MESDEMOISELLES LISEZ PEU ET BIEN
Bulletin Paroissial du village de Perreux (Loire), décembre 1917
Mlle Rochebilliard, présidente du Syndicat Lyonnais de l’Aiguille donne à ses jeunes adhérentes ces sages conseils dont bon nombre de jeunes filles pourront faire leur profit.
« Je persiste à le dire, parce que je persiste à le croire : les jeunes filles lisent trop, elles lisent sans prudence aucune, elles lisent sans aucun avantage. Thèse absolue, thèse absurde ? Pas tant que cela. Laissez-moi d’abord m’expliquer et me défendre. Vous prononcerez après.
Les personnes qui lisent le plus sont les jeunes filles. Qui va chercher des livres aux bibliothèques publiques ? Les jeunes filles. Qui lit en tramway ou dans la rue, en allant au travail ? Les jeunes filles… Et ceci c’est ce qu’on voit. Ce qui existe en réalité est bien pire. On mange à la hâte et on lit ; on expédie sa besogne et on lit ; on se dérobe aux conversations, aux réunions de famille et on lit : on lit surtout dans sa chambre, le soir très tard, les yeux mal défendus contre le sommeil. J’exagère ? Pas du tout. Je ne dis pas que l’on en vient là tout d’un coup, en un jour. Je dis que l’on y arrive graduellement, mais fatalement. La lecture devient alors une passion, et comme toute passion elle obscurcit l’esprit, elle énerve la volonté. On ne découvre plus les pièges qu’elle tend, les dangers qu’elle prépare, les chutes auxquelles elle conduit. Ou si on le remarque on est sans force pour résister et pour vaincre.
Non seulement on lit trop, mais on lit sans prudence. Tout est bon pourvu qu’on lise, tout est permis pourvu que le besoin soit satisfait. E l’excuse, l’éternelle et bizarre excuse : c’est qu’on n’y prend pas de mal. Allons donc ! Je ne puis vous croire. Ou vous êtes naïve ou vous êtes méchante pour parler ainsi, autrement nous marcherions en plein miracle. Oui miracle. Miracle, en effet, que la vue de spectacles malsains d’où vos yeux ne rapporteraient jamais aucune image dangereuse. Miracle que ce commerce habituel avec des personnages de passion et d’immoralité d’où vous ne sortiriez jamais tentée ou ébranlée dans vos principes de vie honnête. Miracle que ce souffle empesté de paganisme passant sur votre âme constamment sans y laisser tomber des germes de décadence et de ruines.
Vous n’y prenez aucun mal, dites-vous, mais voyons, arrêtez-vous un instant, réfléchissez, comparez votre âme d’aujourd’hui avec votre âme d’hier. Qu’est-il advenu de sa candeur, de sa beauté, de sa simplicité, de sa droiture, de sa pureté ? Je le veux et je vous l’accorde, vous n’êtes pas encore descendues très bas. Vous êtes descendue pourtant, vous descendrez encore. Jusqu’où irez-vous ? Imagination, affection, volonté, mémoire : tout a été atteint, affaibli, souillé sans que vous vous en doutiez. Et après cela vous osez dire : je n’y prends aucun mal. Soit ! Le mal plus rusé, vous a prise, lui, et mon souhait le plus ardent, c’est qu’il vous lâche enfin. Autrement vous seriez bien à plaindre.
J’ai dit que vous lisiez sans aucun avantage. Réfléchissez-vous en lisant ? Prenez-vous des notes ? Votre esprit est-il par vos lectures, étendu, agrandi, élevé ? Vos conversations deviennent-elles plus sérieuse, votre âme plus noble, vos idées plus juste ? Vos réponses négatives me confirment dans l’opinion Que je m’étais faite : vos lectures ne vous sont pas utiles.
Quelle sévérité ! - Non ! Un blâme amical tout au plus. Et mérité… » Aimables lectrices de l’Echo, faites votre examen de conscience sur ce sujet et concluez…
Ne lisez pas trop : le temps est trop précieux pour le gaspiller au détriment de vos devoirs d’état…
Soyez prudentes dans vos lectures : ne vous laissez pas amorcer par cette littérature de pacotille, à 2 sous, à 4 sous, à 6 sous, à 19 sous, que l’on trouve hélas ! trop souvent chez les libraires soi-disant catholiques et qui empoisonne chaque jour tant de milliers d’âmes.
Enfin choisissez habituellement une lecture plus solide et plus sérieuse que cette des romans : vous y prendrez goût bien vite et vous apprécierez à leur juste valeur ces ouvrages frivoles qui ne laissent que vide dans l’esprit et désenchantement dans le cœur, quand ils ne font pas pire encore.
Mesdemoiselles, lisez peu, lisez bien et ne lisez que ce qu’il y a de meilleur !