• COURSES DE ROANNE

    COURSES DE ROANNE

     

    C’est une affaire faite et nos courses sont proches.

    Souscripteurs endurcis, vous qui plongiez la main

    Et retourniez un louis dans le fond de vos poches,

    Nos jockeys sont ici, c’est pour après demain !

     

    Etes-vous décidez ! Les listes sont ouvertes.

    On peut souscrire encore. Un commis diligent,

    Desserrant le compas de ses jambes alertes,

    Viendra palper chez vous le petit contingent.

     

    Quel mince déboursé pour une forte encaisse !

    Donnez votre louis et soyez convaincus

    Que nous ne battons pas ici la grosse caisse

    Et que vous reverrez bientôt vos quatre écus.

     

    En est-il parmi vous que le sport n’intéresse ?

    Vous, banquiers aux sportsmen, ouvrirez vos crédits.

    Imprimeurs, vous mettrez des boniments sous presse :

    Jardiniers, vous vendrez des fleurs et des radis.

     

    Médecins, vous aurez à guérir des fractures.

    Boulangers, vous ferez hausser le prix du pain.

    Philosophes, traitant des mornes sépultures,

    Aux jockeys assommés vous vendrez du sapin.

     

    Et vous, artistes dont le fer brûlant imprime

    Aux cheveux les plus plats des contours élégants,

    Vous qui faites, Madame, avec un art sublime,

    Entrer de fort gros doigts dans de fort petits gants !

     

    Roanne, non moins à sec aujourd’hui que les fleuves

    Bâillant après les eaux de maigres affluents,

    Chez tous les boutiquiers en deuil, comme les veuves,

    Jettera des remous de faciles clients !

     

    On viendra de partout, de Feurs, de La Palisse,

    De Lyon, de Paris et peut-être d’Autun !

    Pardieu ! si nous pouvions avoir Monsieur Maurice,

    Roanne se venterait d’avoir reçu quelqu’un.

     

    Les ruraux viendront des Noës et d’Arcinges,

    D’Urfé, de Noirétable et des Moulins-Cheriers,

    Admirer les jockeys perchés comme des singes

    Sur des chevaux bâtis comme des lévriers.

     

    Et des dames mettront leur plus fraîches toilette.

    Pour affronter, sans peur, le carreau du gandin

    Ou du sportman, en veste orange ou violette

    La botte molle sur la culotte de daim.

     

    Variétés de fleurs embaumant les tribunes

    A laquelle donner la couronne, ô Paris !

    Des blondes roses sans aucun far, ou des brunes !

    Étincelantes sans un atome de riz.

     

    Dieu quelle émotion ! au saut de la banquette,

    Quand un sportman, du haut de ce tertre escarpé,

    Ira, désarçonné par Fifre ou par Coquette,

    Bondir sur le gazon plus dur qu’un canapé !

     

    J’entends dire qu’il est des choses bien plus graves.

    Si toutes produisaient le choc de celle-ci,

    Indubitablement les Eves les plus braves

    Aux plus adroits serpents diraient toujours merci !

     

    Boulogne, Longchamp, Feurs, Moulins, Châlons-sur-Saône.

    J’en ai vu, pour ma part piquer la tête, dix

    Jockey vert, jockey bleu, jockey blanc, jockey jaune.

    On les croit raide mort, ils ne sont qu’étourdis !

     

    D’ailleurs qu’un jockey tombe ou qu’un cavalier culbute,

    Ce n’est qu’un incident rapide et familier.

    On est encore novice à la trentième chute :

    Il faut tomber cent fois pour être cavalier.

     

    Quelques ânes savants, quelques doctes mâchoires,

    Proclament, ô purs sangs ! que vous êtes fort laids,

    Et que les jockeys sont des pantins dérisoires,

    Triste importation de Messieurs les Anglais.

     

    Ils affirment que c’est un passe-temps barbare,

    Indigne d’un grand cœur et d’un peuple sensé,

    Qu’aller s’épanouir au spectacle peu rare

    D’un jockey qu’on emporte à moitié fracassé.

     

    Qu’après un tel régal, il nous en faudra d’autres :

    Des dogues et des ours, des boxeurs, des taureaux.

    O race de pédants plus nombreuses en apôtres

    Que celle des soldats n’est féconde en héros !

     

    D’après vous la couleur du sang passait de mode

    Et les Européens, las d’être chiens et loups,

    L’Europe allait entrer dans l’avenir commode

    Où l’on échangerait des baisers non des coups.

     

    O spectacle touchant des nations sans armes !

    Littré prophétisait une ère sans combats ;

    Les futurs outranciers s’exclamaient avec larmes

    Quand Niel à son pays demandait des soldats.

     

    Combien te piochaient, filon humanitaire !

    Combien croyaient en vous, pacifiques congrès

    Les lettres n’étaient plus qu’un vaste phalanstère,

    Où chacun aspirait ton encens ! ô progrès !

     

    D’un bon vivant tu fais à merveille un cadavre,

    Divinité du jour. Tu brilles coup sur coup ;

    Dans le fer qui fécondent et dans le fer qui navre,

    Dans la machine à coudre et l’engin qui décout.

     

    Mais puisque ton ardeur n’est jamais assouvie,

    Et qu’un peuple qui t’aime aurait quelque remord,

    Quand il trouve un secret pour étendre la vie

    S’il n’en découvrait deux pour mieux donner la mort !

     

    Puisque Dieu, qui dit-on, nous fit à son image,

    Impassible, nous voit, sans fin, nous déchirer

    Comme nous regardons l’intéressant carnage

    D’infusoires en train de s’entre-dévorer.

     

    Et que plus près de nous, demi-dieu sans scrupules,

    Qui, de cinq milliards fut notre créancier,

    L’Allemand, pour avoir nos dernières pendules,

    Entasse de la poudre et coule l’acier.

     

    Puisqu’enfin c’est la guerre, éclatante ou latente,

    Partout prête à frapper des coups intermittents,

    Puisqu’on dort sous son toit comme on dort sous la tente,

    L’oreille suspendue à des tambours battants.

     

    Il faut qu’on se prépare et que l’on s’aguerrisse.

    Un peu moins de discours, un peu plus de travaux.

    France, si tu veux encore qu’on t’amoindrisse

    Ce qu’il te faut, ce sont des soldats, des chevaux,

     

    Des cavaliers légers sur des chevaux rapides,

    Qui, si jamais chez nous reviennent les uhlans,

    Puissent, dragons, hussards, chasseurs, lanciers et guides

    Reconduire chez eux bon train ces vautours blancs.

     

    Galops prodigieux, bondissements superbes,

    Aplomb des cavaliers, à leur selle soudée,

    Tonnerre de la piste, amortis par les herbes,

    Obstacles périlleux, gaiement escaladés.

     

    Courses, vous dépassez la chasse au ministère !

    O chevaux, l’on vous aime et l’on n’est pas surpris

    D’oublier, ô mulets du turf parlementaire !

    Vos contours, vos détours, vos ruades, vos cris !

     

    O cheval, merveilleux ami, vivant trapèze,

    Heureux le sportman qui dédaignant l’étrier,

    Du bond, dont tu franchis la banquette irlandaise,

    S’enlève sur tes reins, sans les faire plier.

    Et qui, t’enveloppant d’une étreinte héroïque,

    Faisant passes en toi la fièvre des bravos,

    Dusses-tu l’écraser dans son triomphe épique,

    De toute ta mâchoire, aplatit ses rivaux !

     

    C. CHASTELUS (1874) Souvenir des Courses de Roanne

     

    Petits Poèmes : 1, Les Courses.  2, Roanne.

     

    COURSES DE ROANNE

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