• POILUS APICULTEURS

    A SOLDAT APICULTEUR 1
     

    Il est un fait indéniable et qui prouve combien est grand le sang-froid de nos soldats au milieu des dangers et des calamités de la guerre : c’est celui de leur belle sérénité morale. En effet ne voyons-nous pas à chaque instant s’ouvrir des expositions d’art ou d’industrie alimentées spécialement par nos poilus ? Ne trouvons nous pas dans la librairie toute une littérature (livres ou revues) écrite par eux sur le front ? N’entendons-nous pas dans les concerts, et même dans les rues, des chansons composées et chantées par nos admirables mitrailleurs ou grenadier, au milieu des éclats de marmites et des shrapnells ?

     

    Le fait intéressant que nous signalons aujourd’hui est celui d’un élevage d’abeilles sur le front de Verdun, de glorieuse mémoire, et de leur acclimatation dans des ruchers de fortune transportés de tranchées en tranchées.

     

    Les brigadiers d’artillerie Paul Morise et de la Vilarmoy, cantonnés dans le village D’Autrécourt, firent l’année dernière une abondante récolte de miel délicieux.

     

    Ils avaient recueilli les abeilles un peu partout, tantôt dans des ruches abandonnées, tantôt dans le creux des arbres ou dans des nids aériens. Ainsi, un jour, dans un vieil orme, à 6 mètres du sol, ils récoltèrent en même temps que les abeilles plus de dix kilos de miel ! C’était une véritable aubaine.

     

    Le plus curieux fut la création du rucher. Primitivement, nos poilus avaient pu se procurer une ruche comme nos pères s’en servaient et qu’emploient encore certains producteurs peu au courant des progrès de l’apiculture ; elle était en paille, mais elle était en pleine activité. Cette ruche, au mois de mai, donna deux essaims à quelques jours d’intervalle. Ils furent aussitôt capturés et enruchés.

    A SOLDAT APICULTEUR 2

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Dans la première quinzaine d’août, le composé d’un premier essaim, nombre considérable d’individus, environ 7 0000 abeilles, se dédoubla et donna naissance à un deuxième dans la seconde quinzaine du même mois et, à la même époque, le second essaim produisait son essaimage.

    De cette ruche primitive, qui enfanta tous ces essaims, sortit donc d’un petit rucher composé de six ruches, avec lesquelles nos poilus entreprirent quelques expériences.

     

    Avec des caisses de vin de Champagne, article très courant et très commun sur le front, parait-il, ils confectionnèrent une grande ruche à cadres, semblables à celles que les vrais apiculteurs emploient aujourd’hui. Ils y réunirent deux essaims après avoir supprimés la reine d’une des colonies.

    Voici de quelle manière ils s’y prirent : à défaut de vaporisateur, ils se servirent de leur bouche pour projeter de l’alcool de menthe, seul ingrédient en leur possession sur la première ruche, dont ils avaient enlevé le toit, puis comme le font les apiculteurs de métiers, ils renversèrent, non sans brusquerie, toutes les abeilles du deuxième essaim sur une planche inclinée et placée devant la grande ruche à cadres, projetant également sur les bestioles, par insufflation, un mélange d’alcool et de menthe et d’eau de pluie.

    Très rapidement, la masse des abeilles bruissa, se souleva, et comme si un rappel eût sonné à l’intérieure de la grande ruche, l’essaim entier y pénétra, se mélangea sans lutte et sans pillage au premier essaim qui y avait été antérieurement introduit.

    Plusieurs autres essaims furent capturés par nos artilleurs dans les environs d’Autrécourt et transportés dans la tranchée.

     

    L’un deux était suspendu à une branche d’arbre, un des rares restés debout, sur la route qui traverse le bois de Hesse, alors balayé par les obus allemands.

     

    Ayant étendu sur le sol une toile d’équipage, un des poilus frappa la branche où se tenait l’essaim d’un coup sec et les abeilles tombèrent dans la toile, qui fut aussitôt refermée et emportée. Le soir même elles étaient enruchées.

     

    Mais nos poilus, en capturant l’essaim, avaient-ils aussi capturé la reine ? Non, car quelques jours plus tard, ils s’aperçurent que la ruche ne prospérait pas : elle n’offrait aucune trace de couvain. Ou la reine s’était échappée lors de la prise de l’essaim, où elle avait été tuée accidentellement pendant les diverses opérations nécessité par la mise en ruche.

    Que faire, en vérité dans la circonstance ?

    Nos soldats apiculteurs devaient-ils se résigner à voir périr le fruit de leur trouvaille faite dans des circonstances assez dangereuses ? Sans la mère, l’essaim était destiné à disparaitre, à s’égrener à tous les vents, à produire des abeilles brigandes et pillardes.

     

    Ils se souvinrent que certaines apiculteurs avaient préconisés le transfert des œufs d’une ruche active à une ruche sans mère et que les abeilles de cette dernière ruche les adoptaient, les élevaient et reprenaient goût au travail.

     

    Cette assertion était-elle vraie ? Ils voulurent en faire l’expérience.

    Ils prirent donc dans une bonne ruche des œufs frais du jour, et, le soir, les placèrent devant l’entrée de la ruche orpheline.

    Dès le lendemain matin à leur grande satisfaction, les œufs avaient tous disparus. Ils visitèrent aussitôt l’intérieur de la ruche cadre par cadre, et se convainquirent que les œufs étaient installés dans le fond des cellules. Ils avaient donc été adoptés.

     

    Quelques jours plus tard plusieurs des cellules qui avaient reçu les œufs, étaient transformées en cellules royales, et, trois semaines après, l’éclosion s’opérait ; les reines fraiches écloses se promenaient au milieu des ouvrières. Une seule fut conservée dans la ruche, et bientôt, elle commença à pondre. Ce qui prouve, une fois de plus que l’accouplement n’est pas toujours aérien, et qu’il se produit aussi à l’intérieur de la ruche.

     

                                  Alphonse Labitte (attaché au Muséum)

                                                      Almanach illustré du « Petit Parisien ».


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