Extrait d’une lettre de M. L’abbé Chauffret, aumônier militaire à la…division.
« Il ne m’est pas possible de préciser quel jour, mais sûrement dans la première semaine de juillet 1916, un de nos régiments coloniaux entrait dans le village. L’église bombardée flambait. UN groupe de marsouins y pénètre et remarque aussitôt aux murs du sanctuaire un grand drapeau français, avec l’insigne du Sacré-Cœur, que les Allemands avaient respecté depuis 1914. Devant l’autel garni, les bouquets commençaient à se faner. Nos hommes entrent dans la sacristie, sur les meubles, des livres de prière, des tracts, des cantiques en allemand. Dans les armoires, ils trouvent des calices, des ciboires, des ornements. A la hâte, ils enlèvent ce qui leur parait le plus précieux. Comme ils vont sortir, l’un d’eux a l’idée de regarder dans le tabernacle : un ciboire plein d’hosties y était resté. Le soldat l’enlève et toute la troupe repart sous les obus qui continuent de pleuvoir.
« Mais ce n’était pas du tout d’avoir sauvé les vases sacrés ; qu’allait-on faire de ce butin précieux repris aux Boches ? Le combat fini on va trouver le colonel, très populaire et très aimé de ses marsouins ; on lui expose le cas. Le colonel donne l’ordre aux sapeurs de faire une grande caisse, on mettra dedans ciboires, calice et ornements pour envoyer le tout à l’aumônier divisionnaire. Restait un problème embarrassant : le ciboire contenant les saintes espèces, qu’allait-on en faire ? Nous avons « sauvé » le bon Dieu et nous ne savons où le mettre ! disaient les coloniaux avec leur savoureux accent du midi. Il faut bien se « débrouiller » et l’un d’eux avisant un pan de mur encore debout une vaste boite aux lettre qui avait dû, pendant des mois contenir tout le courrier de la garnison allemande : « On va toujours y mettre le bon Dieu, du moins comme cela il sera tout seul ! » Ainsi firent nos marsouins, et pendant les vingt-quatre heures que le ciboire resta dans ce tabernacle improvisé, on aurait pu voir de temps à autre un de ces braves enfants esquisser, en passant, une rapide génuflexion devant la boite aux lettre de Flaucourt.
« Quelques jours après, grâce à la complaisance d’un payeur aux armées, l’évêché d’Amiens rentrait en possession des biens de cette église séquestrée par l’ennemi depuis bientôt deux ans.