• Les vaches (Conte)



     

    LES VACHES <o:p>
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    Les contes des Bords du Rhins<o:p></o:p>

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    Quand nous sortons de la Chapelle Saint Charles à Saint-Symphorien-de-Lay et que nous prenons, à l’ancien lavoir, la direction de Saint-Just-la-Pendue via Croizet-sur-Gand, on entre de plain-pied aux pays des vaches.

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    Oui, des vaches, au sens zoologique du terme. Du reste, je n’ai jamais compris pourquoi ce paisible animal avait été choisi, dans le langage populaire, pour symboliser la force obtuse, la rancune mesquine et pour tout dire, ce qui chez nous fait appel aux réactions les plus blâmables, aux instincts les plus bas.

    Je veux bien que l’utilisation massive de l’adverbe compense par là même ce que l’usage « exclamatif » du nom peut avoir de désobligeant, mais néanmoins, le « vachement » mis à toutes les sauces exprime un je-ne-sais-quoi d’excessif qui n’a aucun rapport avec le caractère équilibré de l’animal.

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    Encore peut-on estimer heureux que, poursuivant sur sa lancée, l’homme ne l’ait pas affublé de noms fâcheusement équivoques comme Aminette ou Pinochette et qu’il se soit contenté, même si l’imagination n’a guère était sollicitée, d’appellations banalement horticoles comme Rosette ou Marguerite.

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    Bref, la vache en général et celle du Beaujolais agreste en particulier, mérite plus de considération.

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    Vous les verrez ces bovidés, familiers, à la fois rêveurs et méditatifs, ponctuant de leurs taches blanches et noires un paysage qui épuise la gamme des verts au cours d’une même année.

    Approchez-vous d’une clôture et les animaux viendront souvent à votre rencontre et vous regarderont dans les yeux. Je n’irai pas dire « au fond des yeux », faute d’avoir la compétence politique qui autorise les déclarations péremptoires mais tout de même, il semblerait qu’à ce moment là s’installe entre les êtres vivants un courant de compréhension réciproque.

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    Oserai-je le dévoiler, il m’arrive parfois d’imiter le beuglement, moins avec l’espoir d’entrer tout de go dans l’univers bovin que pour montrer à ce dernier, à l’instar d’une certaine pratique qui préconise d’apprendre les rudiments de la langue lorsqu’on est en pays étranger, combien de mon côté, je fais un effort méritoire pour m’élever à la hauteur de ses préoccupations.

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    Fort de cette attitude, j’ai souvent renouvelé l’expérience jusqu’au jour où, mon choix, s’étant porté sur un champ à population « cosmopolite », je fus interrompu dans mon entretien par un goujat de taureau. Physiquement il n’y avait rien à redire, c’était une belle bête! Mais, pour le reste, quotient intellectuel compris… la brute ; et de bousculer mon interlocutrice et de beugler grossièrement. Brefs, tout dans le comportement traduisait le mépris affligeant de la bonne éducation. Gênée, comme on peut l’être, par la présence d’un compatriote aussi totalement borné, ma vache, mais quel nom lui donner ? S’éloigna à regret et reprit, plus loin, sa rumination silencieuse. Le taureau désappointé par une attitude qu’il n’avait pas prévue, partit au grand galop, sans raison apparente, vers l’autre extrémité du parcage, après avoir éternué bruyamment.

    Un peu vexé, je me promis de prendre ma revanche.

    A quelques temps de là, alors que le printemps incitait déjà les premières fleurs à manifester plus d’audace, je retournais à l’enclos décidait à renouer, avec mon « amie », l’entretien malencontreusement interrompu. Elle était là, et, quand elle m’aperçut, elle se dirigea vers moi. C’est alors que le rustre recommença son manège ; mais cette fois, je ne fus pas pris au dépourvu. Je m’éloignai de quelques pas et je déposai, bien en vue, sur un piquet de clôture un vieux pull-over rouge. Aussitôt, stupéfait, le taureau se planta devant le vêtement et ne le quitta plus des yeux : tantôt excité lorsque le vent agitait une manche, tantôt bizarrement prostré quand l’objet demeurait inerte.

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    Étrange attitude, en vérité, mais pas tellement éloignée, au fond d’un comportement humain.

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    A partir de ce jour-là, et grâce à mon stratagème, je fus définitivement débarrassé d’une présence intempestive et je pus reprendre à loisir les approches amicales que j’avais amorcées quelques temps auparavant.

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    « Et les vaches, direz-vous ? »

    - Eh bien, les vaches continuent, comme par le passé à brouter paisiblement l’herbe des prairies du Beaujolais Campagne.

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                                                                                Léo MIQUEL (1982)


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