• LE TEMPS DE L’ENNUI

    Chronique :

     

                                     LE TEMPS DE L’ENNUI

     

    Juillet et Août les Vacances ! Les filles aux coiffures effilochées, les garçons aux cheveux trop longs, traînent leurs corps bronzés et leur lassitude entre la plage et le bar. Les heures s’écoulent lentement ; on à le temps de ne rien faire ; on ne sait pas quoi faire.

     

    O l’ennui !... O que l’ennui « est d’un bel usage !.. » pourrait dire le nouvel enfant du siècle dans ses « Conseil à Ninon 1964 ».

     

    Alors vite sur la route, en voiture ouverte, pour, dans le vent, oublier l’ennui. Départ vers rien, pour fuir le vide. Et dès le premier arrêt, dans la campagne tranquille, à tue-tête, les hurlements du transistor pour, dans le bruit, endormir l’ennui.

     

    Des bandes de jeunes gens détruisent n’importe quoi, sans raison, sans plaisir, pour détruire, par ennui. Ils s’agglutinent autour des appareils à sous, sans but, pas même poussés par l’espoir d’un gain, par ennui. Ils méprisent et même insultent leurs ainés, pas par méchanceté, pas par jalousie, par ennui.

     

    Pourtant on leur à tout donné, tous les droits que n’eurent jamais les autres jeunesses : le droit d’être libres et jeunes, le droit de choisir, de dépenser, de préférer. Ils ont d’innombrable jouets, mais on ne leur  a pas donné l’essentiel : la manière de s’en servir, de profiter du plaisir. On pense à leur enseigner les progrès matériels et vingt siècles de civilisation ; on ne leur apprend pas à vivre.

     

    Les hommes ont accumulé des trésors, dans le monde entier, depuis des milliers d’années. Il y en a pour tous les goûts, pour toutes les bourses ; tout est à la portée de tous, mais une mauvaise fée a jeté un sort sur cette joie possible : l’ennui.

     

    Dans les plus beaux musées, dans les plus beaux temples, en caravanes, les touristes harassés, défilent indifférents. Ils regardent mais ne voient rien ; ils écoutent mais n’entendent pas. Chacun ne rêve que de la prochaine halte où il lui sera permis de se laisser tomber, bras ballants et bouche ouverte devant un verre de bière fraîche. Ennui.

     

    Le grand tourisme, les grandes vacances, c’est le temps du grand ennui ; on en rêve tout au long de l’année ; on en revient saturé pour retrouver un autre ennui.

     

    Les sociologues ont constaté que plus une société est civilisée plus elle s’ennuie. Nous sommes arrivés à un niveau de civilisation très élevé et d’ennui permanent.

     

    Nous allons vers un temps où ces choses vont s’aggraver car les heures de loisir seront de plus en plus longues. Les plaisirs à heures fixes et les distractions passives que dispensent les radios et télévisions ne pourront combler tous les besoins. Même les hommes qui ne le savent pas ont besoin d’activités plus réelles ; il ne suffit pas de rester spectateur. Pour certains, bricolage et jardinage peuvent devenir les deux mamelles des loisirs ; pour les autres, il faudra bien trouver quelques chose pour remplacer la vitesse et les destructions sans raison.

     

    Bien sur, il reste les guerres et les révolutions. Mais ne pourrait-on inventer autre chose avant d’en arriver à ces solutions extrêmes ? Ou alors… quel ennui !

     

     

    Raymond Cogniat pour le Figaro le 12 août 1964

     

    Note : Les choses ont-elles vraiment changé aujourd’hui ? Je vous laisse juge.

     

    J’aime bien cette chronique retrouvée dans de vieilles archives, écrite l’année de mes dix-sept ans, elle précède que d’une quinzaine de jours mon entrée effective dans le Monde du Travail. A cette époque mon patron avait le droit de faire un abattement (compte tenu de mon jeune âge) de plusieurs francs sur mon salaire.

     

     

     

     

     

     

     

     


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