Mes enfants vous savez tous que les ruines de Chatelneuf sont celles d’u vieux château. Il ne reste que quelques pans de murs, mais la chapelle est mieux conservée. Aussi les revenants s’en sont-ils emparés et on y dit la messe au milieu de la nuit.
Un jour que mon cousin Michel revenait de la vogue de Bois le Vieux, minuit sonnait au clocher du village, la nuit était noire et la bise soufflait, dans les bruyères. Il marchait vite, quand arrivé devant le vieux castel, il s’arrêta surpris et épouvanté, car un prêtre à cheveux blancs se tenait sur le pas de la porte. « Halte-là, cria-t-il à Michel, sert-moi la messe ».
Mon cousin ne pouvait faire autrement qu’obéir, et il entra. Quand le prêtre eut mis sa chasuble la messe commença, mais Michel était fort inquiet, et regardait de tous les côtés. Il discerna bientôt dans le fond de la chapelle un homme de haute stature à la barbe noire, vêtu d’un habit de velours noir brodé d’or, et portant sur la tête une couronne d’or. De sa main droite, il s’appuyait sur une longue épée de fer et une cuirasse d’argent lui bardait la poitrine. Nul doute que ce ne fût un de nos anciens comtes, morts depuis plusieurs centaines d’années. A côté de lui, était à genoux une jeune et jolie femme, au teint pâle, parée d’une robe de satin bleu et blanc. Dans les rangées de bancs, des paysans de ce temps-là étaient assis et derrière eux des soldats en armures de fer se tenaient debout la lance au poing. A l’Ite missa est, le mobilier de l’église disparut et ce ne furent plus que des squelettes qui entourèrent Michel et le mirent à la porte. Il ne repassera certainement plus, de nuit, à Chatelneuf.
Mathieu VARILLE (Légende forézienne du milieu duXIX°siècle)