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LA ROUTE AUTREFOIS ENTRE ROANNE (Loire) ET LYON (Rhône)

LES BORDS DE LOIRE VERS ROANNE

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Il est passé à l’état de légende que LE POUSSIN, au retour de son premier voyage en Italie, se serait arrêté chez nous, à Saint-Maurice. Il y a en effet dans cette nature spéciale, dans ces montagnes de la Loire, une grandeur de caractère à la fois âpre et classique. Rien de surprenant alors que le styliste qu’était le peintre des Andelys se soit trouvé séduit par la contrée, que le décor de sa scène du Déluge, comme tant d’autre belles et sévères compositions, aient eu pour point de départ ce petit coin du terroir roannais.

 

Toujours est-il que, si le nombre d’artistes depuis ont été à leur tour souvent attirés dans cette région, ce n’est pas que sur la grande ligne de Paris à Roanne la tentation leur soit venues de déballer leur bagage de peintre, de s’arrêter, ne serait-ce qu’entre deux trains.

 

Les jolies plaines du Bourbonnais ont bien quelque parenté avec les paysages de Normandie, les gentilles fermes aux toits rouges qui émergent des verdures ou s’enlèvent par un ton trop guilleret dans les bleus passés de nos collines amusent l’œil en passant, mais n’ont pas les séductions suffisantes pour faire changer un itinéraire, pour vous forcer d’interrompre votre parcours.

Et cependant, il y aurait dès l’arrivée en Roannais bien des surprises, car les grandes voies ferrées ici même ont épargné les frais vallons, nos sites les plus pittoresques. On passe loin d’Ambierle, bien loin encore de Saint-Haon et notre Madeleine n’est pas entamée par le chemin de fer, comme la forêt de Fontainebleau.

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Roanne n’est donc pas seulement une ville cotonnière, industrielle ; il y a derrière ses grandes et laides cheminées, derrière ses grands murs d’usine, quelque chose à voir. Eh oui ! Il y a à voir et de quoi voir. Mais il faut chercher.

Un peintre de Genève, un beau jour, entend parler de Saint-Maurice, de bords de Loire étonnants, bien pour les peintres. Il se dit de suite : je vais aller voir ça.

Son guide à Roanne aime à procéder par à-coups : on ne passera pas par le chemin de halage, non ! La surprise ne serait pas ménagée ; notre artiste parlerait, qui sait, de s’arrêter dès le Rivage ou les coteaux d’Hervé. On prend donc la grande route, banale s’il en fut, de Villemontais puis la Bruyère et Saint-Jean.

Le pauvre ami se lamente, il est déçu : si c’est ça le pays vanté !...Enfin, il en sera quitte pour peindre, en désespoir de cause, quelques champs de bruyère ou de genêts fleuri. La petite église romane de Saint-Jean fera une silhouette amusante, les fonds aussi ont de douces tonalités…

Maintenant, c’est la descente rapide sur le bourg de Saint-Maurice. La vieille tour de granit rose s’enlève sur les fonds vaporeux de Cordelles, les maisons du village se massent dans des violets laqués d’outremer et, tout au bas, le val du Ris a des bleus verts d’une finesse exquise.

 

Le peintre en question ne fait plus grise mine, le voici arrivé et intéressé…Il n’a pas encore vu la Loire…En quelques enjambées il est à la terrasse, au pied du clocher et, de là, le panorama qu’il a sous les yeux est dans toute sa splendeur.

 

La Vallouse est enveloppée d’une brume légère, à travers ce fin tamis quelques roches pointent, encore rehaussées des reflets venant des hauts sommets. Les piles du vieux pont romain, les iles de pierres tranchent par leurs masses sombres sur l’eau du fleuve, qui a des tons d’émeraude, des violets somptueux et tout là-bas, à l’opposé, au tournant du moulin Chantois, de l’Ourdon les dernières lueurs du couchant courent en traînées d’or fauve sur les arêtes des rochers de la Madone, sur les gravines de l’oppidum de Joeuvres.

 

Notre peintre est du coup enthousiasmé, laisse échapper un : Ca sent bon ici, plein d’espoir pour les glanes artistiques, pour la moisson de bonne études qu’il se promet déjà d’emporter des bords de la Loire.

Ce peintre à nom Jacques Odier, il est revenu assez régulièrement peintre à Saint-Maurice et Villerest. Délaisser la Suisse pour nos environs de Roanne, n’est-ce pas la meilleure preuve que l’on y trouve de l’inédit et des impressions de forte et ample peinture ?

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Le village de Saint-Maurice peut retenir le touriste : quelques maisons Renaissance sont à signaler, entre autres l’ancien manoir de la famille des Lamure, aujourd’hui mairie, porte avec cariatides, tourelle élégante, belle cheminée. A l’entrée de la place, porte surmonté d’une urne gallo-romaine (fouilles de Joeuvres).

En remontant la Loire, le paysage vers Cholleton et Daudenet devient plus aimable grâce à des collines boisées, moulin d’Allah, chapelle Chantois. Au bas de Bully, le panorama s’élargit et les perspectives accusent les plans étagés à souhait.

 

Nous arrivons au Verdier avec sa tour en ruines. La Loire s’étale en de nombreux Jars, au soleil, elle miroite comme lamée d’argent. Prêt du château de la Roche, nous voici en plein romantisme, le castel exhaussé sur la digue est restauré d’une façon intelligente et a fort grand air.

Plus haut, à la digue de Pinay, la Loire n’offre pas plus de variété, si ce n’est en temps de crue ou après la fonte des neiges. Ne trouvant plus devant lui qu’un étroit passage, le fleuve devient torrent, force lui est même de refluer presque dans la plaine du Forez. Alors, par l’ouverture qui lui est ménagée, il se précipite et la vue de cet assaut furieux de vagues chevauchant sans trêve, donne une impression d’horreur, de vertige tout aussi forte qu’une mer démontée, contemplée d’une falaise ou de quelque récif isolé.

 

La digue de Pinay est un lieu d’excursion, au moment surtout des hautes eaux.

 

Les petits vallons qui descendent de Saint-Jodard à la Loire, sont de délicieuses promenades, celui de la Tannerie surtout, avec sa futaie et son frais ruisseau, sa flore si variée. Celui de la Vourdia sera un lieu de halte tout indiqué.

Partant de Saint-Maurice on peut, en rien de temps, faire la promenade en amont, comme en aval. Mais on ne saurait trop recommander la descente de la Loire par le Perron.

Vers le moulin Chantois, on a devant soi, les premiers éperons des contre-forts de Joeuvres et des rochers de la Madone. Le fleuve se trouvant primitivement barré d’une façon naturelle, les travaux exécutés à diverse époques pour la navigation y ont mis bon ordre. Mais tel que, c’est encore bien beau.

Le géant Orgon hantait la gorge de l’Ourdon, qui se trouve là à gauche, il coulait les barques au passage, leur lançant ces jolies petites roches bleues et roses, qui émergent de la Loire et font une sorte de chaussée si prisée par les pêcheurs à la ligne, qui affectionnent ce bon coin-là.

C’est au tournant des Pierres d’Orgon que l’on peut voir une dernière fois en se retournant la silhouette de Saint-Maurice. Se profilant sur un beau soleil couchant le tableau se compose à merveille.

 

Au-dessus du promontoire qui borde le chemin de halage et la goutte d’Ourdon, se trouve le château brulé, sorte d’éboulis vitrifié, ancien atelier préhistorique de la taille du silex ou peut-être simple poste d’observation gaulois.

Nous voici maintenant au barrage de la Papeterie, à l’entrée même de la passe la plus mauvaise de la Loire. Une belle roche de porphyre rose la domine sur la droite, la BrècheRouge ou la Lyonnaise. L’un des rochers de gauche où vient s’amorcer le chenal de la prise d’eau était bien connu des mariniers qui l’avaient baptisé la Roche de la Mort ou de la Croix.

Le lieu est à ce point sinistre :

Que les oiseaux des mers désertent le rivage

Et que le voyageur attardé sur la plage

Sentant passer la mort se recommande à Dieu.

Les mariniers se signaient, il va s’en dire, car à partir de ce moment la descente en bateau devient des plus périlleuses.

 

Le saut du Perron !Le saut du Perron est bien le site le plus austère et imposant de notre Loire, il évoque des images de cataclysme, de désolation.

Voilà bien le montes exultaverunt sicut arietes biblique.

Les montagnes avec leurs croupes de cavales semblent bondir, l’eau court, tourbillonne.

Ne la suivez pas si vite, on peut s’arrêter un peu et s’intéresser aux pêcheries de saumon qui s’adossent à la Pierre du Loup, aux roches du défilé du Maure.

Le courant est rapide, presque en ligne droite. C’est ici que le pilote devait avoir tout son sang-froid : le torrent porte en plein sur la Pierre Rouge, il fallait l’effleurer et barrer aussitôt pour éviter le deuxième écueil, le plus dangereux, la Pierre Griseoù tant de bateaux et de pauvres mariniers de Loire se sont perdus.

 

Combien peu aujourd’hui ont encore le souvenir de notre vieille marine roannaise, combien se rappellent même les bateaux qui traversaient par certains jours le Perron dans une file presque continue, nous venant de Saint-Just, Saint-Rambert et arrivaient à Roanne avec demi-chargement, puis radoubés descendaient ensuite la Loire par équipes accouplées.

 

A destination ; les bateaux se vendaient et les mariniers rentraient au pays par les pataches, semant tout au long de la route leur bonne gaîté et leurs gasconnades de fameux Roannards.

A la goutte de la Fronde, à la papeterie de Villerest fondée par un membre de la famille Montgolfier, la Loire semble maintenant un lac tranquille que de jolis ombrages égayent. L’ile Pélocieux ou l’ile aux Lapins la divise en deux bras. Puis au tournant de la Roche du Bergeravec ses carrières et leur minuscule bateau à vapeur, changement à vue. Le décor devient tout autre et combien reposant après les visons de heurt et de chaos qui se succèdent depuis Saint-Maurice.

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Villerest et Vernay, le pont récemment édifié sur les plans de M. Novat ne détonne pas dans ce paysage. L’alliance du granit et de la pierre rouge de Villerest est d’un effet heureux. Pour une fois les Ponts et Chaussées sont sortis de leur architecture de fer si peu esthétique.

 

Villerest, ville du Crêt, village fortifié, d’aspect moyenâgeux , murs d’enceinte bien conservées, porte se fermant à barres, dit porte de bise. Clocher et chevet de l’église anciens, chapelle intéressante, maison à encorbellements du XV° et du XVI° siècle. Charmante situation pour villégiature, bon air, vue sur la plaine du Roannais, pays de vignobles, donc de douces gaietés.

 

Vernay, en face, possède aussi des ruines dans l’église, retable louis XIV, une Vierge noire romane, lieu de pèlerinage très fréquenté.

 

Au bas de Villerest et Vernay, la Loire a perdu son caractère de tristesse et de solitude, elle reflète délicieusement les coteaux riants qui la bordent et cela jusqu’aux iles de Commières et Bachelard où proche de Roanne elle prendra pour ne plus la quitter sa parure de saulées blondes et de grandes plages au sable d’or !

 

Emile NOIROT (AU PAYS ROANNAIS : Syndicat d’Initiative du Forez Section de Roanne) édité à l’occasion du Concours Musical de 1908.

 

 

 

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