• SYMBOLISME DANS LES CHANSONS ENFANTINES

    En constatant que les chansons du temps de nos grands-parents et arrière-grands-parents font encore partie du répertoire des enfants d’aujourd’hui comme en témoignent les disques et bandes magnétiques dans les rayons des magasins, j’ai été amenée à me poser cette question : Quel élément contribue à la longue vie de ces chansons en une époque où tout change, en apparence du moins, où les anciennes valeurs semblent abandonnées ? La même question fit l’objet du discours du Commencement à Kent State Universy en décembre 1981 : « What is of Lasting Value in an Age of Uncertainty ? »

    Ces chansons sont comme un cri de joie, d’amour et de douleur qui jaillit spontanément de l’être le plus profond, elles reflètent nos émotions et nos sentiments les plus divers et les plus intimes. Mais bien plus, les symboles qu’elles représentent sont universels, ils remontent aux sources mêmes de l’humanité et ils expriment des valeurs inaltérables. En outre, pour Tieck, que cita Béguin dans « L »Ame romantique et le rêve », « la musique opère ce miracle de toucher en nous le noyau le plus secret, le point d’enracinement de tous les souvenirs et d’en faire pour un instant le centre du monde féérique, comparable à des semences ensorcelées… » (Phantasien über die Kunst).

    Comme la musique, la chanson et la danse s’allient naturellement, c’est souvent en formant une ronde que les enfants répètent les mélodies qui ont fait le charme de tant de générations. Le cercle a toujours pour la pensée figuré l’idéal, évoquant le cycle, symbolisant le «  moi », exprimant la totalité de la psyché.

    Les nombres pourront également jouer leur rôle. Avec ses comptines, « l’enfant baigne déjà dans une poésie qui le rassure, faite pour dénombrer les choses, contribuant à lui donner, à travers l’espace, cette maîtrise du temps à quoi, plus grand, il aspire » (Dat.)

    Entrons dans la ronde enfantine avec « Dansons la capucine » dont l’auteur Jean-Baptiste Clément (1836-1903) écrivit également les paroles de la célèbre chanson « Le Temps des Cerises ». Partisan de la Commune de Paris, fis de meunier qui devint journaliste, Jean-Baptiste Clément consacra la plus grande partie de sa vie à la propagande socialiste révolutionnaire « Le Temps des Cerise » qui figure dans « Le Livre d’Or de la Poésie Française » de Pierre Seghers, est devenu l’hymne de tous les ouvriers, de tous les malheureux terrassés par la répression de 1871. « Dansons la Capucine », chanson des plus simples en apparences puisqu’elle exprime l’idée que l’argent et les biens matériels ne font pas le bonheur, me semble surtout intéressante à cause de la capucine, cette plante ornementale à feuilles rondes et à fleurs jaunes, orangées ou rouges, rappelant un peu le lis tigré (tiger lily). Cette fleur tir son nom du capuce, capuchon taillé en pointe des capucins, religieux réformés de l’ordre de Saint-François, et son nom latin nasturtium signifie cresson alénois. En effet, la fleur peut être utilisée pour orner les salades auxquelles elle apporte son goût piquant semblable à celui du cresson. Alénois signifie d’Orléans, cette ville qui nous fait immédiatement penser à la Sainte Patronne de la France, Jeanne d’Arc, la Pucelle d’Orléans. Son autre nom trouvé dans le dictionnaire d’anglais, « lark’s heel » (alouette), nous mène à la pièce d’Anouilh intitulée « L’Alouette » et l’Alouette « chantant dans le ciel de France, c’est Jeanne d’Arc ». Cet oiseau a la particularité de s’élever en flèche dans le ciel. L’alouette, qualifiée de divine par Victor Hugo, se retrouve dans le poème « Elévation » de Baudelaire :

    Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse

    S’élancer vers les champs lumineux et sereins !

    Celui dont les pensées comme des alouettes,

    Vers les cieux le matin prennent un libre essor.

    Bien française est donc cette fleur dont les couleurs vives sont celle qui s’élèvent sur le bûcher de Jeanne à Rouen, celles aussi de la lumière du soleil qui réchauffe les cœurs et réconforte les plus misérables. Elle symbolise la vie, elle a la couleur du poussin et du jaune d’œuf, de l’orange dont le nom même , à son tour, évoque le métal précieux et les êtres spirituels intermédiaires entre Dieu et l’homme, cette orange qui souvent constituait l’unique cadeau de Noël des enfants pauvres. A ces qualités esthétiques et évocatrices, s’ajoutent les vertus thérapeutiques, diurétiques, laxatives et pectorales. Suivant le « Dictionnaire des Plantes » de Larousse, « C’est une plante à utiliser dans la prévention des troubles de la sénescence et par ceux qui veulent vivres jeunes et longtemps » (Professeur Léon Binet). Les feuilles, les fleurs, et les fruits, qui peuvent être macérés dans du vinaigre et remplacer les câpres, tout est utilisable. Alors plantons, chantons et dansons la capucine dans nos jardins.

    Mais « Savez-vous planter les choux », à la mode, à la mode de chez nous ».

     

    Plus prosaïque que la capucine, mais tout aussi important et symbolique, le chou fait l’objet de notre deuxième chanson qui a l’avantage immédiat de faire apprendre le nom des parties du corps aux élèves et de leur faire retenir les pluriels irréguliers : hibou, cailloux, joujoux, genoux, bien connu des écoliers français. Au niveau symbolique, le plus simple et le plus concret, on peut souligner le fait que chaque pays a sa façon de faire les choses particulières à lui et les coutumes les plus diverses existent sur notre globe, les Esquimaux se frottant le nez en signe d’amitié par exemple, mais aussi les handicapés privés d’un membre peuvent être productifs et actifs, voire même créatifs si l’on en juge par les jolies cartes de Noël illustrées par des handicapés, et portant la mention « peint avec la bouche, peint avec les pieds ». Bien sûr, le mot chou fait le plus souvent surgir à l’esprit de bien des Français l’idée des bébés qui sont censé naître dans les choux, c’est ce que l’on a répété pendant des générations. L’étymologie du mot est le latin « caulis » que l’on retrouve dans le mot anglais « cauliflower ». Ce mot signifiait «  tige des plantes », « tuyau de plume » et aussi… « pénis », ce qui explique donc l’origine de la légende. Quoi qu’il en soit, on ne peut dénier l’attrait, ou plutôt les attraits, du chou, d’abord sa couleur, le vert étant la couleur de l’espoir, c’est la couleur de la nature où tant d’écrivains et de poètes nous convient à retourner pour notre bien physique et moral. Récemment, ayant la visite d’une famille typiquement française, quel ne fut pas mon étonnement en entendant une des petites filles, âgée de trois ans environ, obligée d’aller au petit coin, s’exclamer d’un ton admiratif : « Oh mais il est beau ton W.C. ». Appréciant le compliment sincère et me demandant en quoi mon W.C. surpassait les autres, j’ai dû conclure que seule la couleur vert chou tendre en faisait la rare distinction. De même que la couleur, la forme ronde du chou dit bienpommé est attirante.  La rondeur est une forme privilégiée, jugez-en plutôt par l’importance des jeux de balles de toutes sortes. Le sexe dit fort en est encore au B A BA, puisqu’il est très souvent en admiration devant les Balles, les Belles, les Billes, Les Boules et les Bulles de savons ou autres, BA, BE, BI, BO, BU. Même les enfants, au stade du balbutiement, apprécient toutes ces rondeurs qui rappellent le sein maternel. Ainsi donc le chou jouit d’un statut privilégié qui lui a valu d’être un terme d’affection. « Vous êtes un chou » est peut-être moins poétique que « Vous êtes un ange », mais fait presque autant plaisir. Chouchouter, terme bien connu des écoliers, signifie favoriser, préférer. Le mot chou fait même partie du mot chouette équivalent à l’anglais « delightful », smashing, cute, adorable. Le chou est populaire de la Belgique à la Chine, en passant par l’Alsace, l’Irlande, la Lorraine et l’Allemagne où la choucroute constitue le plat de résistance.

     

    Cru ou cuit, farci, rouge, accommodé à toutes les sauces, il est apprécié de tous. Il faut cependant avouer que l’odeur n’en est pas  passées de mode), car la nature reprendra toujours agréable et rappellerait assez celle des couches des bébés qu’il a vu naître, mais comme on le dit souvent en France : « Il faut bien que tout se fasse ! » Et tout est dans la nature, ce mot vient du latin « nascor » signifiant naître. Si une naissance est une des merveilles de la nature, elle s’accompagne de tous les aspects repoussants qui font partie, eux aussi, de la nature. Il ne faut pas essayer de supprimer ce qui est naturel (les mœurs victoriennes sont aujourd’hui passées de mode), car la nature reprendra le dessus tôt ou tard. Il est naturel de planter ses choux dans tous les sens de l’expression. L’an dernier, une jeune Iranienne dans ma classe avait des rameaux, ce dont je lui demandais la raison. Elle m’a expliqué que le cours de jardinage qu’elle suivait lui procurait le dérivatif absolument nécessaire à ses soucis. Elle m’a offert des ceps de vigne et des choux à planter. « Planter ses choux » ne se fait pas n’importe où, mais dans un terrain de prédilection. Cette expression est devenue très symbolique et, lorsque l’on trouve un pays ou une région peu attirante, il est courant de dire : « Ce n’est pas là que j’irais planter mes choux ! ». Horticulteurs de profession ou jardiniers amateurs ne doivent ignorer que le chou fait partie des crucifères, c’est-à-dire de la famille des plantes comprenant des herbes annuelles dont les fleurs ont quatre pétales disposés en croix (chou, cresson, navet, radis). Quoi de plus symbolique que la croix évoquant encore cette chanson enfantine « Le petit Jésus s’en va-t-à l’école en portant sa croix dessus son épaule…, ainsi que ce poème de Victor Hugo particulièrement approprié : « Qu’elle est la fin de tout ? La vie où la tombe ? »

    Est-ce l’onde où l’on flotte ?

    Est-ce l’ombre où l’on tombe ?...

    O Seigneur, dites-nous, dites-nous/

    O Dieu fort,…

    Si déjà le calvaire est caché dans la crèche 

    C’est le chou, crucifère où naissent les enfants.

    La question se poursuit par une métaphore intéressante :

    Et si les nids joyeux, dorés par l’aube fraîche,

    Où la plume naissante éclot parmi les fleurs

    Sont fait pour les oiseaux ou pour les oiseleurs 

     

    Ce tableau printanier nous conduit directement à la charmante chanson « J’ai descendu dans mon jardin » où apparaissent le rossignol et le coq, tous les deux hautement symboliques. En effet, le mot coquelicot vient du mot coquelicop, 1544, onomatopée du cri du coq d’après la crête. « Cocorico » ou « Coquerico » c’est le cri du coq, ce symbole national de la France. Rappelons que le coq (nous le trouvons sur le clocher de l’église) figure l’âme attendant l’esprit : « Cet animal dont le rôle de psycho- pompe est attesté dans de nombreuses croyances est censé conduire l’âme du mort vers la lumière d’ »un autre monde ». Sa crête   est couleur de sang et il est combatif à l’extrême (voyez les combats de coqs). Il chante à l’aurore qui « marque le commencement du monde, la reconquête de soi, joyeux avènement de la lucidité ». Le rouge du coquelicot ou de la crête du coq évoque les innombrables sacrifices de toutes sortes accomplis sur la terre, profanes et sacrés. Le coquelicot sert à commémorer les soldats des guerres passées. Remarquant qu’en dépit des bombardements, les oiseaux et les fleurs continuaient à vivre, le poète John Mc Rae, qui mourut en 1918, écrivit.

     

    In Flanders fields the poppies grow

    Between the crosses, row on row,

    That mark our place; And in the sky

    The larks, still bravely singing, fly

    Scarce heard among the guns below.

    (Dans les champs des Flandres, poussent les coquelicots, entre les croix alignées dans les rangs qui marquent notre place; et dans le ciel volent les alouettes dont le champ courageux s’élève encore à peine perçu parmi les canons qui se trouvent au-dessous).

    Mais dans notre chanson, c’est dans le jardin que pousse le coquelicot et le jardin représente l’espace clos, fermé, utérin. Le jardin peut symboliser l’Eden ou l’éternelle enfance. Mater, le latin pour mère est aussi ma terre. Chez les Chinois taoïstes, la terre est yang, passif, obscur féminin par opposition au yin, le ciel actif, lumineux, masculin. Comme nous l’avons déjà dit, tout retour à la nature est sain, et le retour à la terre natale peut être source de rajeunissement, de renaissance. Il est intéressant de constater que le mot latin pour coquelicot est « papaver » allant ainsi parfaitement avec ma terre, mater. Ses propriétés thérapeutiques contrastant avec sa couleur vive excitante et stimulante sont des propriétés calmantes et même légèrement narcotiques d’où son utilisation dans les tisanes et dans les sirops, contre l’insomnie et contre la toux. Comme le coquelicot, le romarin que va cueillir la petite fille présente des propriétés thérapeutiques : «     Toute la plante dégage une odeur aromatique rappelant à la fois l’encens et le camphre. La fameuse « eau de la reine de Hongrie », simple alcoolat de romarin, jouit d’une célébrité inouïe ». C’est une véritable eau de Jouvence qui fut énormément apprécié de Louis XIV et de Madame de Sévigné.

    De l’élément végétal, passons à l’élément animal représenté ici par le rossignol qui tient un rôle capital dans la littérature et les chansons. Comme le coquelicot, il peut représenter l’élément masculin car il symbolise le membre viril et parfois le retour de la guerre. Dans notre chanson, il tient certainement un discours galant à la petite fille en lui faisant l’éloge des demoiselles et par là sans doute de la virginité. Il symbolise aussi le retour du printemps et met une note fraîche et musicale dans ce décor édénique, dans un royaume chaud et vivant.

    Hélas, toutes les chansons n’ont pas une fin aussi heureuse et « Le Pont du Nord » nous introduit dans le drame de par son titre même. C’est du Nord que souffle la Bise glaciale qui apportera le baiser de la mort sans vouloir de jeux de mots (les bises peuvent être affectueuses !). C’est souvent du Nord que sont venues les invasions. Le fossé entre les générations sans doute représenté par le fleuve cause la perte apparente des enfants unis contre la volonté maternelle

    La jeune fille est revêtue de la robe blanche comme celle du baptême et celle du mariage ; la ceinture dorée peut symboliser le cordon ombilical. La chute de la jeune fille dans l’eau suggère la descente dans les ténèbres de l’inconscient en quête de son identité pour une renaissance spirituelle. C’est aussi le retour au milieu originel. L’eau représente le royaume psychique. Les cloches sonnent donc pour le baptême par la purification, et le glas pour la mère qui vient de perdre ses enfants. L’eau qui coule attire les rêves et l’eau est source de vie et de mort suivant la théorie de Gaston Bachelard dans « L’Eau et les Rêves ». L’eau est le miroir qui fit la perte de Narcisse s’y contemplant comme dans une glace, ce mot à double sens. Ce voyage psychique symbolique est une nécessité pour la connaissance de soi qui forme la base de toute connaissance véritable, selon le principe socratique. La souffrance est rédemptrice et régénératrice, et tout être humain connaît une alternance de joies et de peines comme le poète dans le poème d’Apollinaire, « Le Pont Mirabeau », comme le printemps succède à l’hiver et comme le beau temps succède à la pluie, selon le cycle éternel des saisons, de la psyché et nous retrouvons le thème du Cercle développé par Georges Poulet dans « Les Métamorphoses du Cercle ». Rejoignons donc la ronde des enfants dans laquelle nous étions entrés avec « La Capucine » et cherchons même à l’élargir pour aller dans le sens de Paul Fort, le prince des poètes, avec sa « Ronde autour du Monde » :

    Si toutes les filles du monde voulaient s’donner la main,

    tout autour de la mer, elles pourraient faire une ronde.

    Si tous les gars du monde voulaient êtr’marins,

    ils f’raient avec leurs barques un joli pont sur l’onde.

    Alors on pourrait faire une ronde autour du monde,

    Si tous les gens du monde voulaient s’donner la main.

    Continuons à apprendre à nos enfants et petits-enfants à chanter et à danser sur l’air et les paroles de ces chansons vieilles comme le monde selon l’expression consacrée et nous remplirons notre rôle. Nous aurons contribué à la mémoire d’un temps qui n’aura pas été perdu.

                                         Arlette CRAVEN


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :