• DE LA CONCIERGERIE EN 1793?AUX BAUMETTES EN 2013

     

    DE LA CONCIERGERIE EN 1793…AUX BAUMETTES EN 2013

    Alors que les pouvoirs publics s’émeuvent en cette fin d’année 2012 des conditions de détentions des détenus à la prison des Baumettes à Marseille. Il est intéressant de faire une comparaison avec celle de la Conciergerie à Paris en 1793.

    (Les sentiments d’humanité que respire ce rapport le feront lire avec intérêt. On éprouvera aussi peut-être quelque étonnement en apprenant qu’au temps de la Terreur il ne se trouvait à Paris sous les verrous que 950 citoyens détenus, et que ce chiffre paraissait exorbitant à l’inspecteur des prisons)

    RAPPORT AU MINISTRE DE L’INTERIEUR SUR L’ETAT DES PRISONS DE LA CONCIERGERIE, LE 17 MARS 1793

    Je viens de faire une nouvelle visite des prisons de la Conciergerie. L’impression horrible que j’ai éprouvée à la vue des malheureux amoncelés dans cette affreuse demeure est inexprimable, et je ne puis encore concevoir la barbarie des officiers de police, chargés de la surveiller, et l’insouciance des tribunaux à absoudre ou condamner les accusés. Toutes les prisons ont été vidées à l’époque  à jamais exécrable des 2 et 3 septembre dernier. Cependant elles contiennent  aujourd’hui 950 individus. Il y en a 320 à l’hôtel de la Force, 44 à Ste-Pélagie, 206 à Bicêtre, et 380 à la Conciergerie.

    Cette dernière prison qui, par sa position près du tribunal criminel, a toujours été destinée pour les criminels, et qui ne devrait être considérée, d’après la nouvelle organisation, que comme maison de justice, sert cependant tout à la fois de maison d’arrêt, de maison de justice et de force ; il faut toute la surveillance et tout le dévouement d’un concierge incorruptible et de guichetiers éprouvés, tels que ceux qui en ont la garde, pour qu’il n’y arrive pas chaque jour des évènements sans nombre, et des évasions multipliées, comme cela arrive journellement dans presque tous les départements. J’y ai vu une trentaine d’hommes et de femmes condamnés à mort, qui tous sont pourvus en cassation, dont les procès languissent, et qui emploient tout le temps qu’on leur laisse à faire toutes sortes de tentatives, soit pour attenter à leur vie, soit pour opérer un soulèvement au dehors ou même en au-dedans ; et leur rassemblement prodigieux, en leur montrant leur force fait craindre à tout moment que leurs projets ne réussissent. Ce qui contribue le plus à les désespérer, et à leur faire tout entreprendre, c’est l’inhumanité avec laquelle on les entasse dans la même chambre, et les tourments incalculables qu’ils éprouvent pendant la nuit. Je les ai visités à l’ouverture, et je ne connais point d’expression assez forte pour peindre le sentiment d’horreur que j’ai éprouvé en voyant dans une seule pièce 26 hommes rassemblés, couchés sur 21 paillasses respirant l’air le plus infect, et couverts de lambeaux à moitié pourris ; dans une autre 45 hommes entassés sur 10 grabats  dans une troisième, 38 moribonds pressés sur 9 couchettes ; dans une quatrième, très petite, 14 hommes ne pouvant trouver de place dans 4 cases ; enfin, dans une cinquième, sixième et septième pièce, 85 malheureux se froissant les uns les autres pour pouvoir s’étendre sur 16 paillasses remplies de vermines, et ne pouvant tous trouver le moyen de poser leur tête. Un pareil spectacle m’a fait reculer d’épouvante, et je frissonne encore en voulant en donner une idée. Les femmes sont traitées de la même manière ; 54 d’entre elles sont forcées de se coucher sur 19 paillasses, ou de se relayer alternativement pour rester debout, et ne pas étouffer en se mettant les unes sur les autres. Il y a, dans cette maison 47 hommes et 12 femme, qui ont le privilège d’être à la pension et de coucher dans des lits séparés. Cette distinction m’a paru barbare, injuste et injurieuse à l’humanité (1) ; la loi qui distribue le pain également entre chaque détenu, ne peut avoir eu l’intention de donner à l’homme aisé un asile commode, et de mettre l’indigent dans un tombeau. Toute inégalité doit disparaitre devant elle. De quelque état ou condition qu’ils soient, elle voit les accusés du même œil, et leur promet à tous le même traitement, jusqu’à l’instant de leur jugement.

    A CONCIERGERIE 2

    Cependant, au mépris de cette loi bienfaisante, une foule d’individus de la classe indigente, prévenus, pour la plupart, de délits très légers, souffrent dans les prisons toutes les horreurs de la misère et de la faim, tandis que les citoyens opulents, prévenus des plus grands crimes, y jouissent, à la liberté près, de toutes les autres douceurs de la vie. S’il est impossible sous le règne de l’égalité, de faire cesse cette distinction révoltante, n’est-il pas un moyen d’adoucir le sort de l’infortuné détenu, et de lui procurer au moins le repos de la nuit accordé par la nature à tous les êtres, et dont l’homme est ici indument privé pat l’homme même. La maison des ci-devant Madelonettes, à laquelle le département vient de faire une dépense considérable peut contenir plus de 300 individus ; les chambres en sont très propres, aérées, commodes, et pourraient déjà recevoir un très grand ombre de détenus.

    Ceux qu’on y ferait passer ainsi qu’à Bicêtre, à la Force, et à Sainte-Pélagie, où il y a beaucoup plus de locaux qu’à la Conciergerie, soulageraient d’autant, cette dernière prison, et, en excitant l’activité des tribunaux, le nombre des détenus diminuerait chaque jour. Mais la justice semble endormie, ses oracles ne se rendent plus, ou le peu qui lui échappent sont sans effet, au moyen du tribunal de cassation où l’appel en est porté, et où les affaires restent en suspens. Cependant les prisons s’engorgent chaque jour ; presque aucun prisonnier n’en sort ; un grand nombre y arrivent sans cessent ; au milieu de cette effroyable quantité, le juré d’accusation se tait, ou ne se livre que négligemment à des fonctions dont le terme trop éloigné l’effarouche. Il choisit les individus dont il veut s’occuper de préférence, et des malheureux arrêtés depuis plusieurs mois, ont la douleur de n’avoir pas encore été interrogés. Il y en a dans ce cas 34, dont j’indique les noms et la date de l’arrestation dans un tableau joint au présent rapport.

    Je dois encore appeler l’attention du ministre sur le sort d’un assez grand nombre de malheureux échappés au carnage du mois de septembre, et réintégrés depuis dans les prisons en vertu d’ordres la plupart arbitraires et sans cause. La crise perpétuelle où se trouve la République ; les mouvements intérieurs et fréquents qui en sont la suite, les bruits qu’on ne cesse de répandre d’un nouveau massacre, l’image toujours présente de celui qui s’est effectué sous leurs yeux, jettent la terreur dans l’âme de ces infortunés, ils souffrent mille morts chaque jour, et maudissent le moment qui ne leur a sauvé la vie que pour les livrer de nouveau au supplice journalier d’une incertitude cent fois plus cruelle que tous les genres de mort possibles. Regardera-t-on comme une absolution de leurs fautes, l’épreuve à laquelle ils ont été soumis aux journées de septembre et la liberté qui leur a été accordé ! C’est une question que le ministre Roland (2) a soumis le 16 novembre au ministère de la Justice, et sur laquelle il serait important de prononcer. Il n’y a pas de délit qui ne doive être effacé pour des gens qui ont été plusieurs jours sous le couteau ; et la situation pénible où ils se retrouvent en ce moment, et dans laquelle ils sont depuis plusieurs mois les met sans doute dans le cas de l’indulgence.

                                                 Paris, le 17 mars 1793 l’an II de la République française

                                                                                      GRANDPRE

     

    1. N’oublions pas que nous sommes au début de la Révolution et que  les principes de Liberté, d’Egalité et de Fraternité sont bafoués car les « plus riches » disposent déjà d’avantages considérables qu’ils s’offrent avec l’argent.
    2. Il s’agit du Ministre de Louis XVI : Roland de la Platière qui venait souvent dans notre région puisse qu’i possédait de la famille dans le village de Sainte Colombe sur Gand. Sa femme dite Madame Roland fut guillotinée quelques mois plus tard, tandis que son ministre de mari s’enfuyait à l’étranger.

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