LA POIGNEE DE MAINS, DANGEREUSE ?
(Alors qu’une publicité diffusée plusieurs fois sur nos chaînes de Télé nous indique que nos mains doivent rester propres. Alors que chaque bulletin météo nous annonce des changements climatiques. Il est intéressant de lire cet article vieux de plus 115 ans…)
Ne crachez plus par terre, disent les hygiénistes ; méfiez-vous des couverts des restaurants, des timbres poste oblitérés, des plaques de téléphones, des rampes d'escalier, des essuie-mains dont tout le monde se sert, etc., car en cette fin de siècle, tout est sujet à microbes : le baiser lui-même peut contenir le germe de la mort.
Dans cette crainte exagérée du microbe, il vient de se former à Bakou, ville russe située sur les bords de la mer Caspienne, une Société dont le but est de supprimer les poignées de main, sous peine d'encourir une amende.
Le mobile qui a guidé les fondateurs de cette association n'est autre qu'une raison d'hygiène. Depuis longtemps, les médecins protestent contre l'abus des poignées de main, dont les effets sont surtout nuisibles en été, parce que la poussière, véhicule des plus dangereuses épidémies, reste adhérente aux parties humides de la main et se communique ensuite par le contact de l'un à l'autre.
Des expériences nombreuses ont été faites, entre autres par l'hygiéniste Buchner, sur des souris et des singes auxquels on faisait respirer de l'air chargé de poussière, et qui propageaient ensuite chez leurs compagnons le germe de la peste sibérienne. D'où la conclusion que les épidémies peuvent se communiquer aussi par le serrement de main, surtout dans des villes poussiéreuses comme l'est celle de Bakou.
Quelques Anglais ont poussé plus loin cette exagération. Dans un tramway de Londres, deux femmes causent entre elles d'un typhoïdique qu'elles viennent de soigner. La conversation est entendue des autres voyageurs : vite la peur les prend des germes morbides que ces deux personnes peuvent traîner avec elles ; vite de faire arrêter la voiture et de faire prier par les policemen les deux voyageuses de descendre.
On ne saurait certes trop prendre de précautions contre la contagion ; la preuve en est dans les nombreuses prescriptions de nos municipalités; mais il y aura, toujours des desiderata. Car que ; dire de ces innombrables nuages de poussières, peut-être microbiennes que soulève chaque matin, en été, le balayage des grandes villes, où malgré la bonne réglementation administrative, l’arrosage ; ne se fait souvent qu'après le balayage, si par malheur l'arroseur n'arrive bon premier à son poste? On peut neuf fois sur dix constater le fait. Dans cette crainte exagérée du microbe, on n’oserait bientôt plus sortir de chez soi, ou tout au moins ne se promener qu'avec un masque sur le visage pour préserver la bouche, et les fosses nasales contre la pénétration des microbes dans les voies pulmonaires, un masque léger, en aluminium, pareil à celui dont se servent les pompiers pour entrer dans les endroits asphyxiants, et préconisé pour les soldats de Madagascar.
Ce nouveau costume, agrémenté de lunettes, ne serait ni très commode, ni très seyant. Aussi ne faut-il pas pousser trop loin cette terreur du microbe, car nous pouvons être exposés chaque jour à côtoyer médecins et autres personnes venant peut-être de rendre visite à des malades.
Envions alors le sort de ces hommes, femmes et enfants qui, nous dit la Médecine moderne, passent leur existence au fin fond des mines de sel gemme de Wieliczka (Galicie), à plusieurs centaines de mètres de profondeur et dont la plupart arrivent aux limites de l'extrême vieillesse. Ces galeries s'étendent sous terre, sur une longueur de 82 kilomètres, et les mineurs ont construit, à même le sol, des maisons, un hôtel de ville, des salles de réunion, et même un théâtre! Ils vivent et meurent dans ce village souterrain où les rues bien nivelées, les places spacieuses, sont éclairées à la lumière électrique.
On cite des familles qui, depuis plusieurs générations, paraît-il, ne sont jamais montées à la surface du sol. La petite église de Wieliczka avec ses statues sculptées dans les blocs de sel est une des plus merveilleuses constructions architecturales de l'Europe.
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Les hygiénistes sont d'accord sur la nécessité des précautions à prendre, surtout en présence de ces brusques variations atmosphériques qui se font sentir sur tout le globe, et montrent un véritable bouleversement dans les saisons. Mais à quoi les attribuer? A l'influence des taches du soleil, à l'éloignement de nos côtes de ce grand courant équatorial nommé le Gulf-Stream, au refroidissement de la terre, ou bien, comme on a tenté de le démontrer, à l'influence des glaces-polaires qui engendreraient de forts courants d'air passant sur ces masses considérables de glaces. Quelle qu'en soit la cause, nous avons vu succéder à une période de sécheresse générale ayant duré près de deux mois, une période de pluies extraordinaires, d’ouragans, de tempêtes telle que l'on n'en a pas constaté depuis longtemps.
En Amérique, des pluies de boues, des tempêtes de poussières dans le Dakota, le Colorado, le ciel prenant une teinte spéciale due aux poussières en suspension dans l'air, et la neige venant ensuite, colorée en rose, et laissant après fusion des traces de boue. En Russie, à Grodno, on constate pendant un orage la chute d'une matière cristalline ayant l'apparence et le goût du sel gemme.
En France également des orages et des cyclones d'une violence extraordinaire, et ayant donné lieu à nombreuses morts d'hommes. Citons à ce propos une curieuse évaluation de la puissance de la foudre, faite par le professeur Hoppe, à Klaustlial dans le Harz.
A la suite d'un violent orage, un poteau en bois fut atteint par la foudre. A sa partie supérieure se trouvaient deux clous de quatre millimètres de diamètre, qui furent entièrement fondus. Pour arriver à cette fusion, il faut un courant électrique fourni par un moteur d'une puissance de 50 000 chevaux-vapeur, c'est-à-dire de la puissance de cinq grands cuirassés de l'escadre.
A Orléans, au camp de Cercottes, un grand nombre de canons de fusil furent fondus. En appliquant le calcul du professeur Hoppe à ce cas, on trouve que le moteur de la dynamo pouvant fournir un semblable courant serait d'une puissance de 250.000 chevaux-vapeur.
A Besançon, une pluie de grêlons de grosseur uniforme de quatre à cinq centimètres de diamètre et d'un poids de soixante grammes environ. M. Vieille-Cèssay qui a eu la patience de compter le nombre de ces grêlons tombés dans un espace dont il mesura ensuite la surface y évalue très justement le poids approximatif de glace issu des nuages orageux et trouve que les nuages déchargèrent environ 1.200 mille tonnes de glace! Poids fantastique, dont on peut se faire une idée en songeant qu'il est supérieur au poids de tout le matériel roulant dé toutes les compagnies françaises de chemins de fer ! En certains endroits même, on recueille des grêlons gros comme un œuf de poule du poids de 250 grammes environ.
L’UNIVERS ILLUSTRE du 21 décembre 1895 (BNF)