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LA ROUTE AUTREFOIS ENTRE ROANNE (Loire) ET LYON (Rhône)

LE FACTEUR A L’OPHICLEIDE (tiré du « Journal de Roanne)

musique facteur

 

LE FACTEUR A L’OPHICLEIDE (tiré du « Journal de Roanne)

 

J’ai connu, dans le temps, un facteur de campagne qui était un bien brave homme. Oh ! Je sais bien que ce signalement convient toujours aux facteurs ruraux, mais, vécut-il encore, le père Leroux ne pourrait plus être un brave homme de la même façon que jadis.

 

Il venait quelques fois à la maison et l’on reconnaissait son pas rapide et ferré, qui faisait rouler devant lui les cailloux du chemin. Mais à peine l’avait-on entendu qu’il apparaissait, son sac sur la hanche, la bouche fendue d’un large sourire, l’air extraordinairement pressé. Il ne pouvait venir à personne l’idée de faire perdre du temps à un homme qui affichait une telle hâte. Cependant, comme notre facteur arrivait toujours, autour de midi, un peu avant, un peu après, et parfois pendant qu’on se trouvait à table, on lui disait :

 

-          Voulez-vous rendre quelque chose facteur ?

-          Oh ! Sur le pouce ! Un petit croûton, rien qu’un petit croûton ! Le suis pressé, pressé…

 

Déjà notre homme pressé était assis à table, et, son sac rejeté sur la cuisse, mangeait. Et c’était un coup d’œil que de le voir jouer de la fourchette et des mandibules ! Il ne demandait rien. Oh ! Non, mais il accueillait avec appétit enthousiaste tout ce qu’on mettait devant lui. Cela durait dix minutes, un, quart d’heure, des fois plus, et quand il n’y avait plus rien dans son verre ni dans son assiette, il se précipitait vers la porte en mâchant, avec la dernière bouchée, un  remerciement. On l’entendait, au pas de course grimper le chemin de chez nous.

 

Le plus curieux, c’est qu’il lui arrivait de faire, autour de midi, trois ou quatre stations du même genre, dans des maisons plus ou moins rapprochées. Lorsqu’on recensait ensuite tout ce qu’il avait consommé, on  restait confondu devant les capacités d’absorption de cet homme pas plus grand que ça et qui trouvait encore le moyen d’être maigre.

 

Mais ce qui conférait au père Leroux une personnalité digne de mémoire, c’était son ophicléide. Car il jouait de cet instrument suranné, bien plus, c’était lui qui, chaque dimanche, à la grande messe et aux vêpres, donnait le ton aux chantres et les accompagnaient. Oui, lui, le facteur, et la République, alors toute jeune, n’en prenait pas ombrage.

 

Notez qu’il n’appartenait même pas à la paroisse et qu’il venait de la commune voisine où se trouvait le bureau de poste.

Dès son arrivée au bourg, il  s’arrangeait pour distribuer le courrier de la campagne aux gens qui arrivaient à la messe, après quoi libre de son temps, il s’adonnait à la musique sacrée. Souvent il était en lutrin avant tous les chantres, et, après avoir extrait son ophicléide d’un étui en cuir, il s’exerçait silencieusement en manœuvrant les clés, les yeux attachés sur l’antiphonaire.

 

Cet ophicléide faisait notre joie, à nous autres, les galopins que le frère Nicéphore avait tant de peine à faire tenir tranquilles à l’église. Le son bizarre que le facteur en tirait, la mine qu’il faisait en soufflant dans le petit entonnoir où ses lèvres disparaissaient, et surtout les mouvements imprévus des petits couvercles de cuivre qui s’entrouvraient et se fermaient à des distances considérables des doigts du musicien nous causaient de perpétuelles distractions. C’était bien pis quand les chantres et le facteur entraient en conflit, soit qu’ils n’eussent pas pris le même ton, soit qu’au cours d’un graduel ou d’un offertoire, ils eussent cessé de marcher ensemble. Alors ma foi, chacun tirait de son côté, et heureux si l’on trouvait le moyen de finir à peu près en même temps. Le père Leroux a pris sa retraite, voilà bien longtemps, et je crois même qu’il n’est plus de ce mode.

 

Oui, c’était un bien brave homme et qui représentait un type de P.T.T. que nous ne reverrons pas de si tôt.

 

Louis Mercier (article du « Journal de Roanne » en date du dimanche 4 juillet 1920

 

Plus de renseignements sur cet instrument de musique :

http://www.metronimo.com/fr/musique-et-musiciens/74.html

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