• ROANNE, les mariniers, les autrichiens, M. Chorgnon Revue Bleue 1905

    aa
     
    aaa
     

    ROANNE, les mariniers, les autrichiens, M. Chorgnon

    Revue Bleue 1905

     

    Il y a des villes dont la gloire est importante. Il ya d’autres villes dont le renom est modeste.

    Roanne n’appartient pas à la catégorie des cités qui ont établi très activement la grandeur de la France. Ce n’est qu’une petite ville sous l’ancien régime. Elle avait 8 000 habitants en 1815. Elle en compte 35 000 aujourd’hui. Comme elle est sans prétention, il est probable qu’elle ne dépassera jamais ce chiffre.

    Roanne n’est pas une cité militaire. Les habitants y occupent honnêtement leurs jours dans la fabrication de cotonnades estimables. Les Roannais ne sont point naturellement des soldats. Pourtant, ces pacifiques ont jadis joué ou failli jouer un rôle «leur » rôle comme guerriers ;

    C’était en 1814. Les Autrichiens étaient maîtres de Lyon. Leur avant-garde s’acheminait sur la route de Roanne à Saint-Symphorien. Les Roannais, en ces conjonctures, montrèrent des dispositions à l’héroïsme. Dieu ne leur permit pas de traduire dans des actes inoubliables cet héroïsme tout entier. Et aussi bien Roanne était une ville ouverte sans nulle défense contre une attaque digne de ce nom. L’héroïsme des Roannais eût donc été inefficace. Bref les Autrichiens foulèrent le sol de Roanne. Et la guerre en France s’arrêta net. Ce fut il est vrai, pour d’autres motifs.

    Mais une cinquantaine de volontaires roannais se couvrirent de gloire, comme on disait si joliment naguère, dans un fait d’armes pittoresque. Ils étaient quarante-cinq. Et ils firent passer un mauvais quart d’heure à un bataillon de quatre cents Autrichiens sur les coteaux de Saint-Symphorien-de-Lay. Et il y avait là le commandant Antoine Faure. Il y avait aussi Balouzet Louis dit « Lenfile » (tambour) ; Bertillot Jacques dit « Raquebot » (tambour), tous deux mariniers. Il y avait aussi l’ouvrier Joseph dit « Torron », marinier ; Ferrand Jean-Marie dit « Babolin », marinier ; Brissac François dit « le Borgne », propriétaire ; Cristin Pierre aîné dit Frelin, marinier ; Cristin Pierre cadet dit Paturat, marinier ; Cristin Claude dit « Patache », marinier ; Plossard Antoine dit « Battu », marinier, Plossard Louis dit « Cagliostro » marinier, Plossard Charles dit « Peton », marinier. Et vous y étiez, Louis Bertillot dit « Paris-Mollet », marinier, ancien militaire ; Dissard Louis dit « Pignoux », aubergiste ; Chollet cadet dit Dauphiné, charron… Et je ne nomme pas vos compagnons, héros de Saint-Symphorien, mais je pense à eux. Et d’ailleurs ils vivent dans le cœur des bons Roannais.

    Donc les volontaires partirent. Et quand ils furent près d’arriver, le commandant Faure leur tint à peu près ce langage : Vous m’avez nommé votre chef, vous pouvez compter sur moi, mais je veux que personne ne puisse m’adresser un reproche. Si vous voulez vous en retourner, je vous suivrai bien à regret ; si vous voulez revenir par la grand route, je marcherai avec vous ; si vous voulez aller à Saint-Symphorien-de-Lay, ma place est à votre tête.

    Le commandant Faure parlait raisonnablement. Les frères Delias Charles (caporal), qui était marinier, Delias Antoine qui était également marinier, mais qui n’était pas caporal, furent d’avis qu’on devait se battre. Le grand Laurent, vous savez, Laurent (Antoine), ferblantier, surnommés « la Balafre », à cause d’une glorieuse cicatrice qui lui couturait la figure, s’écria : Oui, partons ! Voilà le moment ou les cavaliers vont relever leurs postes, ils seront disséminés : allons voir où sont ces b…là »

    Ils dirent et ils marchèrent à l’ennemi. Les deux tambours reçurent l’ordre de battre bruyamment la charge… Le commandant dispersa sa troupe afin de donner moins de prise au tir des Autrichiens et de leur faire croire qu’ils étaient attaqués par des forces supérieures. Ils firent tant et si bien que les Autrichiens, se croyant attaqués par toute la garnison de Roanne, s’enfuirent en désordre, saisis de panique, et perdirent une soixantaine d’hommes, morts blessés ou prisonniers. Et voici la fin de l’histoire d’après une relation du temps :

    « Le commandant autrichien, surpris dans son sommeil, se sauva à peine vêtu par la fenêtre d’un fenil. Nos volontaires, après avoir cassé beaucoup de fusils, retournèrent à l’auberge de Flandre où ils prirent six chevaux ; il y eut un incident : le grand Laurent, entré un des premiers dans une cour, trouva, armés de sabres deux cavaliers à la porte de l’écurie. Il en couche un en joue et le renverse ; il court sur le second baïonnette baissée ; mais celui-ci la saisit par la douille et empêche ainsi le Roannais d’en faire usage. Tout d’un coup Laurent se rue sur lui l’étreint de ses mains vigoureuses, le renverse sur la litière et le transperce avec sa baïonnette.

    Tous les vainqueurs revinrent sains et saufs. Ils étaient 45. Mais voyez la difficulté d’écrire l’histoire. Une liste dressée un peu plus tard contient 48 noms. Trois intrus ! Quels sont-ils.

    Je dis l’histoire est difficile à écrire. Mais M. Abel Chorgnon, l’auteur de Roanne pendant l’invasion, a mis tous les soins à rétablir l’exacte vérité des faits, sauf qu’il ne sait pas comment les héroïques volontaire roannais, étant partis 45, on pu revenir 48 ; M. Abel Chorgnon est impeccable érudit. Et son œuvre, si discrète d’apparence, est une monographie complète, prudente, sagace, minutieuse.

    M. Abel Chorgnon ne l’eût pas écrite si, le 25 mars, 45 Roannais ne fussent allés à Saint-Symphorien, pour en revenir 48. Et pourtant son livre contient mieux qu’un récit d’un curieux fait-divers. L’âme d’une petite ville en des temps troublés y palpite.

    Les Roannais sont gens raisonnables. Ils possédaient en ce temps-là un Conseil municipal sage comme eux. Lorsqu’on apprend à Roanne la capitulation de Paris, la déchéance de l’Empereur, l’avènement de Louis XVIII, le Conseil municipal, que préside le maire Populle, se réunit et décide :

    « Le Conseil municipal spontanément réuni à la mairie, sur la connaissance qu’il a des diverses pièces émanées du gouvernement provisoire établi en suite de la prise de Paris par les armées alliées, après s’être pénétré des grands événements qui viennent d’arriver et qui permettent à la nation française un heureux avenir, et mû par les sentiments dont il est animé, a déclaré reconnaître le gouvernement provisoire et a délibéré à l’unanimité que l’adresse dont suit la teneur sera publiée et affichée :

    « Habitants de Roanne, l’on vous fait connaître les grands événements qui se sont succédé pendant ces derniers jours, et sur lesquels repose l’espoir de la France jadis, si belle, aujourd’hui si malheureuse. Les lis vont refleurir et avec eux les jours de paix et de prospérité. Un souverain, frère de ce digne monarque dont les malheurs affreux ont fait couler nos larmes, va monter sur le trône qui lui fut légué par le bon Henri, par cette suite de  rois qui furent tous votre bonheur et votre gloire. Une constitution sage, et qui ne présente aucune de ces institutions sous le poids desquelles vous gémissiez, va vous être donnée. Bénissons hautement la Providence qui nous fait enfin entrevoir un port assuré après tant d’orages ; ouvrons nos cœurs à l’espérance, ne comprimons plus un sentiment qui y fut si longtemps renfermé et crions tous avec transport : Vive Louis XVIII ! Vive le roi ! »

    Les conseillers municipaux de Roanne avaient alors un beau style. Mais quelques temps après cette adresse ultra-royaliste, Napoléon revint de l’ile d’Elbe. Les conseillers municipaux reprirent leur plume et leur enthousiasme. Ils affichèrent cette proclamation :

    « Habitants de Roanne, l’Empereur Napoléon vient de remonter sur ce trône qu’il a environné d’une gloire immortelle. Dans cette circonstance mémorable, écoutons la voix de la patrie qui nous avertit d’étouffer tous les germes de discussion qui pourraient se développer au sein de notre, cité de  nous rallier dans un seul sentiment : l’amour de la France, la nécessité de seconder de tous nos moyens les effort du grand homme, qui déjà, en l’an VIII, l’a préservée des horreurs de l’anarchie et qui déclare ne vouloir régner sur elle que d’après les lois et pour son bonheur !’etc.) »

    M. Abel Chorgnon a bien recherché dans les archives de la mairie la troisième proclamation que ne manquèrent d’ »afficher les conseillers municipaux de Roanne au second retour de Louis XVIII. Hélas ! Il ne l’a pas trouvée.

    Mais M. Abel Chorgnon a suivi un à un Tous ces petits mouvements des esprits et des cœurs. Il a reconstitué les mœurs politiques, les habitudes civiques d’une époque, dans une médiocre cité. Sa reconstitution est significative, non seulement pour la petite ville de Roanne, mais pour la plupart des villes de France. Héroïsmes, faiblesses, témérités, prudences, qualités et défauts des bourgeois entraînements généreux et un peu incohérents du populaire. M. Abel Chorgnon dépeint tout cela avec une indulgence aimable, et le décrit avec une douce sérénité. Il sourit cordialement à la vie de ses compatriotes d’autrefois, et sa piété ne laisse pas que d’être un peu narquoise.

    Au demeurant, son livre sans lourdeur, bien composé, clair, de style poli, est une des meilleures monographies locales que je connaisse.

    J.Ernest-Charles (REVUE BLEUE, Revue Politique et Littéraire -1°juillet 1905)

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :