• LES ORIGINES DU CHATEAU DE BOISY (1° partie)

     

     

    LES ORIGINES DU CHÂTEAU DE  BOISY

    (Première partie)

     

    Par M. Henry DUPONT (Compte Rendu Annuel 1970 ; de la Société des Amis des Arts de Charlieu).

     

    Je commencerai cette causerie en faisant l’éloge d’un personnage qui n’est pas médiéval, mais à qui nous devons au cour du XIX° siècle, non seulement nos routes, nos chemins de fer et notre prodigieux essor industriel, mais aussi le sauvetage de nos monuments historiques et de nos archives.

     

    Sans celui, qu’un de nos plus grands poètes a surnommé Napoléon le Petit, les précieuses archives du Duché de Roannais ne nous seraient pas parvenues et il est probable que je ne pourrais aujourd’hui, rien vous dire des origines du château de Boisy.

     

    Napoléon III, qui fut l’instigateur et l’animateur d’une œuvre intérieure immense et des progrès techniques qui allaient révolutionner son époque, a sauvé nos archives historiques de la destruction la plus complète par la création de fonds de conservation nationaux, départementaux, et municipaux dont l’organisation reste un modèle.

     

    Cet homme méconnu, a été bafoué, car on ne pardonne jamais aux Grands la moindre défaite. Je rendrai donc, si vous me le permettez, un hommage à ce  souverain pour son action efficace en faveur de la petite et de la grande histoire.

     

    Si à Roanne, vous demandez à l’homme de la rue : « Qui a construit le château de Boisy » ? Il y a cent chances contre une pour qu’il vous réponde « Jacques Cœur ».

     

    C’est au docteur Noëlas, savoureux écrivain du siècle passé, que nous devons la merveilleuse légende de Jacques Cœur et de l’édification surnaturelle du château de Boisy.

     

    La réalité, si elle diffère de la légende, n’en est pas moins merveilleuse car elle montre que les origines du plus beau château gothique de notre département furent l’œuvre d’une intelligente famille en même temps que l’aboutissement de son ascension au plus haut degré de l’échelle sociale.

     

    Si nous voulons assister aux différentes étapes de la genèse de ce remarquable monument, il nous faut revenir 700 ans en arrière au temps du roi Saint Louis et nous rendre à Saint-Haon-le-Chatel qui est alors la capitale de notre pays roannais.

     

    Cela pourra surprendre, mais Roanne, n’est alors qu’une bourgade minuscule, sans activité économique et aussi sans navigation qui devait bien plus tard contribuer à sa fortune.

     

    Si, en 1220, est mentionné le port de Roanne, il ne faut pas se méprendre sur le sens de ce mot. Port signifiant au Moyen-âge, un lieu de passage sur un cours d’eau à l’aide d’un bac. Ce moyen de transport, généralement accompagné d’un droit de péage, était une source d’importants revenus pour celui qui le possédait.

     

    Saint-Haon-le-Chatel, par contre se trouve sur le grand chemin de Forez « l’Iter Forensis », qui est le nom de prend chez nous la grande voie médiévale de Paris à Montpellier, importante artère commerciale qui centralise tout le trafic économique du Nord au Sud de la France. Toutes les villes plac²ées sur son parcours connaissent richesse et prospérité.

     

    Le comte de Forez l’a bien compris et sa politique, dans la première moitié du XIII° siècle, après la fin des guerres « Beaujeu » qui lui ont laissé les mains libres en Forez et Roannais, aura été d’acquérir toujours plus de biens et de droits dans Crozet, Saint-Haon, Saint-Germain-Laval et Montbrison.

     

    En accordant une charte de franchise à Saint-Haon, en 1720, il favorise l’augmentation de la population et l’expansion de son commerce. Dès lors les habitants ne pourront plus tenir dans les murs du château primitif et il leur faudra construire à l’extérieur des nouveaux remparts  (ceux que nous voyons aujourd’hui). Il faut donc se représenter Saint-Haon, d’une toute autre façon que de nos jours, car c’était alors une cité surpeuplée et frémissante d’animation.

     

    Dans la ville, il y a des notables, en général vassaux du Comte, qui sont soit des nobles qui préfèrent résider en ville plutôt que dans leurs maisons-fortes, soit de riches bourgeois ou d’importants propriétaires ruraux. Ces derniers sont généralement d’anciens paysans fieffés et il est probable que certains d’entre eux, qui ont servi en armes le comte pendant la guerre ont été favorisés par lui et ont obtenu des droits et des charges. Tel un certain Simon, dit de Saint-Haon, que nous trouvons châtelain du comte à Saint-Just-en-Chevalet, en 1255 et 1257.

     

    Cet officier fera hommage au comte de Forez en 1260, pour les biens qu’il détient dans la région de Renaison et de Saint-Haon-le-Châtel. Il devait posséder en ailleurs à cette époque, le domaine de Boisy, que nous retrouvons plus tard, aux mains de ses héritiers.

     

    Puis de 1275 à la fin du XIII° siècle, nous voyons évoluer ses deux fil : Pierre et Philippe Simon, qui accroissent le patrimoine paternel par de multiples achats de terres et de droits.

     

    Audin Simon, fils de Pierre, sera le premier à ajouter à son patronyme le nom de sa terre de Boisy, il ne vivait plus en 1334.

     

    Jean Simon de Boisy, son fils, sera à l’origine de la fortune de la famille, car tout un concours de circonstances viendra l’aider. Il héritera, d’abord, de tous les rameaux collatéraux de la famille Simon, décimée par la grande épidémie de « peste noire » de 1348-1349 ; puis en épousant la sœur de Jean de la Grange, le futur Cardinal il connaîtra la faveur royale et obtiendra la charge la plus élevée que le Roi pouvait donner en Roannais, celle de Sergent d’Armes. Cet office s’apparentait à la fois à celui d’un capitaine de gendarmerie, d’un prévôt et d’un huissier. Cette charge était la porte ouverte pour accéder à la noblesse.

     

    Mais faisons une parenthèse pour parler de ce grand Roannais méconnu que fut le Cardinal de la Grange, fils d’un notable d’Ambierle, Geoffroy Janigout dit de la Grange, à cause de sa petite terre, toujours ainsi nommée près du hameau des Villards, il fit de très sérieuses études au monastère de Cluny., s’y fit remarquer par sa science et son extrême intelligence. Il devint bientôt le prieur de Gigny en Bourgogne, puis abbé de Fécamp, en Normandie.

     

    C’est là qu’en 1368, le roi Charles V le distingua, car il avait très habilement fortifié Fécamp contre les Anglais.

     

    L’année suivante, nous le trouvons continuellement au Louvre, où il paraît comme Conseiller du roi. Il est bientôt chargé par lui de nombreuses missions diplomatiques dans toute l’Europe et en particulier près du Pape, en Avignon et à Rome.

     

    Ses avis sont tellement précieux pour le roi que nous le trouvons bientôt chargé des portefeuilles des Affaires Étrangères, des Finances et de la Guerre. Il est en fait, le Premier Ministre de Charles V. C’est un homme fin, intrigant et redouté, sorte de Richelieu et de Talleyrand. Le roi le fait nommer évêque d’Amiens, un des plus riches évêchés de France, puis deux ans après, en 1375 ; le Pape lui confère le chapeau de Cardinal avec l’évêché de Frascati, en Italie. Il est chargé par Charles V de l’éducation des enfants royaux et il est si dur avec eux que le futur Charles VI conçoit pour lui une haine farouche.

     

    Aussi après la mort du roi en 1380, il quittera précipitamment Paris et se rendra auprès du Pape, pour lequel tout le restant de sa vie, il sera un émissaire et un plénipotentiaire précieux, auprès des cours souveraines d’Europe.

     

    Charles VI conservait sa rancune, puisque après le départ du Cardinal il disait à Pierre de Savoie son chambellan : « Dieu merci, nous voilà délivré de la tyrannie de ce capelan ».

     

    Jean de la Grange testera en Avignon, en 1402, et aura alors une idée horrible qui nous montre combien cet homme pouvait avoir, à la fois, d’orgueil et d’humilité, de mysticisme et de réalisme. Il veut qu’après sa mort, sa chair son séparée de ses os et inhumée dans l’église Saint-Martial d’Avignon où sera construit un mausolée. Quant à ses ossements ils seront transportés à Amiens pour y être enterrés dans le cœur de la cathédrale. On frémit en pensant à cette opération répugnante entre toutes et qui ferait reculer de dégoût plus d’un médecin légiste de notre temps.

     

    Deux magnifiques monuments furent édifiés dans ces deux églises. De celui de Saint-Martial, reste aujourd’hui conservées au musée Calvet de nombreuses statues de saints et celle du Cardinal, représenté nu et couché à l’état de cadavre. Cette figuration, appelée le « transi » est d’une perfection anatomique et d’un réalisme impressionnants. La cathédrale d’Amiens a gardé longtemps la plaque tombale et le gisant de Jean de la Grande. Des fragments en subsistent dans le jardin de l’Archevêché et au Musée de la ville.

     

    Dans ce même testament, le Cardinal fondait une chapelle dans l’église du prieuré d’Ambierle, chapelle de deux travées qui existe encore. C’est l’actuelle sacristie. On y voit à la clé de voûte les armes de Jean de la Grange surmontées du chapeau et des cordons, insignes de son cardinalat.

     

    Ce grand Roannais, qui dirigea notre pays pendant les dix dernières années du règne de Charles V, fut un des artisans du redressement français pendant la guerre de Cent ans. Complètement inconnu de nos contemporains, nous souhaitons qu’un jour la ville de Roanne veuille bien donner son nom illustre à l’une de ses rues.

     

     

     

     

     


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