• ARS CURE 1
     

    Dans son article du Pays Roannais en date du jeudi 29 mai 2014, lire ci-dessus notre ami Jean-Paul Nomade avec sa plume alerte nous « narre » avec verve, par l’écriture, l’épopée du curé d’Ars dans notre région.

    Sa version et celle que tout le monde connaît et aime entendre. Pourtant une autre assez différente existe. Je vous en livre quelques passages ci-dessous.

                                 

    Nous arrivons au moment où l'existence du jeune Vianney, qui jusqu'alors s'était écoulée calme et paisible, va être traversée par de pénibles épreuves. Ayant reconnu chez son élève toutes les qualités nécessaire au prêtre, M. Balley lui avait promis de faire tous ses efforts pour favoriser une vocation sincère; il tint sa promesse, mais un incident imprévu vint paralyser ses bonnes dispositions. Lorsque Jean-Marie Baptiste approcha de l'âge où la conscription devait le réclamer, M. Balley se rendit à Lyon pour requérir l'inscription de son nom parmi ceux des aspirants la prêtrise.

     On sait qu'alors, de même qu'aujourd'hui, l'accomplissement de cette formalité, en temps utile, exemptait du service militaire. Or, il advint que, par un étrange oubli, son nom ne fut point porté sur les registres contenant les noms des aspirants.

     De 1806 à 1809, aucune réclamation militaire ne s’éleva ; car on ne se doutait nullement qu'il n'eût pas été inscrit. Mais, lorsqu'après les classes inférieures, le moment fut venu pour lui de se présenter aux examens préliminaires qu'il fallait subir avant d'être admis à étudier la philosophie, on découvrit la fatale omission, son nom ne figurait sur aucun registre. Le fait resta d'abord secret ; mais peu à peu le public en eût connaissance ; les indiscrétions de la commune renommée donnèrent l'éveil à l'autorité civile, qui, une fois assurée que les dires s'accordaient avec la réalité, expédia immédiatement au jeune Vianney une feuille de route ; c'était au mois d'octobre 1809.

    Chose singulière et digne de remarques Le jeune Vianney ne fut pas appelé soldat sous les drapeaux au moment où l'Europe organisait contre la France la quatrième coalition. Conscrit de 1806, il ne partit qu'en 1809, c'est-à-dire, lorsque la Russie, la Prusse et l'Autriche, successivement vaincues, avaient été forcées tour à tour de subir la loi du conquérant, lorsque venait d'être signé le traité de Vienne, et que la France se voyait délivrée de tous ses ennemis.

    L'Espagne était alors le seul théâtre des combats, ce fut vers cette contrée désolée par la guerre civile et par la guerre étrangère tout à la fois, que le jeune soldat fut dirigé. L'itinéraire que lui traçait sa feuille de route suivait tout l'intérieur de la France depuis Lyon jusqu'à Bayonne; mais il ne devait pas arriver à sa destination…

    …. On essaya quelques démarches auprès de l'autorité pour faire révoquer cet ordre de départ; mais elles furent sans succès. Son père, après avoir pris conseil de tous les membres de la famille, se décida à lui faire un remplaçant, au prix de 3,000 francs. Un jeune homme des environs avait consenti à partir à la place de Jean-Marie-Baptiste, moyennant cette somme considérable. Tout était conclu, et l'argent avait escompté au remplaçant; lorsque, deux jours après la conclusion de ce traité, celui qui avait accepté de remplacer le jeune Vianney, vint, pendant la nuit, déposer au seuil de la maison Vienney l'argent et le sac bien garni qui lui avaient été remis en vertu des accords passés.

     Grand fut le désespoir de tous, lorsque le lendemain on retrouva argent et sac. Jean-Marie-Baptiste tomba malade, soit du chagrin qu'il éprouvait de voir toutes ses espérances anéanties, soit de la contrainte qu'il s'était imposée pour cacher à sa famille la peine qu'il ressentait; quelques jours après, l'autorité militaire ne l'ayant pas vu arriver au moment fixé, l'envoya chercher par ses agents.

    Ceux-ci le trouvant malade, proposèrent de l'emmener à l'Hôtel-Dieu de Lyon. La famille ne se résigna qu'avec peine à voir s'éloigner cet enfant chéri….  Enfin, après l'avoir embrassé, ils le quittèrent. Ce fut le 28 octobre 1809 que Jean-Marie-Baptiste entra à l'Hôtel-Dieu de Lyon ; il fut placé dans une salle affectée spécialement aux consignés (c'est celle qui porte aujourd'hui le nom de salle Saint Roch)… Après une quinzaine pendant laquelle Jean-Marie-Baptiste reçut les soins qu'exigeait la situation de sa santé, on pensa qu'il  avait puisé dans ce repos assez de force pour supporter le voyage. Le 13 novembre, il quitta l'Hôtel-Dieu de Lyon pour se diriger sur Roanne. Mais le véhicule destiné au transport des « consignés » n'étant qu'une mauvaise charrette, le pauvre convalescent, transi de froid, secoué par des cahots continuels de la Montagne de Tarare, traversa Saint-Symphorien-de-Lay. Trop faible pour marcher,  il ne tarda pas d'être saisi d'un nouvel accès de fièvre; aussi, à peine arrivé à Roanne, on fut forcé de le déposer à l'hôpital de cette ville.

     Dès qu’il fut un peu remis des fatigues du voyage, le jeune homme se hâta d'écrire à sa famille, pour leur annoncer son séjour momentané à Roanne, en attendant qu'il fût en état de continuer sa route. Aussitôt que sa lettre fut arrivée à destination, tous les membres de la famille Vianney revendiquèrent à l'envi la faveur d'aller voir l'intéressant malade. François, son frère aîné, fut désigné pour la première visite; mais tous les autres parents voulurent entreprendre successivement le voyage de Roanne, et pendant les six semaines que Jean-Marie-Baptiste passa dans cet hôpital, ses parents de Dardilly et d'Ecully, accompagnés de leurs amis de ces deux villages, vinrent le voir les uns après les autres, tous s'en retournèrent profondément édifiés de ses sentiments pieux et de sa résignation à son sort.

    Ces fréquentes visites, les témoignages de sympathie et d'estime dont il se voyait l'objet de la part de tous ceux qui venaient le voir, sa douceur et sa jeunesse, avaient excité au plus haut point l'intérêt des sœurs hospitalières; mais leur tendre sollicitude pour Jean-Marie-Baptiste s'accrut encore, lorsqu'elles furent informées des circonstances qui l'avaient empêché de suivre la carrière ecclésiastique, et qu'elles eurent appris la conduite exemplaire qu'il avait menée pendant son enfance et sa jeunesse. Elles redoublèrent donc de soins et d'attentions pour le malade; et, grâce à ces mille prévenances dont elles l'environnèrent, son rétablissement fit de rapides progrès.

     Un jeune homme, natif d'une commune des environs, se trouvait à l'hôpital de Roanne en même temps que Jean-Marie-Baptiste. Appelé lui aussi, sous les drapeaux, il était fermement déterminé à se soustraire au service par la désertion. Ayant exercé son état de sabotier dans bon nombre de communes de la contrée, et particulièrement dans celles qui avoisinent la vaste forêt dite de la Madeleine, il avait des chances de réussir dans son projet Présumant que le jeune Vianney, qui se destinait à la prêtrise et voyait sa vocation brisée par l'obligation d'être soldat, accepterait avec joie les moyens de se soustraire au service militaire, il lui fit part de sa résolution, essaya de le décider à partager sa fuite, en lui faisant entrevoir les moyens de subsister par leur travail jusqu'au temps où arriverait leur libération : enfin, il employa les arguments les plus persuasifs pour le convaincre, et finit par lui dire que s'il se déterminait à déserter, il pourrait se rendre chez un sabotier, qu'il lui nomma, et qui habitait la commune des Noës.

    Toutefois, n'ayant pu obtenir de réponse affirmative, notre jeune homme, appréhendant d'avoir poussé trop loin ses confidences, ne tarda pas davantage de mettre son projet à exécution.

    Le 6 janvier 1810, Jean-Marie-Baptiste, auquel on avait délivré sa feuille de route, partait de Roanne sur une charrette conduite par un voiturier, et escortée de deux gendarmes. Arrivés à un endroit appelé la Maison-Blanche, les gendarmes entrèrent dans une auberge; aussitôt le conducteur, qui savait par quel fatal concours de circonstances, ce jeune conscrit était forcé d'abandonner la carrière vers laquelle ; l'entraînait sa vocation pour en suivre une toute opposée, le pressa de descendre et de se cacher dans la forêt que longeait la route, lui promettant de venir bientôt l'y chercher. Jean-Marie-Baptiste refusait de fuir, alléguant son devoir et l'obéissance qu'il fallait garder à la volonté de Dieu. A cette argumentation, le conducteur objecta à son tour que, malade comme était le jeune Vianney, il ne serait qu'un fardeau et qu'un embarras pour l'armée, puisqu'il paraissait destiné à ne pas sortir des ambulances et des hôpitaux. Il lui représenta que, se rendre à son conseil et profiter de l'occasion qui s'offrait si à propos, c'était peut-être se conformer réellement à la volonté suprême. Enfin, pour en finir avec toutes les hésitations, le brave homme prend le conscrit par le bras, le fait descendre de la voiture, et le presse de s'éloigner.

    Mais, voyant que le pauvre garçon peut à peine marcher, il le conduit à côté de la route, le place dans un endroit où il pourra aisément s’échapper aux regards, puis revient vers ses chevaux, et au, moment où il voit les gendarmes sortir de l'auberge, leur crie que le conscrit s'est enfui, qu'il gagne au large, dans une direction qu'il leur indique. Les gendarmes se mettent à la poursuite du fugitif.

    Plusieurs fois, dans leurs recherches, ils passèrent tout près de lui sans l'apercevoir. Malgré sa faiblesse, après beaucoup de temps et de peine, Jean-Marie-Baptiste réussit à sortir de la forêt, et à gagner le village des Noës..

    La suite nous la connaissons.

     

     Extrait du livre de : Gadola, Jean-Baptiste (Ars et son Pasteur, vie de Jean-Marie Baptiste Vianney) 1869

                                                                                                                  ARS CURE 2

     


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