A PROPOS DES EPICES
Les épices sont des substances aromatiques qui proviennent généralement d’organes (boutons floraux, fruits et graines, écorces, rhizomes de végétaux ligneux exotiques) qui furent et sont encore parfois désignés sous l’appellation générique : « arbres à épicerie ».
Bien que certains auteurs prétendent que, de nos jours, on aime moins les épices qui furent l’accompagnement des pains noirs ou fris d’autrefois, on peut dire – sans tenir leur usage, comme on l’a fait, pour un signe de haute civilisation, qu’elles trouvent encore, actuellement, des emplois nombreux et variés. Elles sont considérées comme des excitants, voire des aliments de complément. On a recours à elles pour relever le goût des préparations culinaires, des liqueurs, de diverses boissons, et elles occupent une place importante dans la pharmacopée populaire et même officielle. L’homéopathie, surtout, les utilise, sous forme de teintures appropriées : selon le docteur Henri Leclerc, qui fut le Maître incontesté de la phytothérapie moderne, il y a une trentaine de plantes classées parmi les épices, dont les propriétés thérapeutiques sont vivement appréciées.
On peut diviser ses plantes en deux catégories :
1° les classiques épices originaires de l’Inde que nous continuons à importer, notre climat ne convenant pas à leur épanouissement (poivre, cardamone et maniguette, clou de girofle, cannelle ou cinnamome, gingembre, muscade, safran, vanille etc.)
2° les végétaux généralement appelés condiments spontanés ou cultivés dans quelques provinces de notre Pays ou des nations méditerranéennes voisines (thym, laurier, sarriette, anis capucine, cerfeuil, persil, estragon, moutarde, raifort, carvi, aneth et cumin, fenouil, câpre, poivrons ou piments). A cette liste on pourrait ajouter d’autres « appétits » réputés en France tel que : ciboule, cive ou civette, ail, oignon, échalote.
Autrefois les lois religieuses des Hindous les proscrivaient. « Peu de personne les mange » disait au VI° siècle, le pèlerin chinois Hjuen-Tsiang ; si quelqu’un en fait usage, on le chasse hors des murs de la ville.
Ce propos a essentiellement pour objet les aromates originaires des Indes et des archipels voisins qui dès le temps de Plutarque, de Galien et de Théophraste furent parfois livrés, par la voie de la mer Caspienne et de la Mer Noire, au « Peuples Historiques » : aux Grecs, aux Romains, aux Egyptiens.
Mais c’est surtout à partir du Moyen-âge que le commerce des épices se développa, non sans difficultés, par l’intermédiaire de l’Egypte : Vénitiens et Génois allaient les chercher à Alexandrie pour les répandre en Europe à des prix très élevés.
L’Histoire nous rapporte que l’intention de Christophe Colomb, voguant vers le Nouveau Monde, était de trouver un chemin plus court pour parvenir au pays des épices. Son exemple fut suivi par d’autres navigateurs Espagnols et Portugais et, en 1498, Vasco de Gama découvrît la route des Indes
Les épices qui avaient provoqués ces grands voyages et orienté l’Humanité vers de nouveaux progrès, agirent, alors d’une façon singulière, sur le comportement des individus : le trafic des huiles végétales provoqua de nombreux incidents qui présentent de grandes analogies avec ceux que le monde moderne connaît dans sa course au pétrole.
Après l’écroulement du commerce de l’Italie, pourvoyeuse de l’Europe pendant le Moyen-âge pour les produits d’Extrême–Orient, la Hollande ne tarda pas à ravir au Portugal la conquête de la route des Indes.
A la même époque, plusieurs princes allemands s’indignèrent de l’introduction des épices, qui étaient très chères : ils considéraient avec Luther, que « l’épicerie » était l’un des « gros bateaux » sur lesquels l’argent de l’ Allemagne s’en allait à l’étranger.
Après ces conflits, rappelons les efforts généreux et pacifiques au XVII° siècle, de deux français, Céré et Pierre Poivre (l’étymologie de ce nom n’a aucun rapport avec le Capsicum dont nous parlons), pour introduire les épices dans les territoires de l’île Maurice ou Ile de France et créer ainsi une nouvelle et importante branche de commerce dans l’intérêt de la Métropole. Comme le souligne l’Abbé Migne ces deux botanistes cultivateurs ont eu à déployer, pour le succès de leur patriotique entreprise, une activité, une patience au-dessus de tout éloge, et ils durent largement mettre leur patrimoine à contribution.
C’est encore à eux que l’Ile de Mascareignes, les Antilles, Cayenne et la Guyane sont redevables des plantations d’épices qu’elles possèdent.
A plusieurs reprises le mot « épiceries » c’est trouvé sous notre plume ; ces aromates ne sont pas sans relations avec le commerce, bien connu du même nom.
C’est au XIV° siècle que s’établirent, à Paris, les premières boutiques d’épiciers qui eurent le droit exclusif de la vente des épices, jusqu’alors distribuées par les apothicaires.
Retraçons sommairement l’histoire de se négoce. Selon le docteur Leclerc, peu de professions peuvent se vanter d’un passé aussi glorieux. Sous l’ancien régime, les épiceries occupaient parmi les six corps marchands (drapiers, épiciers, merciers, pelletiers, bonnetiers et orfèvres) le second rang ; aux épiciers, jusqu’en 1789, fut confié, sous l’invocation de Saint-Nicolas, la garde de l’étalon des poids et mesures. Ce privilège était représenté par les armoiries de leur Corporation.
Ne pouvait être épicier le premier venu : avant que la vieille Bastille se fut écroulée il fallait, pour entrer dans la corporation, pour acquérir le droit de débiter le moindre grain de poivre, la moindre parcelle de cannelle, une préparation plus longue que celle qui conduit aujourd’hui à l’obtention de docteur en médecine : trois ans d’apprentissage et trois ans de compagnonnage.
Le candidat qui avait satisfait à ces obligations était conduit, en grande cérémonie, chez le procureur du Roi pour y prêter serment ; il recevait ensuite une lettre de maîtrise revêtue de la signature des trois gardes apothicaires et de trois gardes épiciers, vénérables personnages qui, dans les réunions publiques, avaient le droit de porter la robe consulaire.
Un arrêté du 11 juillet 1742 avait établi une sorte de parenté entre les épiciers et les apothicaires. La vente des épices eût d’ailleurs, suffi à faire du commerce de l’épicerie une profession privilégiée : on n’a pour s’en assurer qu’à considérer l’étymologie du mot épices, qui, dérivé du latin species, désignait les espèces par excellence, les aromates dont la provenance lointaine, les parfums capiteux, la saveur brûlante (on appelait espiciers d’enfer ceux qui les vendaient) faisaient des substances les plus précieuses les plus recherchées.
André-Louis Mercier (Lignon-Forez 1960)