• QUAND NOS AÏEULES...

    Pour rire un peu.

     

    QUAND NOS AÏEULES ETAIENT JEUNES FILLES

     

    Le petit récit qui va suivre est établi d’après les notes d’un « livre de raison » que nous avons entre les mains. Les faits qu’ils qu’il relate sont rigoureusement exacts. Ils correspondent à un incident de minime importance qui s’est passé en l’année 1776.

     

    Donc, un matin de juillet de cette année-là, François-Adélaïde, fille de Guillaume Fernel et de demoiselle Jules Miron son épouse, se trouve mal à son aise.

     

    Cela avait commencé par « un cauchemar horrible » qui l’avait éveillé en sursaut. Après quoi, elle avait senti des vapeurs, une douleur cruelle de tête et une si grande chaleur par tout le corps qu’elle avait pensé défaillir.

     

    Même aux époques d’éducation sévère, une fille unique était toujours choyée de ses parents. Les siens, en cette épreuve, s’alarmèrent et tentèrent aussitôt de porter secours à leur progéniture, dans la mesure de leurs moyens.

     

    Ceux-ci étaient nombreux et divers. Toute maison bien tenue possédait un « cabinet » où étaient rangés les remèdes classiques et de toute sécurité qu’il faut avoir sous la main pour une intervention rapide. En outre, comme tout bon bourgeois, M. Fernel avait dans sa bibliothèque un ouvrage, un peu ancien, mais dont la valeur n’avait pas vieilli : Apotchaire (sic) charitable, enseignant à faire en la maison les médicaments composez avec grande facilité, peu de frais et peu de tems…Il l’alla chercher et en appliqua aussitôt les prescriptions.

     

    Déjà, il avait à sa portée un remède précieux assez rare : le sucre. Fondu dans l’eau ou brûlé sur une pelle, ce médicament est efficace contre la plupart des maux.

     

    Mais le malaise de Françoise-Adélaïde devait être sérieux, car il ne céda pas du premier coup à ce traitement énergique. Il fallait trouver mieux.

     

    La servants fut appelée et reçut l’ordre d’aller chercher, dans le placard où on devait l’avoir rangé, un coffret de cuir contenant, jusqu’au moment où on pourrait en avoir besoin, le «  seau pour laver les pieds ». Quand on l’eut enfin trouvé, on l’emplit à demi d’eau chaude où avaient été cuites feuilles de vigne et de sauge, fleurs de roses et de nénuphars, préparation évidemment un peu violente, mais à laquelle aucune migraine ne doit résister.

    Il semble en effet que les maux de tête se dissipèrent, ce qui épargna l’application des remèdes plus hasardeux, tels que celui que recommande le savant Jean Coeurot et qui consiste à tondre les cheveux de la malade et à humecter la place nue avec le lait d’une nourrice allaitant une fille…

    On n’a pas comme on veut ces éléments sous la main.

     

    D’ailleurs la formule était un peu vieille et Guillaume était acquis aux idées nouvelles. L’autorité tout actuelle du célèbre Nicolas Lémery, membre de l’Académie des sciences, dont Fontenelle avait prononcé l’éloge, s’imposait à son attention.

    La migraine était passée, mais les vapeurs continuaient. Et Lémery enseigne que « les cheveux de l’homme sont propres pour abattre les vapeurs si, en les brûlant, on les fait sentir aux malades ». Guillaume se fit apporter une chandelle allumée, s’arracha une poignée de cheveux (vous voyez bien que c’était un bon père), les fit griller à la flamme et Françoise en aspira la fumée. Elle se sentit un peu mieux.

     

    Ce n’était qu’une trêve. Dans la matinée, vers dix heures, au moment du dîner, les chaleurs reparurent. La famille alarmée jugea prudent d’avoir recours sans plus attendre à un médecin.

     

    Les médecins n’étaient pas nombreux à Paris à cette époque. Une centaine, pour plus de 800 000 habitants. Mais, à leur défaut, on pouvait s’adresser à l’épicier du coin, puisque la plupart des épiciers étaient apothicaires et avaient le droit de visiter les malades en l’absence du diplômé de la Faculté.

     

    Pour une raison qui ne nous est pas révélée, le maître épicier du quai Nesle, prié, ne put pas venir. Mais il recommanda un docteur de la Faculté, médecin du roi par quartier, élève et émule du célèbre Claude Dodart, premier médecin de Sa Majesté.

    Il vient au cours de l’après-midi.

    La jeune malade se trouve, dès l’abord, mise en confiance bien que les premières questions qu’il pose soient assez alarmantes.

     Ne cherche-t-il pas en effet à savoir si les symptômes dont il s’agit ne sont pas ceux de la rage, dont d’assez nombreux cas ont éclaté dans la ville ? Il est vrai qu’il tempère l’effroi provoqué par cette supposition en s’élevant contre la barbarie du traitement classique, qui est d’étouffer l’enragée entre deux matelas. Il affirme avec foi qu’il ne faut employer ce moyen qu’à la dernière extrémité. Il est préférable d’abord d’essayer d’autres remèdes.

    « C’est une erreur de croire, assure-t-il, à l’opinion d’Albert de Bollstadt, qui prétend qu’une dent de jument, mise sur la tête d’un enragé, le guérit. J’ai bien plus confiance en Mounier, qui recommande de poser sur sa morsure quelques poils du chien qui la faite (encore faut-il retrouver le chien). Cela est au moins raisonnable et sensé »… Mais le vrai remède est de plonger le malade dans de l’eau de mer. Quand la guérison tarde, c’est qu’on a trop attendu. Il est toujours temps d’envoyer le patient à l’hôpital des fous. On peut aussi l’empoisonner avec de l’opium « afin qu’il n’en soit plus parlé », comme dit notre maître à tous Guy Patin.

    Cependant, le médecin pose à sa cliente quelques questions qui lui prouvent que la terrible maladie n’est décidément pas en cause. Sans l’examiner ni l’ausculter, ce qui est besogne de manœuvre, autrement dit de chirurgien, il finit par émettre son diagnostic.

    Il s’agit d’une fièvre due à un mouvement des humeurs peccantes de l’hypocondre, sous l’influence de la lune, compliquée de celle du jour pair… le quatrième jour de la fièvre, parce que « quatre est l’indice de sept et montrera, par des signes de crudité et de coction, ce qui doit arriver ». C’est clair. Cependant on peut toujours saigner et purger, ce qui ne tire pas à conséquence. Guy Patin faisait saigner ses propres enfants, dès l’âge de trois mois. Quand enfin le moment sera venu, on fera composer par l’apothicaire deux excellents remèdes, tirés de la Pharmacopée de l’immortel Lémery et dont voici les exactes formules :

    1.     Eau de mille fleurs : c’est de l’urine de vache, nouvellement sortie de l’animal. On en boit tous les matins deux ou trois verres. Elle est propre pour les vapeurs.

    2.     Huile de petits chiens : prenez deux petits chiens nouveau-nés. On les coupera par morceaux, on les mettre dans un pot vernissé avec une livre de vers de terre bien vivants. Faites bouillir pendant douze heures, jusqu’à ce que les petits chiens et les vers soient bien cuits. L’huile qui surnage est bonne pour fortifier les nerfs.

    Il apparaît, d’après les notes du livre que Françoise-Adélaïde a suivi ces sages conseils et s’en est bien trouvée.

    Notons en terminant que le célèbre ouvrage de Lémery était encore d’un usage courant au début du XIX° siècle. Pasteur naissait alors. Il était temps.

                                                              Louis Marcellin


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