• "LA PROLETAIRE" ou "montre du pauvre"

     

    LA « PROLETAIRE » OU « MONTRE DU PAUVRE »

    (Première partie)

     

    C’est dans les années 1865 à 1867­ qu’après une période de gestation de longue durée, la construction du mouvement rêvé par Roskopf (1) entra dans la phase d’exécution pratique.

     

    Georges-Frédéric Roskopf, qui avait lu les quelques rares ouvrages traitant de l’horlogerie de poche et s’était ainsi acquis de solides connaissances théoriques, se mit à l’œuvre.

     

    Il s’agissait, d’arriver à produire et de livrer pour le prix de 20 francs, une montre robuste, donnant l’heure exacte.

     

    C’est autour de cette unique condition que gravitait toute l’entreprise, et toute la mentalité de Roskopf se trouve dans cette sorte de problème que son esprit positif avait décidé de résoudre. Il ne pouvait pas comprendre que l’on pût fabriquer, vendre ou porter une montre, si humble fût-elle, qui ne remplit pas sa fonction, c’est-à-dire qui ne marquât pas l’heure juste.

     

    Tout était donc conçu à l’avance dans son cerveau, jusqu’au nom qu’il allait donner à sa nouvelle montre : ce serait la « Montre du pauvre » ou la « Prolétaire » destinée « aux classes laborieuses ». Pourtant il hésitait, heureusement son ami Louis Favre (2) lui écrivait « Quand une entreprise est lancée, il faut envisager les difficultés avec sérénité. Il est superflu de faire part à des indifférents des luttes qu’on a soutenues, des obstacles qu’on a renversés, des craintes que l’on peut concevoir pour l’avenir. C’est s’exposer à être mal compris. En général, les chalands courent au succès et tournent le dos à celui qui a l’air de manquer de confiance » Roskopf en pris note.

     

    Il va sans dire que si, en esprit, Roskopf voyait déjà sa nouvelle montre portant l’heure aux déshérités de la terre, tout était à créer lorsqu’il s’agit de passer à la pratique : calibre, outillage, etc., sans compter le personnel à former et à gagner à ce genre de travail.

     

    Dans les premiers mois de 1867, les montres commencent à rentrer en fabrication.

     

    Il y avait cette année là une exposition universelle à Paris. On suggéra à Roskopf d’y envoyer une de ses montres et de la soumettre au jury. C’était un peu hasardé, car comment une montre aussi brute, aussi inélégante, parviendrait-elle, au milieu de tant d’autres objets riches et apparents, à retenir l’attention d’un jury ?

     

    Il se trouva cependant que l’un des experts suisses pour l’horlogerie, qui était même temps amis de Roskopf, se promit de faire valoir les solides qualités de la nouvelle montre. Il sut y intéresser aussi l’un des experts français qui n’était autre que le célèbre Breguet, de Paris. Ce dernier, après un examen attentif de l’invention de Roskopf, fut frappé autant de la simplicité extraordinaire de cette montre que des principes sérieux qui étaient à la base de sa construction. Il fut frappé aussi du mobile généreux qui avait poussé l’inventeur à résoudre le problème de « fournir l’heure exacte aux classes laborieuses ».

     

    C’est grâce sans aucun doute, à cette circonstance, que la montre de Roskopf dut d’être remarquée à l’exposition et d’y être récompensée par une médaille de bronze.

    Mais Breguet ne s’en tint pas là : sans en être sollicité par Roskopf, il signala son invention à la « Société d’encouragement pour l’industrie nationale en France », qui le chargea de présenter un rapport au nom du « Comité des arts mécaniques ».

     

    Ce rapport sur « les montres à bon marché fabriquées par M. Roskopf à la Chaux-de-Fonds (Suisse) » débute ainsi :

     

    « Messieurs l’époque où nous vivons est celle d’une activité fiévreuse de travail ; on sent le besoin de régler l’emploi de son temps et d’en perdre le moins possible. Le temps est de l’argent, tel est l’esprit du moment aussi bien pour l’ouvrier que pour le patron…Il est pour ainsi dire indispensable d’avoir une montre, c’est-à-dire une de ces petites machines si extraordinaires et si loin d’être appréciées comme elles le devraient l’être, que vous exposez sans transition au chaud, au froid, que vous suspendez à volonté ou posez à plat sur le verre ou sur le fond, etc. et qui malgré tous les mauvais traitements que vous lui faites subir, doit chaque fois que vous la consultez, vous donner l’heure exacte.

     

    Procurer à l’ouvrier une montre à très bas prix et capable de lui donner des indications assez exactes pour lui permettre d’arriver à son atelier à l’heure règlementaire, tel était le problème à résoudre.

     

    Or voici comment, il a été résolu par un fabricant d’horlogerie, M. Roskopf, de la Chaux-de-Fonds canton de Neuchâtel en Suisse, qui, suivant nous, à complètement réussi au point de vue du bon et du bon marché.

    M. Roskopf, est parvenu à confectionner pour le prix de 20 francs des montres qu’il a appelées « montres d’ouvriers ».

     

    Pour établir à ce prix une montre solide et donnant une marche bien suffisantes pour l’usage journalier, M. Roskopf a dû nécessairement simplifier autant que possible le travail se la main-d’œuvre, surtout en ce qui concerne le luxe, et ne s’en tenir strictement qu’au nécessaire, à l’utile, c'est-à-dire à tout ce qui concerne les questions de solidité et de bonne application des principes.

     

    La boîte est très forte, à savonnette ou à verre. Dans le rouage, on a supprimé une roue, au moyen d’un changement dans le nombre des dents employées ordinairement ; la minuterie, partie du rouage qui porte les aiguilles, est placée sur le barillet, et tout le mécanisme est maintenu entre deux platines.

     

    L’échappement cette partie si essentielle du mécanisme, est à ancre. A lui seul il réunit deux qualités : 1° facilité de construction en fabrique, à cause de ses formes plates qui permettent de le faire au découpoir ; 2° excellence relative de la marche, car établi dans des conditions aussi économiques, c’es encore celui qui est le plus susceptible de donner la meilleure.

     

    Suit une ample description de la montre.

    Le rapport se termine ainsi :

     

    « Messieurs, des montres à bon marché ne sont pas chose nouvelle ; on en a fait à plus bas prix, que celle-ci ; mais la qualité était en rapport. Ce qu’il y a de neuf ici, c’est d’être arrivé à livrer de bonnes et solides montres dans des conditions de prix que les bourses les plus minimes peuvent aborder.

     

    Votre Comité des arts et mécaniques, appréciant les efforts qu’il a fallu faire pour arriver à ce résultat, et le service rendu aux classes laborieuses, à l’honneur de vous proposer de remercier M. Roskopf de sa communication et de voter l’impression du présent rapport dans le Bulletin avec le dessin de la montre.

     

                                                           (signé) L. Breguet, rapporteur.

     

     

    (1) Georges-Frédéric Roskopf(1813-1889), est un horloger d'origine allemande, émigré en Suisse, inventeur de la montre bon marché de type

    (2)Avant d’être appelé comme professeur au gymnase de Neuchâtel, c'est-à-dire avant la révolution de 1848, Louis Favre était maître de la première classe au collège de la Chaux-de-fonds. C’est à cette époque qu’il s’était lié d’amitié avec Roskopf, qui plus tard mis son fils en pension chez lui à Neuchâtel.


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