Dans les manuscrits de M. V. Smith sur les « Chansons populaires du Velay et du Forez » nous avons trouvé des notes concernant une coutume assez curieuse qui se pratiquait encore dans ces régions il y a une cinquantaine d’années « Le Réveillez ».
Un veilleur de nuit, appelé le Réveilleur, parcourait les villages à la nuit en chantant, à chaque maison, un couplet de son triste cantique. Le Réveilleur rappelait aux fidèles le souvenir des défunts et l’inévitable de leur propre mort. Le réveilleur allait de porte en porte en agitant sa sonnette, ou bien tapait de grands coups de bâton pour « réveiller » les gens plongés dans le sommeil. Ces derniers, malgré le désagrément éprouvé, lui répondaient Amen ou merci. Le lendemain matin le trouble-sommeil faisait la quête on lui donnait une tranche de pain, ou de la menue monnaie. M. Smith tenait tous ses renseignements des crieurs de nuit eux-mêmes ou de ceux qui les avaient entendus.
A Chamalières, le dernier réveilleur était un nommé Laniel ou Olanier qui, selon l’usage de l’endroit, était appelé du nom de la maison qu’il habitait, le Gabe. Il visitait les hameaux quatre à cinq fois par an, il avait dans son parcours tous les petits groupes de maisons placées sur les degrés du mont Gerbisson et du mont Mionne.
A Saint-Just-sur-Orson, c’était L’Hermette qui visitait les paroisses de Montley, de Chomelise, de Saint-Genest, de Vorey, de Saint-Maurice-la-Roche.
A Saint-Anthème, Nicolas Courtial, le 4 juillet 1873, donne des précisions sur cette fonction qu’on exerce dans sa famille de père en fils.
A Saint-Rambert-sur-Loire, Vortore, Orsignac, Saint-Didier la Séaune, Saint-Bonnet-le-Château, presque tous les villages, nord, nord-est du Puy cette coutume avait lieu. Mais selon les endroits, elle ne se faisait pas aux mêmes époques de l’année.
Tantôt à l’occasion d’un décès (Orsignac) où dans le courant de l’année, ou bien aux quatre fêtes principales des Morts (Saint-Didier-la-Séaune).
Les fêtes avaient lieu le 2 novembre, trois semaines après Noël, ou après Pâques, une autre en juin.
Voici un des « Réveillez » chanté par M. Chabrier à Vortore
Refrain A la mort, à la mort,
Pécheur, ce temps viendra
Le Seigneur à la mort te jugera.
Refrain A la mort, à la mort
Refrain A la mort, à la mort
Refrain A la mort, à la mort
Réveillez-vous, gens qui dormez,
Priez Dieu pour les trépassés
Priez pour vos parents, amis,
Que Dieu les mette en paradis
L’on te mettra dans un tombeau
Comme un enfant dans son berceau.
Et la terre te couvrira
La vermine te mangera.
Pécheurs, approchez du cercueil,
Venez confondre votre orgueil,
Là-bas ce qu’on estime tant
Est enfin réduit au néant
Là-Bas, là-bas dedans le bois
Vous y trouverez une croix
Vous y trouverez par écrit
Le nom du Seigneur Jésus-Christ.
A la mort, à la mort,
Ton orgueil doit finir,
A la mort, à la mort,
Il nous faut tous venir.
La clochette que j’ai en main
Ne sonne pas pour d’autre fin,
Sonne que pour nous avertir
Que de ce monde, il faut partir
Refrain A la mort, à la mort
La lettre suivante, datée du 24 août 1873, adressée à M. Smith par M. Anatole Pinatelle, de Saint-Rambert-sur-Loire, donne quelques précisions intéressantes sur certains réveilleurs :
« Le crieur de nuit n’était ni sonneur ni chantre. Il était une sorte de secrétaire de la confrérie des Agonisants, et quand un de ces membres était mort, il annonçait son enterrement la veille au soir à peu près dans ces termes « On fait savoir à tous ceux qui sont de la confrérie des agonisants Honnête un tel a passé de vie à trépas, avec la grâce de Dieu. Vous assisterez à son enterrement. Vous prierez Dieu pour le repos de son âme et il priera Dieu pour vous.
Il sera enterré demain, à telle heure « Il disait ces paroles dans chaque quartier après avoir sonné trois coups de cloche. « Le jour de l’enterrement, il accompagnait le mort, en costume, en sonnant tous les dix ou quinze pas, derrière le cercueil. On lui donnait quelques pièces de monnaie. « Son costume consistait dans le surplis dont je vous ai parlé et sa coiffure était une sorte de bonnet carré comme ceux des prêtres, mais blanc avec un bouton noir. « La veille des grandes fêtes il chantait ses complaintes la nuit. « Il commençait au cimetière à minuit après y avoir fait une petite prière, puis il allait chanter dans tous les quartiers, à chaque porte. Il disait un de profundis en donnant un coup de poing dans la porte. « La complainte était toujours la même, rappelant le souvenir des morts, mais à la veille des fêtes joyeuses, on ajoutait un alléluia ou Dieu est ressuscité. « Girard a été le dernier crieur de nuit, il a chanté jusqu’à sa mort, arrivée il y a dix-huit ans. Il n’avait pas un costume spécial, mais son prédécesseur Berthéas en avait un.
Je tiens ces renseignements du greffier de la justice de paix de Saint-Rambert ». La complainte de Saint-Rambert est dans le même esprit que les autres « réveillez », il n’y a guère que des différences d’expression. L’habitude de chanter des « Reveillez » était si familière qu’on en avait composé un pour danser et qui s’intitulait :
Le Temps,
Le temps de ma jeunesse, j’avais que gloire et vanité. J’avais que gloire et vanité, certainement. Ma jeunesse s’en est allée comme le vent. Mais à présent que je suis vieille, j’entends le tambour de la mort, certainement. Qui me dit « faut t’en aller sans plus tarder ». O mort, que tu es donc cruelle, si tu m’en avais avertie. Si tu m’en avais avertie, certainement j’aurais donné tout mon bien aux pauvres gens. Si tu m’en avais avertie, à l’âge de quinze à seize ans, certainement, tu m’aurais répondu oh j’ai le temps.
« Le Réveillez », comme beaucoup d’autres usages, a disparu peu à peu dans cette région. Une habitante de Vorey, Joséphine Chastel, en donne l’explication suivante qui n’est guère exacte sans doute, mais qui résume bien l’impression produite par ces chants nocturnes : ça faisait peur, on l’a défendu.
Mademoiselle Germaine BRIZARD, Archiviste de la Société du Folklore Français.