous veez là (et lors la monstra a son doy, et dit :) il y a jusqu'a la somme de trente mille francs. Si en veuil ordonner, donner et laisser a ma conscience ; et vous accomplirez loyaument mon testament. Dites ouy, et ils respondirent tous : Sire, ouy.

    Testament : « Tout premierement (dit Geoffroy) » ie laisse a la chapelle Sainct George (qui sied au» clos de ceans) pour les reparations etreedifications, mille et cinq cens francs.


    » En apres, a m'amie qui loyaument m'a seruy, deux mille cinq cens francs.

    » En apres, a Alain Roux, vostre capitaine, » quatre mille francs.

    » Item, a mes varlets de chambre, cinq cens » francs.

    » Item, a mes off1ciers, mille et cinq cens fr.

    » Item, le surplus ie laisse et donne ainsi » comme ie vous diray. Vous estes (comme il  me semble) enuiron trente compaignons d'vn » fait et d'vne emprise : et deuez estre freres, et  d'vne alliance, sans débat et riotte (rixe, querelle), n'estrif (ni bataille) entre vous. Tout ce  que ie vous ay dit, vous trouverez en l'arche : » si departez entre vous trente le surplus bellement, et si vous ne pouvez estre d'accord et  que le diable se mette entre vous, veez là une  hache, bonne et forte, et bien trenchant,  rompez l'arche : et puis en ayt qui auoir en pourra (A).

    » A ces mots, ils respondirent tous, et dirent : Sire et maistre, nous serons bien d'accord. Nous vous auons tant douté (redouté) et aimé,  que nous ne romprons mie l'arche : ny ne  briserons ja chose que vous ayez ordonnee et  commandee. »

    » Ainsi que ie vous compte, continue Froissart, fut du testament Geoffroy-Teste-Noire : et ne vesquit depuis que deux jours, et fust enseuely en la chapelle de Sainct Georges de Ventadour. Tout son laiz fut accomply, et les trentemille francs departis a chacun, ainsi que dit et ordonné l'auoit; et demourerent capitaines de Ventadour Alain Roux et Pierre Roux, frères. »

    J. Tronçon, jurisconsulte, a rapporté le testament de Geoffroy-Tête-Noire, dans son ouvrage intitulé : Le Droit francois et Coutume de la prévôté et vicomte de Paris, où il est fait rapport du Droit romain. Paris, 1664 (5.e édition), in-fol. Dans son commentaire sur l’art. 289 de la coutume en question, il le donne comme exemple d'un ancien testament militaire.

    Pour nous, nous l'avons pris et copié littéralement dans L’Histoire et chronique mémorable de Messire Jehan Froissart, reveu et corrigé sus divers exemplaires et suivant les bons auteurs, par Denis Sauvage de Fontenailles en Brie, historiographe de Henri II. Lyon, chez J. de Tournes, 1674, 4 vol. in-fol. Voyez le tiers vol., ch. 136, pp. 326-326.

    NOTE.

    (A) Ces expressions cavalières caractérisent bien l'homme et le siècle. On voit que ce testateur était de ces gens du caractère d'Achille, sans comparaison d'ailleurs, celui dont parle Horace, Art. poét., v. 122:

    Jura negat sibi nata, nihil non arrogat armis.

    « Il se croit au-dessus des lois et s'arroge tout par les armis. »

    Mais une chose qui paraîtra fort singulière, c'est que dans le  Dictionnaire Historique deMM. Chaudon et Landine, on ait attribué à notre roi Charles VI, ce testament de Geoffroy-Tête-Noire, dont les expressions ne peuvent guère convenir qu'à un spadassin ou à un soldat sans éducation.

    . L'erreur, qui sans doute n'a été commise que par abstraction, est un peu forte. Il y a un autre article du même dictionnaire, je ne m'en rappelle pas le titre, mais qui est assez plaisant par une autre erreur qu'une précipitation typographique a fait commettre. Cet article commence l'histoire d'un Sultan, elle se continue jusque vers la moitié de l'article; puis tout à coup, sans aucune espèce de transition, le lecteur se trouve vis-à-vis un capucin dont la moitié de la vie termine l'article musulman ; de sorte qu'on n'a fait qu'un seul article de la partie supérieure d'un grand turc et de la partie inférieure d'un bon religieux de S. François.


    Revue : LA MOSAIQUE DU MIDI AVRIL 1837

    Pierre Raymond II, comte de Comminges, était mort ne laissant qu'une fille, Marguerite, qui fut mariée avec Jean III, comte d'Armagnac. Salies passa, avec le comté de Comminges, sous la domination de Jean, et ne put échapper, malgré les soins de ce comte qui avait fait ajouter une tour de plus à son château, aux ravages des compagnies désappointées, commandées par le fameux Geoffroi-Teste-Noire, surnommé la Grande dent.

     En 1390, le Bourg de Caupène, un des capitaines des compagnies, vint, par ordre de Teste-Noire,  qui se tenait à  Ventadon, en Limousin, lever des impôts dans l'Armagnac et le Comminges.

    Salies (aujourd’hui Salie de Béarn) opposa de la résistance, et ne voulut point payer les contributions qu'on lui imposait : c'est une époque mémorable pour cette ville. Le Bourg de Caupène irrité, commença le siège, la prit d'assaut et la brûla ; une partie des habitants fut massacrée. Jean arrivait à son secours avec 109 hommes d'armes et 50 hommes de trait, mais elle était pillée et le Bourg de Caupène avait disparu.

    Les traces de l'incendie de Salies sont encore lisibles ; on ne creuse presque pas de fondations dans la ville, qu'on ne retrouve des bancs de cendres et de charbon, souvent même des ossements humains.

    POUR PLUS DE RENSEIGNEMENTS SUR « GEOFFROY TETE-NOIRE » JE VOUS CONSEILLE LA LECTURE DE  L’OUVRAGE DE NOTRE AMI BERTRAND LACROIX CONSACRE A CE PERSONNAGE (disponible à la Bibliothèque des Chemins du Passé).




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