• L'homme n'a pas attendu que des sergents de ville eussent inventé l'impératif catégorique : « Cirrrculez ! » Pour se donner pas mal de mouvement à la surface du globe. Il le faut bien, puisque voilà longtemps que tout est habité, sauf les endroits inhabitables. Cela suppose bien des pérégrinations variées, dont l'histoire n'a daigné nous raconter que quelques-unes. Mais le peuplement du monde entier n'a nullement mis fin, comme on peut le voir, à cette activité calculatrice. Jamais on n'a imaginé tant et de si parfaits moyens de se transporter d'un bout de la terre à l'autre que depuis le jour où l'on a été sûr, en se déplaçant, de trouver la place prise partout. L'homme marche. Cette marche à travers les siècles et selon les circonstances prend mille noms divers. Il marche sur terre, il marche sur l'onde, il marche même dans les airs. Il marche en envahissant, il marche en émigrant, il marche en colonisant, il marche en explorant; il marche pour faire des conquêtes comme pour faire des visites. Le coureur qui briguait la couronne olympique usait de ses pieds comme le disciple d'Aristote qui écoutait en se promenant les théories de son maître. Sur quelque point du globe qu'on jette  les yeux, ce sont des gens qui se déplacent. La vie de l'humanité se manifeste avant tout par une série de mouvements : mouvements des laboureurs dans les campagnes, mouvement de la foule dans les rues, mouvement sur les frontières des peuples. Le commerce enfante des déplacements qui s'appellent importations, exportations, transit, livraison, organisation de caravanes. La religion en crée aussi, qui s'appellent processions, pèlerinages, croisades. Les pouvoirs publics en organisent pour leur part, et de redoutables : ébranlement d'armées sur les champs de bataille, évolutions de flottes sur les mers. Donc, tout bouge sur la terre, le Nord comme le Midi. Mais rien de plus varié que les moyens de locomotion dont dispose le roi de la nature.

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     Ces moyens nous allons, avec la permission de nos lecteurs, les passer rapidement en revue. La chose est doublement actuelle : d'abord, parce que nous vivons à une époque où l'on invente sans cesse de nouveaux instruments de transport, ensuite, parce que chaque mode de déplacement exerce sur la fraction d'humanité qui se déplace une influence sociale parfois bien curieuse, et aujourd'hui, sur quelque terrain que l'on se trouve, l'on cherche instinctivement le point de vue social. Oui, le véhicule a une grande influence sociale. Nous nous en apercevrons dès le premier pas — c'est ici le cas d'employer la figure — et le premier pas dans l'art de la locomotion a précisément consisté à mettre, comme l'on dit vulgairement, un pied devant l'autre.

     

    LA LOCOMOTION PEDESTRE

    Quand Tartarin arriva, tout couvert de boue et de poussière, au sommet trop civilisé du Righi, une servante lui demanda s'il voulait prendre l'ascenseur pour monter dans son appartement. Et Tartarin très fier répondit : « Pedibus cum jambisse, ma belle chatte ! » 

    Sous une forme pittoresque, l'illustre Tartarin exprimait une vérité profonde, à savoir que les plus merveilleuses inventions humaines sont loin de rendre inutiles les moteurs naturels mis par Dieu lui-même à la disposition de ses créatures. En dépit de tous les véhicules et de toutes les combinaisons destinées à diminuer la fatigue, l'habitude de marcher ne s'est pas perdue. Elle est si bien vivante que beaucoup de personnes, en des endroits où ils n'auraient qu'à se laisser emporter sur l'aile de la vapeur ou de l'électricité, éprouvent le besoin de se servir de leurs jambes ne fût-ce que pour protester.

     

    Du reste, avez-vous remarqué une chose? C'est dans les grandes villes, où fourmillent omnibus et tramways, que l'on rencontre le plus de gens affairés marchant très vite, et c'est dans les petites villes, où n'existe pas la moindre patache, que l'allure des promeneurs est peut-être le plus indolente. Dans nos armées, l'artillerie a fait bien des progrès. Pourtant n'est-ce pas l'infanterie qui garde le surnom de « reine des batailles » ? Des stratégistes prétendent même que les batailles se gagnent autant avec les jambes qu'avec les bras. Bien des désastres qui déroutent, dans l'histoire des combats célèbres, provenaient probablement de ce que l'une des deux armées était fatiguée par une longue étape et ne se sentait, pas la force de jouer encore des jambes pendant une heure ou deux. C'est que la guerre se fait sur tous les terrains, y compris ceux où ne peut se hasarder aucun véhicule, et que du reste on ne saurait trouver des véhicules appropriés aux évolutions multiples de quatre ou cinq cent mille soldats.

     

    De même, dans nos grandes villes, il est mille occasions où l'on a plus vite fait de faire une course à pied, ou d'envoyer un commissionnaire, que de s'adresser à un système de communication plus compliqué, quel qu'il soit. N'est-ce pas aux environs des gares que l'on a le plus de chances de rencontrer ces individus qui, voyant passer une voiture chargée de malles, se mettent à lui courir après à toutes jambes ? Le chemin de fer, chose curieuse, crée donc des occasions de gagner de l'argent avec ses pieds. Mais il est encore des pays, et des plus vastes, où le seul moyen de transporter les marchandises est de les charger sur le dos d'un homme, et de lui dire : « Marchez. ».

    C'est ainsi, que les choses se passent en Afrique. Demandez plutôt au commandant Marchand, un nom, prédestiné par exemple ! Et ce n'est, pas une petite affaire que de traverser un continent de la même manière que Tartarin escaladait le Righi. Une promenade à pied, pour nous, évoque essentiellement l'idée d'une chose banale et facile.  Nous oublions — ingrats que nous sommes — que d'innombrables générations d'ancêtres ont travaillé à nous donner des routes, des rues, à inventer le pavage, l'asphalte, le macadam, à remplacer par des chemins bien entretenus de longs rubans de forêts ou de formidables tranches de marécages. II faut se représenter le monde : tel qu'il était à l'aurore des siècles, tel qu'il s'offrit aux premières familles qui voulurent se déplacer et planter leur tente ailleurs. A part les prairies, où la marche, on le comprend, était relativement facile, tous les autres terrains du globe durent opposer de singulières résistances aux velléités ambulantes des premiers promeneurs de l'humanité.

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    Les premières marches furent de vrais combats contre l'arbre, contre la liane, contre la broussaille, contre la boue, contre les rochers, contre les bêtes féroces innombrables dans ce premier âge de l'humanité. On a remarqué depuis longtemps que les Indiens de l'Amérique du Sud ont l'habitude de marcher les uns derrière les autres, comme des étudiants en monôme. On appelle même cela « marcher à la file indienne ». Pourquoi? Parce qu'on est loin de circuler commodément dans les forêts tropicales, et que, lorsqu'on, y a pratiqué un passage à peine assez large pour un homme, c'est déjà bien beau. Or, l'habitude une fois prise dans la forêt, on la garde ailleurs. Puisque nous parlons de l'Amérique, rappelons que c'est à pied, très probablement, que sont arrivés les premiers hommes qui aient peuplé ce continent. Le détroit de Behring, en effet, est congelé pendant l'hiver, et on peut le traverser aussi facilement qu'un champ de patinage. De proche en proche, les populations, du nord-est de l'Asie durent s'acheminer vers l'Alaska, sans seulement flairer — ô gens peu roublards ! Les mines d'or du Klondyke. Plus, toujours à pied et sans se presser, nos Asiatiques naturalisés Américains durent redescendre jusqu'à la Patagonie ; le tout, sans se douter probablement, qu'ils découvraient un nouveau monde, ce qui laisse intact le brevet de Christophe Colomb.

     

     Il y a eu des marcheurs célèbres, notamment Achille aux pieds légers, ou encore, moins loin dans l'histoire, ce soldat de Marathon qui  à l'issue de la bataille, courut à Athènes en apprendre la nouvelle aux magistrats, et tomba mort à leurs pieds. Mais le grand héros de la marche à pied, celui qu'a idéalisé la légende, c'est incontestablement le juif errant. Celui-là, c'est plus que le type héroïque, c'est le type surnaturel. Celui-là ne tombe mort aux pieds de personne. Il va, et il va. Les étapes s'allongent et se multiplient sous ses pas sans que rien ne puisse en limiter le chiffre fantastique. Toujours voyageur, toujours proscrit, persécuté, mais indestructible, il se promène en tous pays, image populaire et naïve de ce cosmopolitisme sémite qui sévit, depuis l'ère chrétienne, parmi tous les peuples de l'univers. C'est à pied que le juif vient, c'est à pied qu'il s'en va. On ne le voit pas arriver. Il est difficile de le faire partir. Son pied glisse sur notre sol sans faire de bruit, sans que rien ne nous avertisse qu'un intrus commence à rôder autour de nos demeures. Mais, une fois découvert, si l'on prétend le proscrire, il semble que ses sandales aient pris racine dans la terre, dans les pavés, et, devant les plus formidables explosions du courroux populaire, le sinistre voyageur ne recule que lentement, que pas à pas, avec la ferme intention de revenir le plus tôt possible.

     

    LES AUXILIAIRES DU PIED

    On naît avec des pieds. On ne naît pas avec des chaussures. La chaussure n'est pas indispensable à la marche, vu que, aujourd'hui encore, des peuplades entières se passent de cet accessoire, au grand préjudice des cordonniers travaillant pour l'exportation. Mais il est clair que l'invention du soulier, ou tout au moins celle de la semelle, n'a pas médiocrement aidé aux progrès de la déambulation. Le soulier c'est déjà, si l'on veut, du machinisme. Cela augmente la force du pied, comme le levier augmente la force du bras. Cela permet de faire abstraction, dans une large mesure, des aspérités plus ou moins désagréables du sol. Il est vrai que, chez les gens qui marchent sans chaussure, la plante des pieds, comme si elle comprenait la nécessité de s'adapter à la situation, s'endurcit au point de former une semelle naturelle. Mais on conçoit que, dès l'antiquité, les orteils civilisés aient manifesté plus d'exigences. Les Grecs et les Romains se contentaient généralement de sandales. Cela tient moins chaud que des snow-boots. Pourtant, ils connaissaient des chaussures plus montantes ; Melpomène avait le cothurne, Thalie le brodequin : deux articles de cordonnerie d'où sortit tout l'art dramatique. Du reste, les anciens, même riches, ne perdaient pas une occasion de se déchausser, par exemple, lorsqu'ils rentraient chez eux, ou lorsque, comme Socrate dans le Phèdre de Platon, ils rencontraient sur leur route un clair ruisseau qui les charmait par son murmure. Rien de plus vite fait alors que de s'asseoir au bord des ondes, et, sous prétexte de philosophie, de se payer un poétique bain de pieds. La chaussure était donc un emblème d'activité que repoussaient le repos et la paresse. Autant de perdu pour les cors aux pieds. L'apparition des bottes n'eut lieu que plus tard, et se rattache à l'invasion des peuples du Nord. C'est une légende moyenâgeuse qui, pour donner aux enfants l'idée d'un moyen de transport rapide, créa « la botte de sept lieues ». Tout se rapetisse aujourd'hui, hommes et choses. La botte, suivant cette loi, est devenue la bottine. Nous avons aussi la pantoufle, mais cet ustensile, cher aux naturels sédentaires, n'a jamais été considéré comme l'auxiliaire du marcheur.

     

    A ceux-ci, on promet mieux. L'usage des pneus, pour les bicyclettes, a fait jaillir de cerveaux inventifs une idée féconde. Pourquoi un pneu, puisqu'il aide une bicyclette à mieux rouler, n'aiderait-il pas les piétons à mieux marcher? Il est donc grandement question, dans certaines sphères scientifiques, de garnir la semelle de nos bottines d'une sorte de boîte en caoutchouc, dûment remplie d'air comprimé, afin de faire rebondir le pied, qui, dès lors, avancera tout seul. Du reste, l'instrument qui donne au pied son maximum de vélocité est inventé depuis de longs siècles. Le seul obstacle à la généralisation de son emploi, c'est qu'il ne peut fonctionner que sur la glace. Nous voulons parler du patin. Il est dommage qu'on ne puisse faire lutter sur la même piste un cycliste et un patineur. Qui sait si un bon patineur ne l'emporterait pas sur un bon cycliste ? D'où il résulte ce paradoxe que les deux pôles, ces seuls points du globe où l'homme n'ait jamais mis le pied, sont précisément ceux où il lui serait le plus facile d'aller à pied. Nous ne pouvons terminer la revue des auxiliaires du pied sans dire un mot des échasses. L'usage en est peu répandu, mais les habitants des Landes, pendant de longs siècles, ont admirablement compris l'utilité de ces longues perches, qui permettent de narguer le marécage, et de faire classer comme habitables des régions qui semblaient devoir rester inhabitées. Nul instrument de transport, on en conviendra, n'a si littéralement grandi l'homme. Voyez les Cadets de Gascogne, ces hommes si fiers, si truculents, faisant sonner si fort leur bravoure, et regardant de si haut tout ce qui n'est pas eux. Cet état d'âme ne dénoncerait-il pas, aux yeux d'un psychologue suffisamment subtil, l'influence atavique des échasses?  Cyrano de Bergerac, d'un bout à l'autre de la pièce qui porte son nom, n'évoque-t-il pas, par ce qu'il y a de gigantesque et d'exagéré dans son attitude, l'image de ces autres Gascons qui, planant au-dessus de la lande plate et prosaïque, s'élancent à vastes enjambées vers les horizons infinis?

     

    L’HOMME VEHICULE PAR L’HOMME

    Dans la série des moyens de locomotion, ce qui fait suite immédiatement aux pieds du voyageur, ce sont ces appareils au moyen desquels on se fait porter par quelque autre, comme la chaise à porteur, le palanquin, la brouette chinoise et la voiture de bébés. La personne qu'on transporte ne se sert pas de ses pieds, mais son transport exige que d'autres se servent des leurs. C'est un cas de ce que les économistes appellent, comme on le sait, la division du travail.

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    La chaise à porteur est célèbre dans notre histoire et dans notre littérature. On peut voir, au grand Trianon, les somptueux spécimens qui en ont été conservés. On faisait dans ce genre de petits chefs-d’œuvre. Les carrosses existaient sans doute du temps du grand roi, mais leur usage se trouvait forcément restreint par l'étroitesse d'un très grand nombre de rues. Nos bons aïeux, lorsqu'ils bâtissaient peu à peu la capitale, ne se doutaient pas des proportions qu'elle atteindrait un jour. Aussi, dans bien des cas ceux qui ne voulaient pas aller à pied étaient forcés de se faire porter à bras. Du reste, n'était-ce pas du dernier chic pour des hommes que de se faire porter par d'autres hommes? Il n'est rien qui affirme tant la supériorité des « personnes de qualité » sur les « marauds » et sur les « faquins ». Un personnage de Molière, en visite chez Célimène, fait allusion à son véhicule lorsqu'il dit dès son arrivée : Parbleu! S’il faut parler de gens extravagants, Je viens d'en essuyer un des plus fatigants : Damon le raisonneur qui m'a, ne vous déplaise, Une heure, au grand soleil, tenu hors de ma chaise.

     

     Le palanquin, c'est la chaise à porteur à l'usage des tropiques. Le véhicule est ouvert, parce qu'il fait plus chaud. Les porteurs sont généralement noirs au lieu d'être blancs. Constatons en passant que les moyens de transport où la force motrice est empruntée à l'homme ne se rencontrent que dans les pays et aux époques où « la main-d’œuvre » est à vil prix. L'existence de pareilles coutumes dénote la présence d'une nombreuse catégorie de gens inférieurs, prêts à accepter les tâches les plus humbles, les plus ingrates, pour un salaire modéré. Essayez donc d'aller vous faire transporter en palanquin aux Etats-Unis! Dans ce pays où l'homme sent sa valeur, il n'y a plus même que les millionnaires qui puissent se payer des fiacres. Un Yankee vous dirait des injures si vous lui proposiez de transporter à bras un autre Yankee. Un Chinois, en revanche, serait enchanté de l'aubaine. Ce qui prouve, une fois de plus, que les races se touchent et ne se ressemblent pas. L'Européen qui débarque en Chine et qui veut prendre une idée de Canton, de Shang- Haï, etc., n'a qu'un mode pratique de locomotion : la brouette. Il s'assied dans le rustique appareil, et un gaillard aux solides jarrets se met à le pousser, en courant partout où Son Excellence désire promener sa curiosité. Nos voyageurs et nos missionnaires ont maintes fois expérimenté cette sorte de poussepousse. II paraît que l'on va fort vite, et. Que nos coureurs chinois rendraient des points à bien des haridelles de fiacre dont les propriétaires ont l'outrecuidante prétention de vous mener « à la course ». Les Chinois, qui ne boudent pas devant ces galopades pédestres, voient d'un mauvais œil les ingénieurs qui viennent chez eux construire des chemins de fer. Ils aiment mieux dépenser la force de leurs muscles que d'obliger la houille à livrer la sienne. Pour un peu, les pousseurs de brouettes se syndiqueraient contre la concurrence de ces ouvriers étrangers qu'on appelle des locomotives. On est traditionnel ou on ne l'est pas.

     

     Quant à la voiture de bébés, quelle chose sacrée et gracieuse ! Ce véhicule-là ne disparaîtra pas de sitôt de nos sociétés civilisées, où il rend aux mamans tant d'inappréciables services. La voiture d'enfants repose les bras de la mère ou de la nourrice, cumule avec ses fonctions de véhicule celles de berceau. Elle est l'ornement de nos promenades. Son roulement léger sur le sable des grandes allées ombragées est chose douce et suave. C'est à Paris que l'on voit le plus de mères de familles pousser elles-mêmes la voiture de leurs enfants. Cela tient probablement à ce que les domestiques y sont plus chères qu'en province, et que bien des familles, qui auraient ailleurs deux servantes, ne peuvent en avoir qu'une à Paris. Ce qu'on voit encore à Paris, et jamais ailleurs à notre connaissance, ce sont des voitures d'enfants poussées par les papas. Il nous est arrivé à plusieurs reprises, surtout le dimanche, de croiser dans nos jardins publics des messieurs « très bien », en redingote et chapeau de soie, qui, avec toute la gravité et la dignité désirables, faisaient rouler devant eux l'ambulant asile de leur bébé. Et la chose, qui aurait paru singulière dans bien des villes de notre connaissance, petites et mêmes grandes, avait l'air de n'étonner personne. La punition des domestiques exigeants, c'est d'apprendre à leurs maîtres à se passer d'eux.

     

    LE CHEVAL

    Nous voilà en plein dans, les questions sociales. Et il y a de quoi. Le mode de transport joue un rôle éminent parmi les facteurs qui déterminent la formation des racés humaines. Pour mieux nous en convaincre, jetons un coup d'œil sur l'animal transporteur par excellence : le cheval. Le cheval seul a rendu possible les grandes invasions d’Attila, de Gengis Kan, de Tamerlan, ces grands chefs qui ont passé dans l'histoire comme des météores sanglants, et qui ne dirigeaient pas de véritables armées, mais des inondations de cavaliers sortis en tumulte de leurs immenses steppes d'Asie. Huns ou Mongols émigraient à cheval, combattaient à cheval, mangeaient à cheval, dormaient à cheval. Leurs femmes, leurs enfants suivaient à cheval, ou dans des chars traînés par des chevaux. Leurs incursions étaient rapides, foudroyantes, parce que les autres armées vont à pied, au lieu qu'ils pouvaient user de toute la vélocité du cheval. Mais ces incursions s'arrêtaient à peu près aux régions où expiraient les vastes plaines d'herbe, parce que, à partir de là, il n'y avait plus moyen de nourrir des centaines de milliers de chevaux. Et ces terribles débordements de peuples cessaient comme par enchantement, au moment où la terreur des nations civilisées était à son comble. Pourquoi ? Parce que ces nomades n'ayant plus d'herbe à faire brouter à leurs bêtes, avaient tout simplement tourné bride et s'étaient enfuis au galop. Chez d'autres peuples, l'espèce chevaline n'était pas assez nombreuse pour que tout le monde pût être cavalier. Aussi le cheval devint-il, suivant l'expression de Buffon, un animal noble. Monter à cheval fut un privilège, l'attribut d'une classe supérieure. A Rome comme   Athènes, il y eut des chevaliers. C'est également de ce nom que l'on appela les guerriers d'élite du moyen âge. Le mot de cheval entra dans la formation des mots chevalier, chevalerie, chevaleresque. En Espagne, toute personne qui se respecte et se glorifie de son rang social s'enorgueillit du nom de cabaïlero. De nos jours, enfin, les jeunes gentilshommes se destinent à l'état militaire choisissent plus volontiers la cavalerie que l'infanterie, tandis que ceux qui restent « dans le civil » se passionnent pour les concours hippiques  et les courses de chevaux. On a cité des nobles décavés qui, réduits à travailler pour gagner leur vie, s'étaient  faits quoi? Cochers de fiacre. Et ne dirait-on pas, à la morgue de nos automédons, que cette profession inférieure, uniquement parce qu'elle donne occasion de conduire un cheval, comporte encore je ne sais quel cachet de supériorité et de distinction?

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    LE CHAMEAU

    Des peuples entiers, pour se transporter, n'usent pas du cheval, mais du chameau. L'empire du chameau est large. Il comprend tous les déserts d'Afrique et une partie de ceux d'Asie. Seul, le chameau rend habitables des régions où l'on ne croirait pas devoir trouver la vie. Lui seul, en particulier, permet de coloniser les oasis et de les relier entre elles. Le chameau a été appelé « le vaisseau du désert », épithète ingénieuse et exacte, qui fait ressortir un des principaux caractères des espaces stériles, couverts de sable ou de cailloux. Ces espaces ne sont pas des terres proprement dites, ce sont des mers solides, des surfaces non appropriées, qu'il ne s'agit pas d'occuper, mais de franchir comme on franchit les flots pour passer d'un rivage à l'autre. Le chameau et surtout le dromadaire permettent à l'Arabe, au Touareg, de dévorer ces espaces avec une incroyable rapidité. On a souvent admiré le peu de temps que mettent certaines nouvelles à se répandre dans tout le Sahara. Qu'une caravane, au courant d'une information, rencontre seulement deux ou trois caravanes qui doivent en rencontrer chacune deux ou trois autres, et voilà notre information épandue depuis les rivages du Sénégal jusqu'aux monts de l'Abyssinie. D'où il résulte que le chameau n'est pas  seulement le concurrent du chemin de fer, c'est encore, comme on le voit, un excellent succédané du télégraphe.  Le chameau est un vaisseau, mais quel genre de vaisseau? Vaisseau marchand ou vaisseau de guerre? — Les deux à la fois. Le chameau est un vaisseau marchand. Il transporte sur son dos toute une lourde cargaison de denrées précieuses, que Ies trafiquants vont vendre sur les grands marchés — nous allions dire dans les grands ports — du désert. Le chameau est un vaisseau de guerre, un corsaire rapide, une citadelle presque flottante dont la bosse représente la tourelle de nos croiseurs. Grâce à lui, d'incorrigibles forbans écument encore aujourd'hui la mer de sable comme leurs confrères, les pirates barbaresques, écumaient jadis la Méditerranée. Nos vaillants explorateurs en savent malheureusement quelque chose. Peut-être les nations civilisées ne viendront-elles à bout de ces écumeurs du désert qu'en équipant des flottilles semblables aux leurs pour leur donner la chasse c'est-à-dire en délivrant des sortes de lettres de marque à de bons corsaires chameliers.

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     Le chameau seul peut guérir les maux causés par le chameau. Nous ne nous appesantirons pas sur les autres animaux transporteurs. Nous ne nous livrerons donc à aucune considération sur les éléphants, ces formidables auxiliaires de Pyrrhus et d'Annibal, qui, plus pacifiques aujourd'hui, bercent sur leur large dos, à travers les jungles de l'Inde, des gentlemen en casque blanc. Nous ne parlerons pas des mules espagnoles, ces bonnes mules qui, transportées en Afrique par les Anglais, se permettent de prendre quelquefois le mors aux dents et de passer à l'ennemi avec leurs canons. La mule et le mulet sont les chevaux de la montagne, et l'âne l'est aussi dans une certaine mesure, ce pauvre âne si ridiculisé par nous, et si magnifiquement loué par Homère. On sait que le poète, pour exprimer le courage d'Ajax reculant pied à pied vers les vaisseaux des Grecs devant les Troyens qui le pressent, ne trouve rien de mieux que de nous dire du héros : « Il reculait, oui, mais comme un âne! »

    LES ÉQUIPAGES DIVERS

    Les animaux transportent l'homme de deux manières : en le prenant sur leur dos, et en traînant des véhicules où il se prélasse. Nous venons de voir la première manière. La seconde concerne la multitude infinie des voitures. La voiture n'a dû prendre naissance qu'assez tard. Nos ancêtres aimaient mieux enfourcher une monture qu'atteler celle-ci à un appareil roulant, et cela pour deux raisons : d'abord, cela coûtait moins cher; ensuite, un appareil roulant suppose généralement une route. Où le sabot se pose, la roue ne passe pas toujours. Pourtant, il est des véhicules peu exigeants sous ce : rapport, et qui s'aventurent très bien sur des terrains dépourvus de route; Tels sont ceux de nos braves Boers. Ces énormes chars, traînés par huit ou dix paires de bœufs, parcourent les solitudes de l'Afrique australe, et facilitent au besoin l'exode de la population devant, un ennemi victorieux. C'est au moyen de ces massives roulottes que nos fiers paysans ont accompli leurs déménagements antérieurs, qui les ont amenés des rivages du Cap aux rives du Limpopo. L'Afrique est grande, et, quand une position est intenable-, fouette cocher, le Boer, sa famille, ses meubles, ses troupeaux, sa vieille Bible, prennent, à travers la plaine plus ou moins raboteuse, l'indécis chemin de la liberté. Tel était à peu près l'équipage des monarques mérovingiens, en particulier de ceux qui, préférant l'exploitation de leurs domaines aux soucis de la politique, furent, peut-être à tort, traités de rois fainéants. .Pendant longtemps, le beau sexe voyagea peu. Mais, quand les dames se mirent à courir le monde, il fallut bien doter d'un certain confortable les véhicules destinés à les abriter. L'époque qui a précédé immédiatement la création des chemins de fer a marqué, pour les grandes routes « royales », l'apogée de l'animation. Jamais tant de berlines, de chaises de poste, de diligences, ne les avaient parcourues. Le besoin de se remuer existait déjà, et la vapeur n'avait encore pu le satisfaire dans l'étonnante mesure où elle le satisfait aujourd'hui.

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     On se rappelle que l'institution de la poste se rattache étroitement aux progrès de la centralisation en France. C'est Louis XI, le sournois ennemi de la féodalité, qui trouva ce nouveau moyen de rendre l'autorité royale plus présente dans toutes les parties du royaume. Pendant longtemps, on le sait, les particuliers ne purent user des relais royaux, et c'est seulement à la longue que la chaise de poste devint le moyen de transport des voyageurs privilégiés. Pour les gens moins cossus, il y avait la diligence, la fameuse diligence, si poétique aujourd'hui qu'elle n'existe plus ou presque plus. On faisait d'un voyage une affaire d'État, on retenait ses places à l'avance, on se liait pour plusieurs jours avec ses compagnons de route, on racontait ou l'on écoutait des histoires ; le conducteur chantait ou plaisantait ; aux montées, on descendait pour se dérouiller les jambes, et, pendant que l'attelage « suait, soufflait, était rendu », on montait à petits pas en regardant le paysage. Voilà pour les voyages. Dans les villes, pour la promenade ou les courses modérées, on avait le carrosse. Le carrosse était, bien entendu, un objet rare, et n'en avait pas qui voulait. De plus, le carrosse ne passait pas non plus où il voulait, vu l'étroitesse des rues, et nous avons vu que bien des personnes « de qualité » préféraient aller dans leur « chaise ». Aujourd'hui que Paris et nos grandes villes couvrent une surface immense, le besoin de se déplacer rapidement s'est développé pour ainsi dire à l'infini. Le carrosse prend une foule de noms : coupé, landau, Victoria, calèche, phaéton, tilbury, etc. Une variété s'est démocratisée et a donné le fiacre. Que dire du fiacre, contre lequel tant de publicistes ont vainement pesté, sinon que, malgré tous les griefs que nous avons contre ces boites roulantes, nous n'avons pas encore appris le moyen de nous passer d'elles? C'est de quoi triomphent et triompheront longtemps nos goguenards automédons. Le fiacre est le luxe du pauvre. Le modeste bourgeois qui s'en sert s'accuse de prodigalité. Le riche, dans le même cas, se fait traiter de pingre. Comme quoi les mêmes causes produisent des effets différents. Lorsque Cousin fut nommé ministre de l'Instruction publique, il arriva au ministère en fiacre. La France entière en jasa et les historiens n'ont pas fini d'en jaser. Le fiacre joue un rôle important dans les affaires. Le commerce lui doit sa reconnaissance. Sans lui, bien des affaires ne se concluraient pas, et bien d'autres se concluraient trop tard. Le fiacre développe également la sociabilité en favorisant l'habitude des visites. Deux parents domiciliés aux deux bouts de Paris ne se verraient peut-être plus, s'il n'y avait pas de fiacres. Il y a des fiacres, donc ils se voient. Leur parenté, grâce au véhicule, se resserre d'un cran. Ils ne sont plus des parents « éloignés ». Mais nous avons vu que le fiacre, s'il ne ruine pas les Victor Cousin, n'est pas à la portée de toutes les bourses.

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    Pourtant, les petites gens ont besoin de se déplacer, eux aussi, et l'enceinte de nos villes s'élargit toujours. Il y avait donc quelque chose à faire « pour le peuple ». C'est pourquoi Pascal, un autre philosophe, a inventé l'omnibus. L'omnibus, c'est la démocratie, c'est le progrès, c'est le triomphe de l'organisation des transports, adaptée au besoin d'égalité qui nous dévore. Seul, l'indigent proprement dit ne peut se payer l'omnibus, et le riche en use à l'occasion lorsqu'il trouve cela commode. Pourtant, dans l'omnibus, dans certains d'entre eux tout au moins, l'égalité n'est pas complète. Il y a deux classes. Un tel paye six sous, tel autre n'en paye que trois. Grave matière à réforme. Pourquoi n'avons-nous eu encore aucune interpellation là-dessus? Mais l'omnibus ne se contente pas de symboliser le progrès. Il fait mieux : il progresse lui-même, et voilà des années que les « carrosses à six sous » de feu Pascal se passent des services du cheval. D'autres forces entrent enjeu. Depuis deux générations, nous assistons à un spectacle unique dans l'histoire du monde, à la révolution des mœurs, des idées, des conditions économiques, due à l'apparition d'un moteur puissant, infatigable, dont les Grecs anciens eussent fait une divinité infernale : le monstre de feu, la vapeur.

     

     

    LA VAPEUR

    La vapeur a révolutionné l'industrie. Elle a bouleversé les transports. La vapeur a produit, depuis à peine un peu plus d'un demi-siècle, ce résultat merveilleux de rendre possible en quelques heures des trajets qui jadis demandaient de longs jours. Le chemin de fer cueille un homme chez lui, pour ainsi dire, éveillé ou endormi, n'importe, et, au bout d'une demi-journée, sans que cet homme ait eu besoin de se préoccuper de la nature du sol, il se trouve qu'il a franchi des plaines, sauté des fleuves, transpercé des montagnes, traversé des pays qui formaient jadis des Etats distincts, ennemis, dont les armées, pour s'avancer les unes au-devant des autres, mettaient des semaines ou des mois.  Par-là, le chemin de fer a fait sortir de leur immobilité une foule de gens qui jusqu'alors n'avaient pas l'humeur voyageuse. Il a créé des besoins de remuement, déterminé des expansions de races, facilité des initiatives aventureuses, aggloméré dans les grands centres la population des provinces, répandu dans la province les idées et les mœurs des grands centres. Le chemin de fer est le grand niveleur. C'est ce que déplorent tous les amis des vieilles traditions, des vieux dialectes, des vieux usages, des vieux costumes. Mais peut-être, comme tant d'autres choses, a-t-il les défauts de ses qualités, et offre-t-il des ressources à la propagande du bien comme à celle du mal, au patronage éclairé des campagnes comme à la désertion des agriculteurs.

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    Le chemin de fer a diminué la poésie des voyages. On passe trop vite, et on voit trop mal. On ne se rend pas compte des distances que l'on franchit. On se trouve avoir parcouru dix fois la France, et l'on ne connaît que quelques sites, en les embrouillant dans son souvenir. On ne soupçonne pas tout le pittoresque des régions que l'on traverse, et que nos aïeux, de leurs diligences, savouraient jadis à loisir. Des poteaux de télégraphe, des disques, des signaux, des poteaux-réclames, des gares toutes semblables, des tunnels qui vous plongent brutalement dans l'obscurité au moment où vous essayez d'admirer le profil d'une fuyante colline : voilà le côté prosaïque de ce mode de déplacement. Mais les ingénieurs n'ont cure de ces vétilles sentimentales, les laissent soupirer les poètes, et, pour eux, redoublant d'activité, les voilà qui sont en train de lancer leurs locomotives à travers l'Asie, de les faire pénétrer au cœur de l'Afrique, et de resserrer partout les mailles du rigide réseau de fer qui emprisonne le globe.

     

    CYCLISME ET AUTOMOBILISME

    Le défaut des chemins de fer, c'est d'être emprisonnés par des rails. C'est donc un mode de locomotion qui manque de souplesse. De plus, pour que cette formidable mécanique fasse ses frais, il est nécessaire qu'elle transporte les gens par masses. Ces deux inconvénients tendent à assurer l'avenir du cyclisme et de l'automobilisme, dont notre fin de siècle contemple avec stupeur l'essor endiablé. Si le chemin de fer est centralisateur de sa nature, on peut dire, au contraire, que la bicyclette et l'automobile sont essentiellement décentralisatrices. Ces appareils sont généralement acquis par des gens habitant des villes, mais, sitôt qu'ils en sont possesseurs, où peuvent-ils aller se promener? Dans la campagne. Et nos routes désertes, grâce à ces deux sports, commencent à reprendre une nouvelle vie. Le type de l'auberge, qui déclinait, se relève soudain. Il est question de créer dans les villages des auberges modernes, pourvues de tout le confort que présentent les grands hôtels. Des localités rurales vivent du passage des cyclistes. En revanche, certaines industries, à ce que l'on assure, périclitent par suite de cette évolution des goûts. On lit moins, et les libraires gémissent de voir leurs boutiques moins achalandées que jadis. On prétend même que les couturières et les bijoutiers ont à se plaindre, à certains endroits, du tort causé à leur commerce par la fascination universelle des sports masculins. Mais cette assertion mériterait un certain contrôle. Que ces dames se passionnent pour le cyclisme, c'est un fait. Qu'elles cessent pour cela de se passionner pour la toilette, c'est ce qu'il faudrait démontrer. En attendant, des sociologues éminents voient dans l'entraînement de la jeunesse d'aujourd'hui vers la bicyclette et l'automobile un symptôme heureux. Ces sports développent la force physique, laquelle commençait à manquer à notre race au moins autant que la force morale. Avec ces précieux exercices, il sera peut-être plus, facile d'obtenir désormais, selon le vœu du poète, des âmes saines dans des corps sains.

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    SUR MER

    Tandis que le teuf-teuf sillonne la terre, des panaches de fumée, de plus en plus nombreux, se déroulent sur toutes les mers. La vapeur, là aussi, a détrôné le vent, bien que le vent soit gratuit et que la vapeur coûte cher à produire. C'est que le vent est capricieux, au lieu que la vapeur est docile,  symbole des triomphes que la régularité, un peu partout dans ce monde, remporte et remportera toujours sur la fantaisie. Sur mer comme sur terre, les voyages sont devenus rapides; on va vite, et l'on cherche à aller plus vite, trop vite, comme le prouvent de lugubres catastrophes. Ainsi que pour les transports terrestres, la substitution de la vapeur aux forces employées précédemment a eu pour résultat de dépoétiser le véhicule transporteur. C'était si beau, un voilier chargé de toutes ses voiles ! Mais un voilier mettait parfois plusieurs mois à atteindre l'Amérique, et nos modernes paquebots l'atteignent maintenant en six jours. Quel que soit le propulseur employé, le navire a, comme moyen de transport, une particularité sociale importante, quoique peu remarquée. Il ne transforme pas les gens qu'il transporte. Il les dépose au rivage d'arrivée tels qu'ils étaient au rivage de départ, ce qui explique la grande ressemblance de certaines populations séparées par la mer, alors que des différences fondamentales distinguent des populations plus rapprochées, uniquement séparées par une chaîne de montagnes. « Il eut le cœur bardé d'un triple airain, s'écrie Horace, celui qui le premier confia un esquif à la mer, et réunit des rivages que la divinité avait voulu séparer par la mer. » Horace s'est trompé. La mer n'a pas été créée pour

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    LES MOYENS DE DEPLACEMENT : séparer, mais pour unir. La mer, c'est le chemin par excellence, le chemin qui offre des dangers, mais qui n'offre pas d'obstacles; le chemin large, immense, permettant de prendre toutes les directions, et aussi, au point de vue de la force employée au transport, nécessitant le moins de frais, puisque un véhicule terrestre est un objet qui frotte, au lieu qu'un véhicule marin est un objet qui glisse. Or, le glissement est plus doux que le frottement. L'homme parviendra-t-il à faire aussi des airs une route, à y diriger, soit des aérostats, soit les aviateurs, soit d'autres engins dont nous n'avons pas l'idée? C'est le secret de Dieu, et nous ne pouvons trouver mauvais, nous, que la Providence a comblés de tant de nouveautés curieuses, qu'elle tienne en réserve quelques surprises pour les curiosités de l'avenir.  Mais toutes ces considérations sur les voyages humains ne doivent pas nous faire  perdre de vue le suprême et terrible voyage, celui que tous accomplissent vers l'éternité, sans qu'ils s'aperçoivent ni du frottement, ni du glissement de leur véhicule, et auquel un pieux penseur moderne appliquait cette saisissante formule, imitée de la langue des indicateurs de chemins de fer : « Départ, à toute heure ; arrivée, quand il plaît à Dieu.   
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    Le Mois littéraire et pittoresque. 1899-1917.                                                                                 

                                                           G. D'AZAMBUJA


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