• LE REPRESENTANT DE FILATURE

                Il s’avançait, digne, le personnage qui visitait les patrons tissus, à l’ère de la grande industrie.

     

    Passé le porche de la fabrique à l’enseigne de « Tissages mécanique à vapeur » l’ombre de la grande cheminée, dans le bruit des métiers, il avait le privilège d’être reçu dans « le Grand Bureau ».

     

    On disait de l’industriel en tissage qu’il faisait partie de la « noblesse cotonnière » pour aborder certains membres de la caste, il fallait être bien vêtu et porter chapeau.

     

    L’entretien portait sur  la récolte d’Amérique, le cours du « Strict Middling 1 inch 1/32 » (1 pouce 1/32), sa qualité, les intempéries, les parasites, la spéculation.

     

    Le coton était moins propre, récolté à la machine, qu’autrefois lorsque les noirs, en chantant, détachaient la fleur à la main.

     

    Et puis on abordait les problèmes  filature, de régularité, de finesse, et l’humidité, objet des analyses de la firme ou même du laboratoire (redouté et contesté) de la Chambre de Commerce dit « Condition publique ».

    Pour les fabricants de Zéphyr (la plus haute qualité), de l’Amérique on passait à l’Egypte, avec les appellations de Jumel : Mako, Ashmouni, Guiseh…

     

    Chaque saison, plusieurs centaines de tonnes de « filés » aboutissait ici, provenant des métiers bruissant de Normandie aux bords de la Seine, aux plaines de Flandres, dans les vallées d’Alsace et des Vosges, pour les usines de Roanne et de la « Montagne textile ».

    Transformés en pelotons (« soleil » ou « fromage ») pour la teinture, teints, ourdis, canetés puis tissés, ils devenaient Vichy, Zéphyr, tissu croisé chemise ou autre « cotonne ».

    Le représentant de filature, ayant acheté sa « carte » en début de carrière était souvent obligé de compléter son activité par celle d’assureur, ou de représentant en mécanique, ou accessoires textiles.

    Consacré par le prestige de ses commettants, les grands industriels filateurs, de la famille des « Cotton Lords » de l’Angleterre, il visitait aussi bien les petites usines des alentours de Thizy (par tradition le mercredi), que les grandes fabriques de  Roanne

    Devenait-il riche ? Sinon aisé parfois. Un proverbe du métier disait de lui :

    « Si tu vends du fin, tu bois du vin,

    Si tu vends du gros, tu bois de l’eau ».

     

    Peut-être certains, dans les tournées de l’extérieur quand il fallait visiter les tissages des écarts en bicyclette (avant 1914), puis à cheval, ou en voiture attelée (on en garde encore le souvenir), en conservant l’hiver, même en automobile découverte, la traditionnelle pelisse en « peau de bique », dans cette contrée rustique redescendaient avec un peu de nostalgie dans leur bureau de la ville pour télégraphier ou téléphoner dans le Nord les marchés conquis de la grande aventure cotonnière.

     

    Antonin Bécaud, ancien représentant en Filature (Président des Chemins du Passé)

    GENS DE TISSAGE exposition « Drôle de Trame » Paris 1987


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