• calen 1894

    LA BELLE LETTRE DE LA « ME »

     

    Lorsque le facteur arrivait péniblement en haut de la côte, il savait chaque fois qu’il verrait, accroupie sur son seuil, la mé  Bouvange. Alors, du même geste las, enlevant sa casquette pour essuyer son front avec son mouchoir à carreaux, il disait avec un petit filet dans la voix :

    -          Pas de lettre pour vous, la mé !...

    La vieille grand-mère, qui avait levé la tête pour voir venir le facteur, la rabaissait bien vite comme si elle avait eu honte. Et le facteur, sans oser s’attarder devant la douleur de la vieille, remontait, d’un pas lourd, les chemins où le sable crissait sous ses souliers.

    -          Qu’est-ce qu’elle attend, la mé ?...

    Demandaient les bonnes gens que la curiosité empêchait de se tenir en place, mais qui n’osaient jamais s’adresser à la vieille.

    -          Eh bien ! C’est sa petite fille qui travaille à la ville ! Elle s’inquiète, la pauvre femme, elle ne sait pas ce qu’elle devient, Jeanne, qu’elle s’appelle la « peutite » !...

    Et le facteur continuait sa tournée.

    - Jeanne ? Eh oui ! Pensaient les ménagères, c’est celle qui est partie depuis pas mal de temps, depuis que ses parents ne sont plus de ce monde !

    - Pauvre mé ! Elle n’a pas revu sa petite ! Chuchotaient les femmes en continuant leurs travaux.

    Cependant, la vieille mé se levait péniblement de son seuil, et elle entrait dans sa mystérieuse petite maison ou personne ne venait la voir et d’où jamais on ne la voyait sortir ne fût-ce que pour quelques heures.

     

    Elle restait là, les journées entières, à s’abîmer les yeux sur de longs ouvrages de dentelle si fins et si fragiles, que c’en était un émerveillement.

    Mais tout à coup, elle sortait, laissait retomber son ouvrage sur ses genoux tremblants et elle regardait au loin sur la route. Elle clignait longuement de ses paupières fatiguées et puis elle se disait tout bas en elle-même : « Qu’est-ce qui lui est arrivé mon Dieu ! Qu’est-ce qui lui est arrivé ? Est-ce qu’elle serait malade, la petite, ou bien… » Et elle sentait un tremblement la saisir.

    Elle se souvenait que Jeanne avait toujours était une bonne petite fille, qu’elle avait toujours montré à sa grand-mère la tendre affection, elle avait été une petite fille modèle, elle avait dû le rester. C’était certain ! Rien n’aurait fait changer d’idée à la vieille mé. Et elle se remettait à coudre de plus belle, son aiguille volait, volait…

     

    Et les heures aussi se succédaient avec une rapidité amenant l’instant où la mé verrait la silhouette du facteur se profiler sur la terre ensoleillée.

    Il venait…Alors le cœur de la mé s’arrêtait. Il lui semblait bien, chaque fois, que le facteur brandissait une lettre dans sa main droite et qu’il lui faisait des signes des yeux, mais c’était une vision seulement. Le facteur, le facteur disait d’une voix grosse pour changer un peu :

    -          Non ! Il n’y a rien la mé !...Qu’est-ce qu’elle fait votre fille ?...

    Et la mé, alors, pour se soulager de toutes angoisses, se mettait à bavarder.

    -          Elle est dans la ville, disait-elle et pis elle travaille la dentelle comme moué ! Et pis, elle est gentille comme tout !...

    -          Oui, oui, la mé ! Vous en aurez « une « un  de ces jour ! La petite n’a sans doute pas le temps, la mé ! Vous verrez, vous verrez ça ! C’est moi qui vous le dis !... Je fais un pari avec vous, la mé, si vous n’avez pas de lettre, eh bien, je vous donnerai…Oui ? je vous donnerai quelque chose !

     

    C’est ainsi que l’année s’étira et on arriva à sa fin sans que la mé ait reçu de lettre. Elle ne disait rien. Elle regardait plus sur la route, la mé ! L’espoir était passé avec les heures, les jours, les mois… Il s’en allait avec l’année.

     

    Et elle ne regarda pas sur la route, la mé lorsqu’elle entendit des pas au loin. Elle regarda sa belle dentelle pour se passer l’envie de se lever les yeux encore une fois sur la route, encore une seule fois pour voir…

    Soudain, la mé tressaillit. Elle se sentit secouée un peu. Elle avait deux bras autour du cou mais elle ne voyait rien. Son cœur battait comme un tambour bat la charge. Et elle entendit la voix du facteur.

    -          Y a rien pour vous, la mé !...Y a rien…Mais j’apporte cette petite que j’ai vu descendre à la gare Hé ! Hé !

     

    Et la mé se mit à rire ou à pleurer, on n’a jamais su ce que c’était des deux, en sentant près de son cou ridé, le rire, les bras frais, et la voix de sa petite Jeannette.

     

                                                                                          Sylvain Reiner.


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  • musique facteur

     

    LE FACTEUR A L’OPHICLEIDE (tiré du « Journal de Roanne)

     

    J’ai connu, dans le temps, un facteur de campagne qui était un bien brave homme. Oh ! Je sais bien que ce signalement convient toujours aux facteurs ruraux, mais, vécut-il encore, le père Leroux ne pourrait plus être un brave homme de la même façon que jadis.

     

    Il venait quelques fois à la maison et l’on reconnaissait son pas rapide et ferré, qui faisait rouler devant lui les cailloux du chemin. Mais à peine l’avait-on entendu qu’il apparaissait, son sac sur la hanche, la bouche fendue d’un large sourire, l’air extraordinairement pressé. Il ne pouvait venir à personne l’idée de faire perdre du temps à un homme qui affichait une telle hâte. Cependant, comme notre facteur arrivait toujours, autour de midi, un peu avant, un peu après, et parfois pendant qu’on se trouvait à table, on lui disait :

     

    -          Voulez-vous rendre quelque chose facteur ?

    -          Oh ! Sur le pouce ! Un petit croûton, rien qu’un petit croûton ! Le suis pressé, pressé…

     

    Déjà notre homme pressé était assis à table, et, son sac rejeté sur la cuisse, mangeait. Et c’était un coup d’œil que de le voir jouer de la fourchette et des mandibules ! Il ne demandait rien. Oh ! Non, mais il accueillait avec appétit enthousiaste tout ce qu’on mettait devant lui. Cela durait dix minutes, un, quart d’heure, des fois plus, et quand il n’y avait plus rien dans son verre ni dans son assiette, il se précipitait vers la porte en mâchant, avec la dernière bouchée, un  remerciement. On l’entendait, au pas de course grimper le chemin de chez nous.

     

    Le plus curieux, c’est qu’il lui arrivait de faire, autour de midi, trois ou quatre stations du même genre, dans des maisons plus ou moins rapprochées. Lorsqu’on recensait ensuite tout ce qu’il avait consommé, on  restait confondu devant les capacités d’absorption de cet homme pas plus grand que ça et qui trouvait encore le moyen d’être maigre.

     

    Mais ce qui conférait au père Leroux une personnalité digne de mémoire, c’était son ophicléide. Car il jouait de cet instrument suranné, bien plus, c’était lui qui, chaque dimanche, à la grande messe et aux vêpres, donnait le ton aux chantres et les accompagnaient. Oui, lui, le facteur, et la République, alors toute jeune, n’en prenait pas ombrage.

     

    Notez qu’il n’appartenait même pas à la paroisse et qu’il venait de la commune voisine où se trouvait le bureau de poste.

    Dès son arrivée au bourg, il  s’arrangeait pour distribuer le courrier de la campagne aux gens qui arrivaient à la messe, après quoi libre de son temps, il s’adonnait à la musique sacrée. Souvent il était en lutrin avant tous les chantres, et, après avoir extrait son ophicléide d’un étui en cuir, il s’exerçait silencieusement en manœuvrant les clés, les yeux attachés sur l’antiphonaire.

     

    Cet ophicléide faisait notre joie, à nous autres, les galopins que le frère Nicéphore avait tant de peine à faire tenir tranquilles à l’église. Le son bizarre que le facteur en tirait, la mine qu’il faisait en soufflant dans le petit entonnoir où ses lèvres disparaissaient, et surtout les mouvements imprévus des petits couvercles de cuivre qui s’entrouvraient et se fermaient à des distances considérables des doigts du musicien nous causaient de perpétuelles distractions. C’était bien pis quand les chantres et le facteur entraient en conflit, soit qu’ils n’eussent pas pris le même ton, soit qu’au cours d’un graduel ou d’un offertoire, ils eussent cessé de marcher ensemble. Alors ma foi, chacun tirait de son côté, et heureux si l’on trouvait le moyen de finir à peu près en même temps. Le père Leroux a pris sa retraite, voilà bien longtemps, et je crois même qu’il n’est plus de ce mode.

     

    Oui, c’était un bien brave homme et qui représentait un type de P.T.T. que nous ne reverrons pas de si tôt.

     

    Louis Mercier (article du « Journal de Roanne » en date du dimanche 4 juillet 1920

     

    Plus de renseignements sur cet instrument de musique :

    http://www.metronimo.com/fr/musique-et-musiciens/74.html


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  • facteur rural.

    Le Facteur

     

    Ce vieil ami de la maison,

    Ce messager toujours fidèle

    Qui se charge en toute saison

    D’apporter la bonne nouvelle,

    Cet infatigable marcheur

    De la ville ou de la campagne

    De la plaine ou de la montagne

    C’est le facteur

     

    Parti chargé de grand matin,

    Sac au dos comme un militaire,

    Avec sa grosse canne en main,

    Il a très longue course à faire

    Ses jarrets ont de la vigueur.

    Son pas résonne sur la route,

    Et chacun dit sans aucun doute

    C’est le facteur,

     

    De son courrier qu’il a classé

    D’après l’adresse de la rue.

    Avec l’air toujours empressé

    Chaque missive il distribue,

    Il ne veut faire aucune erreur ;

    Qu’il sonne ou frappe ou qu’il appelle,

    C’est la visite habituelle,

    C’est le facteur

     

    Il doit affronter tous les temps

    Le soleil, le froid, la poussière,

    Et la boue et les ouragans

    De ce dur métier de misère,

    Mais ce brave serviteur

    On a pitié de la souffrance

    On a de la reconnaissance

    Pour le facteur

     

    Car le français est généreux

    Et récompense les services

    Pour ce serviteur courageux

    Il consent à des sacrifices

    Pour ce brave homme on a du cœur,

    C’est un ami toujours fidèle

    Du devoir le parfait modèle

    Notre facteur.

     

    André CHAUVIERE (Joyeux Refrains pour écoles et patronages)


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  • blog 2011 facteur d'aujourd'hui

    FACTEUR D’AUJOURD’HUI

    Maintenant la bicyclette s’est ajoutée au facteur ; c’est une gageure de le voir utiliser  le moins stable des véhicules, le petit miracle incessant, dans les plus difficiles chemins. Le facteur est devenu une sorte d’acrobate cycliste, et se glisse sans glisser parmi les plus molles embûches, côtoyant des ornières à donner le vertige, toujours vainqueur de son instrument, devenu partie corporelle de lui-même.

    On le voit circuler là-dessus avec la liberté du cavalier à travers les chemins des champs, dans son tangage et son roulis où il passe rebondissant et bossué.

    Car, aujourd’hui, la bicyclette a surchargé le facteur. Sous prétexte qu’on pouvait l’encombrer de fardeaux, le messager n’est plus seulement un porte-lettre : il est devenu un portefaix ; il véhicule des paquets atteignant jusqu’à trois kilogrammes…Il en a gros à véhiculer, à réserver aussi ; sa pèlerine s’élargit, s’étend, forme toiture, et sa silhouette anguleuse s’allonge toujours. Il ne gémit pas, il ne rouspète point ; au contraire, plus il en a, plus il est content ; il fait un peu penser, sauf votre respect de son dévouement, à l’admirable vaillance des chiens attelés qui s’égosillent et s’échinent.

    La bicyclette doit tout vaincre, mais c’est peut-être plus fatiguant que jadis, à cause des changements d’allure. Chargé comme un mulet, le facteur ne peut espérer monter la côte sur son instrument ; il le pousse. L’intempérie le retarde et le harasse…Principalement en Normandie, le cycle, malgré toute sa virtuosité, sera contraint d’abandonner dans les mauvais jours d’hiver, ces vergers plantés, au centre desquels trône la maison. Ici, les roues enfonceraient à mi-moyeux…

    Que tous les solitaires campagnards la connaissent bien la déception du facteur ! Et qu’elle est violente ! On arrive, son apparition est une promesse, l’espoir prend cette forme humaine, amicale et usuelle :

    -Y a-t-il des lettres ?

    - Oh ! Non Monsieur.

    Et c’est trois factures avec faire-part. L’homme seul, alors, se replie tout entier, se resserre et se contracte. Il remonte chez lui, dans son atelier, avec un petit vertige : rien, rien.

    Le facteur vous a souri, vous a montré sa gentillesse touchante, vous a même tendu sa poigne ; il ressaute en selle, et il s’en va, décroissant au long de la lente avenue, tout de suite devenu minuscule, dévoré par la distance, figure noire et sans couleur.

                                                              LA VARENDE (La Normandie en fleurs).


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  • baudets
     

     

    M O N    F A C T E U R

    Poème sans surtaxe

     

    Mon facteur est un homm’charmant.

    Je lui en fais le compliment,

    Et chaque jour par tous les temps

    Je l’attends

    Cœur battant.

     

    Comm’ les facteurs du monde entier

    Il est guetté dans tout l’quartier

    On connait de loin sa silhouette,

    Sa bell’ casquette

    Et sa musette

    A h ! oui, j’aime bien mon facteur !

    C’est lui qui fait bondir mon cœur.

    Mais certain jours,

    De mauvais jours,

    D’ennui, de tristess’ de chagrin,

     

    Effacés dès le lendemain

    Mon facteur est un être

    Que l’on guette à chaque fenêtre

    Les femmes lui font les yeux doux

    Et quand il dit,

    Tout réjoui :

    « Madam’, y a quelques chos’ pour vous »

    La dam’ très vite

    Se précipite

    Pour venir chercher le message

    Qu’elle glisse dans son corsage.

    (C’est une dame pas très sage).

     

    Mon facteur est un homme charmant

    Que je ne vois… qu’une fois par an,

    Quand il m’apport’ (carton papier)

    Un superbe calendrier

    Imprimé en tas à la chaîne

    Chez un grand imprimeur de Rennes.

    « Bonne année…bonne santé… »

    Et j’ai la joie de lui donner

    Sans faire la queue au guichet

    De quoi payer un pichet.

     

    Mon facteur fait un dur métier ;

    Pour moi il use ses souliers

    Par tous les temps…qu’il pleuve ou vente

    Qu’il tomb’ de l’eau… de l’eau à seaux

    Que la chaleur soit accablante

    Que l’on grill’ par le sirocco

     

    Il est toujours fidèle au poste

    Et chaque jour, il quitt’ la poste

    Avec sa boît’ plein’ de nouvelles

    Pour les hommes et les demoiselles

    Il y en a pour tous les goûts

    Et ça fait mouche à chaque coup :

    Lettre d’amour,

    D’amours fidèles

    Voir éternel…

     

    Il y a des lettres d’aventure,

    Il y a des lettres de rupture,

    Des Factures

    Des sommations

    De contrôleur de contributions,

    Avis de non déclaration

    De la Radiodiffusion

    Il porte les contraventions

    Procès de la circulation

     

    Il y a les fair’part

    Que l’on range à part…

    Des mariages

    De jeune’s filles encor sages

    Il y a des lettres de décès…

    Pour Monsieur X…plus de procès !

    Heureux sort

    Pour le mort

    Qui n’aura plus chaque jour à guetter

    Ce que l’homme des P.T.T. pourrait lui apporter

    Et cependant…

     

    Mon facteur est un homme charmant

    Je lui en fais le compliment.

     

     

              Georges BERNARDET (Les Heures Joyeuses des Trois Baudets -1951)

     


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