• LE VER A SOIE : Trois légendes mythologiques

     

    LE VER A SOIE

    Trois légendes mythologiques

     

    Les histoires, fabuleuses des dieux de l’antiquité ont toujours exercé, sur l’esprit des enfants et même des grandes personnes, un attrait tout particulier.

    Aussi pensons-nous intéresser les lecteurs en leur rapportant trois légendes sur le ver à soie.

     

    Voilà tout d’abord un bel épisode extrait du poème des Vers à soie de Jérôme Vida de Crémone, dans lequel le poète latin fait revivre les mœurs des premiers humains dans l’enfance du monde :

     

     A cette époque, les mortels nés d’un chêne entr’ouvert, endurcis et sauvages erraient nus dans les bois à la manière des bêtes féroces ; ils ne faisaient encore aucun usage du lin ni des toisons, mais ils se dérobaient au froid rigoureux des hivers et se garantissaient de l’humidité des nuits en s’enveloppant dans des feuilles pendant le jour ; les arbres les mettaient à couvert de la pluie, les entrailles profondes des rochers leurs servaient de retraite pendant la nuit. Confondus çà et là dans les laines immenses, les jeunes garçons et les jeunes filles erraient ensemble impunément ; aucun voile ne couvrait leur nudité.

     

    Mais l’univers commençant à se peupler, la pudeur cessa de leur être inconnue, ils se recouvraient de la dépouilles des animaux féroces ; la peau de bœuf, celle du terrible lion, servirent à couvrir et envelopper leurs membres.

     

    Les divinités elles-mêmes sans aucun voile ; sans aucune distinction, habitaient les demeures célestes. La Déesse Pallas enseigna la première à confier à la terre la semence du lin qui n’a point de nœud, à tondre la brebis chargée de laine et à entrelacer ces fils délicats dont la toile se compose ; elle se para d’abord de vêtements divers et porta des robes ornées de brodures richement variées. Les autres déesses prirent alors la même parure dont elle leur fit présent.

     

    Vénus seule était restée nue et s’attristait de n’avoir point eu part à la libéralité de Minerve, la brodeuse, qui portait envie à sa beauté.

    Vénus après avoir longtemps servi de risée à la déesse sa rivale, se retira dans les bosquets ombrageux d’Idalie, et s’y cacha avec ses enfants dans les épais bocages ; mais le sort et un Dieu propice à ses vœux vinrent un jour à son secours. Saturne avait vu Phyllire, la plus belle des Oréades, errante et cueillant certaines plantes sur les hautes montagnes des Pélasges ; il fut épris des charmes et de la brillante jeunesse de Phyllire. Ah ! Combien de fois ce dieu suppliant essaya-t-il de fléchir les mépris de la nymphe par d’inutiles présents ! Ah combien de fois vint-il se promener dès le matin sur ces monts pluvieux, où il découvrit les simples et l’usage qu’on en fait dans l’art médical ! La nymphe fuyait avec obstination le dieu qui l’adorait. A quel parti devait-il se résoudre ? Saturne se rend auprès de Vénus et réclame son appui, en promettant à la déesse de reconnaître ses bienfaits.

     

    Elle l’avertit qu’il ne parviendrait point, malgré ses efforts, à toucher le cœur de Phyllire, dont les sens résistent au pouvoir de l’amour et que ni les prières, ni les présents ne pouvaient la changer ; il doit avoir recours à la violence et à la ruse. Elle lui demande de prendre à l’instant la forme d’u superbe coursier et de paître à l’endroit même où la nymphe venait cueillir des herbes, afin de vaincre sa résistance, au moyen de cette métamorphose.

     

    Bientôt le dieu suivit les ordres de la déesse et prit la ressemblance d’un coursier. On lui opposa d’inutiles efforts, il fit retenir le Mont Pélion d’un hennissement qui annonça son triomphe et la défaite de Phyllire.

     

    Saturne, pour prix des faveurs de Vénus, et désireux de lui offrir un don précieux, lui remit de petites graines renfermées dans un linge blanc comme la neige. « Déesse, lui dit-il, pour prix de vos bienfaits, ces semences vous fourniront une parure plus éclatante que le lin et que la plus belle laine. Vous pouvez vous passer des présents que vous a refusés l’injustes Minerve ». Il daigna encore lui enseigner les règles de cet art divin, dont il avait fait la première découverte, lorsque fuyant la colère de son fils Jupiter, il méditait sur les montagnes écartées ; lisant aussi dans l’avenir, il assura Vénus, qu’après des siècles révolus, naîtraient des poètes qui célèbreraient ces belles découvertes dans tout l’univers, par des chants que les jeunes filles de l’Ausonie, agréablement occupées à filer, répéteraient avec plaisir.

     

    Le ver à soie, cette petite bête sans apparence qui travaille si visiblement pour d’autres, en tissant à travers tant de peignes un or dont elle n’a que faire, fut toujours prise dans les vieux âges comme un symbole d’abnégation. Les anciens peuples ont entouré ses origines de mythes profonds et charmants.

     

    Une vieille légende grecque raconte que Jupiter ouvrit un jour dans l’Olympe une sorte de Comice agricole, pour savoir lequel des animaux qui travaillait le plus directement pour l’homme et l’enrichissait du produit le plus précieux.

    Le Père des Dieux faillit, paraît-il, céder au favoritisme : il allait donner le prix aux abeilles, depuis longtemps illustres à la cour olympienne, pour avoir nourrit, sur le Parnasse, Apollon enfant. C’est alors que l’on vit ramper jusqu’au trône un ver grisâtre et misérable, que tous les dieux furent secoués de leur beau rire. Seul Éros pleurait auprès de sa mère, parce que la corde de son arc venait encore une fois de se briser. Tout à coup l’insecte inconnu se dirigea vers le coin sombre où, de dépit, le petit dieu avait jeté son jouet : il tendit aussitôt sur l’arc plusieurs fils brillants tordus ensemble, si souples et si tenaces qu’ils ne cassèrent jamais, et c’est pourquoi, depuis lors, les flèches d’Éros ne manquent jamais leur but.

    Jupiter reconnut que le premier bien des mortels : l’amour ne pouvait se passer de soie ; mais quand il voulut décerner le prix, l’humble vainqueur, laissant aux abeilles leur place parmi les dieux, s’était éclipsé chez les hommes, qui le cachèrent toujours aux honneurs et à la jalousie de Jupiter.

     

    L’origine de la soie remonte au temps les plus reculés ; une gracieuse légende arabe la fait remonter au roi Salomon.

    La reine de Saba, dit cette légende, avait ébloui toute la cour de Salomon et le puissant monarque lui-même n’était pas insensible à la beauté trop brune de la belle Sabéenne. Il y fut si peu insensible qu’un beau soir il lui proposa de devenir sa femme. La reine, pour toute réponse, lui présenta une perle de Golconde : « Sire, cette perle unique dans son genre, est percée naturellement d’un sillon sinueux qu’il est impossible de suivre ; je serai votre épouse le jour où un fil pourra traverser cette perle, afin que je la puisse porter à mon cou ».

     

    Salomon fit assembler ses mages, ses devins, ses sorciers ; il n’était simple fellah qui ne fut invité à résoudre le royal problème.

    Un soir que le monarque confiait au zéphyr son mortel ennui et son désespoir, un ver à soie compatissant lui proposa de lui venir en aide. La perle lui fut confiée sur l’heure, le chétif animal amincit son corps souple, pénétra dans la perle et, après mille détours ressortit, par l’autre extrémité, tenant entre ses dents le fil qu’il avait filé. Le problème était résolu : la reine porterait la perle à son cou.

     

    Salomon fut reconnaissant à son ver et le remercia.

    L’humble bombyx étonné et touché d’un sentiment si rare chez l’homme, se fit porter sur un murier, fila son cocon, expliqua au monarque l’usage qu’il pourrait faire de sa précieuse coque, puis s’envola au loin, après avoir doté l’empire d’une richesse inattendue.

     

      M. MESSIER, Ingénieur agronome, Directeur de l’Office national Séricicole (1933).

     


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