• LA PREMIERE TOURNEE D’UN FACTEUR DE JADIS

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    LA PREMIERE TOURNEE D’UN FACTEUR DE JADIS

     

         J’ai pris mon service un jeudi de l’année 1845 et en plein mois de mai, juste au moment où venait de commencer le système de la lettre à timbre-poste(1).

     

         Mes quatre collègues m’attendaient avec amitié en face du café Michelin. Allez donc refuser à de braves anciens d’arroser le service ! J’ai offert le casse-croûte.

     

         Les quatre ont fini par m’emmener bras dessus, bras dessous, heureux d’aller présenter à leur receveuse le fameux débutant…Aussitôt, j’ai commencé à chavirer les sacs de dépêches et a y trier à tour de bras, comme pour charger les gerbes. Je suis sorti du bureau en assurant à la receveuse que j’étais tout à fait l’homme qui lui fallait…un débrouillard et un déluré… Et je suis parti là-dessus, le képi en bataille, la moustache troussée au vent.

     

         Me voici en route pour Morey, sur ce chemin de la Côte, que j’ai trouvé un tantinet zigzaguant, tandis que le soleil jetait feu et flammes pour m’abasourdir. Malgré tout je suis courageusement arrivé à Morey.

     

         Ah ! Morey n’est pas un croquant de pays !... C’est le pays aux gens causants, vivants, liants…Il faudrait être au trois-quarts fou et le dernier quart enragé, pour ne pas s’attacher en un rien de temps avec ces gens là.

     

          Or voilà le pays dans lequel je suis arrivé, sur le coup de onze heures, tout cuit de soleil. Tout de suite, dès les premières maisons, on s’est pris de sympathie pour moi, et on m’a offert le vin frais qui désaltère.

     

         Mais la maison de l’accueil chaleureux, ce fut le café Limousinot. J’étais prévenu : tous les jours le facteur avait là sa table et son dîner gratis. Aussi j’y suis entré la bouche en cœur…

    -   Pauvre gros, fit la patronne, assieds-toi bien vite !...Tu dois être fatigué, pauvre petit !... Charlot ! Presse vite le dîner : c’est le nouveau facteur… Vois-le, tiens !...Quel brave enfant !... C’est notre bon petit Gilles (de Saint-Philibert)…

     

         Tout en parlant de ma sœur, en pleurant, en s’essuyant les yeux au coin de son tablier, la Fanchette me servit un repas formidable arrosé d’un bon petit vin blanc…

    -  Te voilà un peu remis d’aplomb !...Hein, mon pauvre gros ! Me dit-elle tandis que je me levais de table.

     

         Je ne me rappelle plus bien comment je me suis retrouvé sur la place, occupé à distribuer mon courrier aux galopins du village, qui se disputaient et s’arrachaient les paquets de lettres…Il en est venu des gens !...J’étais heureux de leur serrer la main à tous…Et je ne me rappelle pas davantage comment je me suis trouvé par la suite tout seul sur le chemin des Chambertins au soir de cette journée…Je m’étendis dans l’herbe tendre du fossé et m’engloutis dans un sommeil dur comme la corne.

     

                                                                     Gaston ROUPNEL (Le Vieux Garain)

     

    (1) L’auteur se trompe, le premier timbre de France ne datant que du 1° janvier 1849

     

     

     


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