• ON NE MELANGE PAS LES TORCHONS ET LES SERVIETTES

     

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    Mais :ON NE MELANGE PAS LES TORCHONS ET LES SERVIETTES

     

    JOURNAL LIBERATION DUMERCREDI 19 MAI 2010

    Une grande menace pèse sur le XVIe arrondissement de Paris, où 20% des contribuables payent l’ISF et possèdent un patrimoine moyen de 2,95 millions d’euros.La municipalité veut y construire des HLM. Aussi est-ce la révolte dans ce quartier où le nombre de foyers riches est onze fois supérieur à la moyenne nationale.

    Pour atteindre l’objectif légal de 20% de logements sociaux et amener, au passage, un peu de mixité sociale, l’équipe de Bertrand Delanoë a lancé quatre projets, totalisant 407 appartements, portes d’Auteuil et Dauphine, à La Muette et à Exelmans. Tous ont été stoppés net par une mobilisation tous azimuts des habitants, soutenus publiquement par des élus UMP, dont le maire d’arrondissement, Claude Goasguen. La méthode ? Des recours, ou menaces de recours, déposés devant les tribunaux administratifs par des justiciables suffisamment armés sur le plan juridique pour être efficaces. Les engins de chantier se sont donc arrêtés au stade du terrassement. Et les parcelles, si rares à Paris, demeurent à l’état de friches.

    Référé. Tout est suspendu, y compris un petit immeuble de cinq étages, rue Nicolo (à la Muette), qui ne compte pas plus de 31 appartements, dont un tiers de studios et un tiers de trois pièces. «Les riverains ont attaqué de toutes parts. Pour freiner, pour ensabler, faire capoter»,s’exaspère Daniel Meszaros, du cabinet d’architectes Projectile, en charge du projet. Des voisins ont d’abord fait venir sur place des inspecteurs de la Drac (direction régionale des affaires culturelles) afin d’obtenir le classement d’un vieil immeuble promis à la démolition pour libérer la parcelle. «Sans intérêt patrimonial», ont conclu les fonctionnaires du ministère de la Culture. Les riverains ont alors attaqué en référé le permis de démolir du vieux bâtiment. Déboutés. Qu’à cela ne tienne : le permis de construire est contesté devant le tribunal administratif et, cette fois, ils ont gain de cause.«Le plan local d’urbanisme (PLU) de Paris est tellement complexe qu’on peut toujours trouver, dans un permis de construire, un petit détail, une faille pouvant motiver son annulation, souligne un haut fonctionnaire municipal. Il suffit d’avoir les moyens de se payer d’excellents avocats.»

    L’argent n’est pas un problème. L’association Quartier Dauphine Environnement, qui a fait suspendre l’un des projets, a déjà «dépensé 25 000 euros en frais de procédures [devant les tribunaux]», a indiqué à Libération son président, Eric Lefranc. Et elle entend continuer. «Ce projet n’a pas de futur. Nous voulons que le terrain sur lequel on souhaite construire les immeubles demeure un espace vert […]. Les gens qui habitent le quartier ont payé au prix fort leur appartement pour bénéficier d’un cadre de vie agréable», justifie-t-il. D’où viennent les fonds ? De cotisations de riverains déterminés à faire capoter la construction des 135 logements sociaux prévus sur place. L’association, qui compte 500 membres, utilise Internet pour faire rentrer des contributions. Il est possible de faire des dons en ligne d’un montant de 100 à 500 euros, et même de 2 000 euros au titre de «membre bienfaiteur».

    Dans les recours, les permis sont passés au crible : largeur de vue, limite séparative des façades, hauteurs des bâtiments, formes architecturales, impact visuel, accès des secours… Toutes les arguties sur des mesures prévues pour le bonheur des futurs occupants de ces immeubles sont utilisées pour mieux torpiller les projets.

    Dans leurs écrits, ces associations ne mettent jamais en avant leur hostilité au logement social. Elles s’abritent derrière des considérations urbaines, architecturales, ou ayant trait à l’environnement. La défense du cadre de vie est rabâchée dans leurs textes. «Halte au massacre des espaces verts !» peut-on lire sur des communiqués de Quartier Dauphine Environnement, en lutte contre un projet avenue du Maréchal-Fayolle ». Un argument peu crédible : l’avenue Fayolle jouxte le bois de Boulogne et ses 846 hectares de verdure. Les 135 logements prévus sur place ne menacent en rien cet environnement privilégié.

    Pour mieux combattre ce programme, les riverains s’en prennent aussi à l’architecture des immeubles, pourtant dessinés par l’agence japonaise Sanaa, qui vient d’obtenir le Pritzker, sorte de Nobel de la discipline.«Trop novateur», aux yeux des voisins. «Un choix purement pour l’image, au mépris de l’environnement», proclame leur site internet. Le projet a pourtant été approuvé par l’architecte des bâtiments de France. «Architecture bling-bling», balaye d’un revers de phrase Eric Lefranc. Un peu plus loin, le programme de la porte d’Auteuil, qui mêle logements sociaux et logements privés, a lui aussi été dessiné par des professionnels reconnus : Rudy Ricciotti, Anne Demians, Francis Soler, Finn Geipel. Menacé de recours. Celui de la rue Varise (à Exelmans) a été confié au prestigieux Atelier Christian de Portzamparc. Suspendu. Pareil pour la rue Nicolo. «On est écœuré. On a proposé un petit bâtiment organisé autour d’un jardin. On a soigné le moindre détail», s’exaspère l’architecte Daniel Meszaros.

    Riverains et élus jurent, la main sur le cœur, qu’ils n’ont «rien contre les logements sociaux». Ni contre leurs bénéficiaires. Ce qui ne convainc pas Jean-Yves Mano, adjoint (PS) au maire de Paris chargé du logement et élu du XVIe : «Tous les stéréotypes sont à l’œuvre. Les gens pensent que les HLM vont faire baisser la valeur de leurs appartements, que des familles à problèmes vont venir perturber leur quiétude…Mais ils n’osent pas le dire comme ça. Alors ils font de la procédure.»A chaque fois, le tribunal administratif a tranché en leur faveur.

    «Immondice». Pudiques à l’écrit, les gens se lâchent parfois lors de réunions publiques organisées par les associations. En février dernier, le député UMP Bernard Debré a qualifié d’«immondice inhabitable» le projet de Sanaa. Et le député et maire Claude Goasguen ne veut pas de ces HLM à «proximité immédiate de l’ambassade de Russie, avec qui cela va poser des problèmes de sécurité évidents» (le Figaro du 18 février).

    Et tout cela se passe dans un arrondissement qui compte à peine 2,5% d’HLM, contre plus de 30% dans les XIXe ou XIIIe. Pourtant le XVIe compte aussi ses demandeurs d’un logement social : 3 800, au total. «Des retraités ou des familles qui éclatent. Ils n’ont plus les moyens de payer des loyers du privé. On a aussi des couples avec enfants logés dans des chambres de bonne», précise Jean-Yves Mano. Ces considérations n’émeuvent pas outre mesure les associations. «Tous les projets de logements sociaux sont bloqués dans le XVIe ? Ce n’est pas notre affaire»,lâche sans détour Eric Lefranc.

    Note : Pourquoi cet article ? Simplement parce que j’ai résidé plus de 14 mois au 62 rue Nicolo dans le début des années 1980, dans les bâtiments qui abritaient le foyer « Trocadéro » de la Poste. La Poste qui a cédé cet emplacement à la ville de Paris en 2005.


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