-
RENTRÉE DES CLASSES
LA RENTREE DES CLASSES
Leurs livres devant eux, sur le coude appuyés,
Les yeux de pleurs récents encore mal essuyés,
De temps en temps entre eux se parlant à voix basse,
Cinq pauvres écoliers — c'était toute ma classe —
Cinq petits montagnards, sur un long banc assis.
Une table entre nous, me faisaient vis-à-vis,
Et d'un regard furtif où l'effroi se révèle,
Cherchaient à déchiffrer ma figure nouvelle.
Qu'allais-je être pour eux ? Sans doute un cuistre noir
Impatient de faire à tous leur désespoir,
Un mâcheur de latin, un pédant rogue et bête;
Sans cesse sur leur dos, tous les jours sur leur tête,
Un Néron de collège, un vrai Caligula.
Au long dans mes regards ils lisaient tout cela,
Et déjà de pensums voyaient grosse ma manche,
Quand je commence ainsi d'une voix brusque et franche:
« Amis —
Permettez-moi de vous donner ce nom —
Bien tristes, n'est-ce pas ? — Ne me dites pas non,
Sur vos fronts c'est écrit — bien désolés vous êtes,
Et si j'en crois encore vos mines inquiètes,
Mon visage nouveau — bah ! faites-m‘en l'aveu —
Pour le quart d'heure au moins vous rassure fort peu.
A vous hier encore les champs, le ciel, l'espace,
La folle liberté qu'aucun lien n'enlace,
La maison paternelle et toutes ses douceurs ;
Aujourd'hui le collège et le banc de la classe,
Et le rigide aspect des graves professeurs ;
En place d'une mère et d'indulgentes sœurs,
Aujourd'hui la consigne et la cloche et l'étude
Dont l'écolier ne peut se faire une habitude ;
Et pour mettre le comble à votre désespoir,
Un vrai jour de rentrée, un jour sombre, un temps noir,
Un ciel rayé de pluie, et puis, par intervalle,
Par les longs corridors un lourd vent de rafale,
Tandis qu'armé de clés, un cerbère jaloux
Ferme à grand bruit la grille et tire les verrous.
« Heures d'or de Septembre, ô joyeuses vacances,
Qui dira les chagrins, qui les regrets immenses
Que vous laissez au cœur de l'écolier en deuil,
Le jour où du collège il repasse le seuil.
« Comme vous j'ai connu cette noire tristesse.
Bien plus, aujourd'hui même, amis, je le confesse,
Est-ce mal du pays ou bien ce temps affreux ?
Je me sens le cœur plein de regrets douloureux ;
Et pour un peu, je crois, à partager vos larmes,
Pourquoi vous le cacher, je trouverais des charmes !
Essuyons-les plutôt, et puisqu'un même ennui
Tous les six exilés nous rassemble aujourd'hui,
Sans perdre plus de temps, nous prêtant commune aide,
A notre mal cherchons s'il n'est pas de remède.
Pour mon compte déjà j'en sais un souverain,
Et qui n'est pas bien loin, vous l'avez sous la main.
Vous ne devinez pas ? Faut-il donc vous le dire ?
Voyons, baissez les yeux… Ah ! Je vous vois sourire.
Je ne ris pas pourtant, mes beaux contradicteurs,
Et quoi que vous disiez, il est dans ces auteurs
Objets de vos dédains, il est dans ces poètes
Des consolations pour l'âme toujours prêtes,
Des baumes sains et purs, des dictâmes secrets,
Capables d'endormir les plus amers regrets.
Oui, dans le vieil Homère et dans le doux Virgile,
Nos plus chers souvenirs ont chacun leur asile.
Leur autel consacré, leur vers hospitalier
Qui fait battre le cœur du plus fol écolier :
Le cri du coq au jour, la brume matinale
Qui des lacs endormis à l'aurore s'exhale,
L'écho des bois profonds qui de loin vous répond,
Le vieux saule en travers jeté pour faire un pont ;
L'étang bordé de joncs que d'une rapide aile
Rase, en jetant son cri, l'ombrageuse hirondelle,
La chèvre suspendue au bord des noirs ravins,
La feuille sèche au loin tapissant les chemins,
La douce odeur des coings, des pommes et des poires
La feuille sèche au loin tapissant les chemins,
La douce odeur des coings, des pommes et des poires
Qui parfume en hiver les rayons des armoires ;
Le vieux chien du logis, gardien jaloux du seuil,
Qui nous fait au retour un si joyeux accueil;
A l'heure où luit Vesper, la légère fumée
Qui s'échappe des toits à travers la ramée ;
Et la veillée autour de la lampe du soir.
Où, leur tâche à la main, les sœurs viennent s'asseoir ;
Et du pâtre attardé la complainte champêtre,
Et la lune à flots d'or glissant par la fenêtre,
Tous les plus chers détails du séjour paternel,
Tout ce qui laisse au cœur un regret éternel,
Tout ce que l'on rencontre et fréquente au village,
Nous le retrouverons, amis, à chaque page.
« Ce n'est pas tout, l'hiver, quand l'astre d'or enfui
Laissera tout dans l'ombre et l'horreur après lui,
La nature, aux feuillets de leur divin poème,
Ne cessera pour nous de resplendir la même
Qu'aux mois où, ranimée aux regards du soleil,
Elle étale sa robe et tend son front vermeil.
Ce sera tous les jours pour nous autant de fêtes ;
Le cœur remis alors, à ces divins poètes
Nous joindrons tour à tour les mâles orateurs,
Les grands historiens, les sublimes penseurs,
Tous ces maîtres puissants dont la fière pensée
A chercher l'idéal, de leur temps, s'est lassée ;
Et comme un voyageur saluant des débris,
Dans ce qui reste encor de leurs sacrés écrits,
Nous chercherons, pieux, du beau, du vrai, du juste,
La tradition sainte et le vestige auguste;
Et de l’humain progrès renouant le fil d'or,
Nous verrons ce qu'on peut pour l'allonger encore. »
Je me tus : dans les yeux de mon jeune auditoire.
Sur l'ennemi commun je lisais ma victoire ;
Comme une ombre au grand jour, de pair avec l'ennui,
La tristesse à ma voix de la classe avait fui,
Les regards souriaient, aussi riaient les bouches,
On n'eût plus reconnu mes cinq petits farouches.
J'étais maître déjà de mes jeunes esprits;
Je m'applaudis tout bas, et du coup je compris,
Si modeste elle soit, ce que vaut une chaire,
Et la mienne à mes yeux dès ce jour devint chère.
ANTOINE CAMPAUX. (Gazette des Enfants du 14 octobre 1866.)
-
Commentaires