• FRANÇOIS ET LA DÉCLARATION DE GUERRE

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    Je m’en souviens comme s’y c’était hier.

    « Je revois un gars du village, Martial. Il avait vingt ans, c’était un beau frisé. Il a dit à sa mère plaisantant : « Je pars chez le coiffeur à Toul. Les Boches pourront avoir le bonhomme, mais pas les cheveux ! »

    Il a été tué au Bois-le Prêtre.

    Lucie Colas n’avait que sept ans en août 1914, mais sa mémoire a conservé des dizaines d’histoires comme celle-là, ainsi que des couplets patriotiques que sa jeune institutrice, Alice Leclerc, aimait à lui apprendre.

    Après que la Belgique a été envahie dans les toutes premières semaines de la guerre, la quinzaine d’écoliers de Gye rend hommage aux voisins et Alliés. «  Nous entonnions ceci, précise Lucie qui se souvient davantage des paroles que de l’air :

    « Salut à la Belgique

    « - A ce peuple énergique,

    « - Qui a combattu

    « - Les casques pointus

    « - Pour protéger la France. »

    Pendant les quatre années de conflit, la petite fille de cultivateur verra défiler de nombreux « pioupious » : « En 1914, ce sont des soldats du 47° Régiment d’infanterie qui étaient cantonnés chez nous. Avec les hommes non mobilisables et les plus jeunes du village, ils ont coupé les saules le long des ruisseaux pour que les troupes puissent avoir un horizon totalement dégagé en cas d’attaque ennemie. Ensuite, ils ont creusé des tranchées sur les côtes, au bois de Gye et au lieu-dit Marinchamp ; des tranchées en zigzag pour éviter les tirs en enfilade. Elles étaient entièrement boisées. Un côté lisse et un côté pour les abris. » Lucie ajoute : « Ces tranchées n’ont jamais servi puisque les Boches ne sont pas venus jusqu’ici.

     

    Plus tard, le village devait accueillir des hommes revenus du front pour se reposer : « Ils dormaient dans les granges et les écuries ; les officiers avaient droit aux chambres libérées par les hommes mobilisés », indique Lucie. Lorsque les soldats arrivaient, harassés, « ils commençaient par se doucher à l’eau froide dehors directement à la pompe en groupe, après avoir secoué leurs chemises au-dessus des tas de fumiers. Ils se douchaient à fond pour les poux, les « toto » comme ils disaient »

    En janvier 1916, juste avant la bataille de Verdun, des artilleurs feront halte à Gye pendant un mois. L’un deux, un père de famille, viendra à la maison de Lucie «  pour me faire faire des dictées et du calcul. Il m’avait dit qu’il m’écrirait. Il a sans doute été tué dans les premiers  jours de la bataille. Je pense encore à lui.

    « Dans notre village, les gens, les enfants rappelaient aux poilus leur vie d’avant. Ils semblaient heureux ». Mais la guerre les reprend. La nuit, ce sont des convois à chevaux transportant des canons qui traversent le village, défonçant les rues, arrachant au sol une glaise rouge et collante… Mais l’armistice viendra. «  Les cloches de tous les villages des alentours sonnaient. Un gars de dix-huit ans très costaud, a grimpé sur le grand sapin derrière l’église avec un drapeau tricolore. Il fallait voir comment l’arbre vacillait sous son poids. Tout le monde criait « descends donc tu vas tomber ! » Mais, il continuait. D’autres riaient. » Le drapeau est resté un bon moment dans l’arbre, tout en haut.

     

    Nés dans le même village à dix ans d’écart, Lucie et Louis devaient se marier en 1926. Pendant que sa future épouse était encore à l’école communale, Louis fut mobilisé pour la guerre

    «  Il est parti en septembre 1916 après avoir bénéficié de cinq mois d’ajournement parce qu’il avait déjà deux frères sous les drapeaux, indique Lucie. Il était présent à Ypres, il s’est battu dans la Somme et, une fois la guerre terminée, il est resté quelques temps dans l’armée au Proche-Orient, à Beyrouth et à Damas. Mon mari a été dans les premières troupes françaises à entrer dans Strasbourg libérée. Il était parti de Belgique avec son régiment, le 18° chasseur à cheval.

    Il s’est notamment arrêté à Thaon-les-Vosges, où il a rencontré la fameuse femme à barbe, Clémentine Delait, qui y tenait un café et vendait des cartes postales avec son portrait et un tampon pour authentifier votre passage chez elle ! ».

    Louis, qui avait fêté ses cent ans avec sa famille et ses amis, à disparu en 1998, le même jouir à quelques heures près qu’un autre poilu du Toulois, Denis Dieudonné, âgé de cent deux ans.

                   François Moulin (Les enfants de la Grande Guerre) ouvrage collectif  L’Est Républicain 2006


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