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    Si les vacances, avec leurs déplacements rituels, sont relativement récentes, le voyage cependant est fort ancien, il faut d’ailleurs noter que nos ancêtres prenaient de temps à autre quelques jours de repos et même parfois passaient un week-end à la campagne. Les préparatifs de ces équipées étaient alors minutieusement préparés, on attachait une grande importance aux costumes, on apportait le plus grand soin à la confection de ses malles, véritables monuments, dont certaines sont conservées dans nos musées, bref, le départ du touriste était tout un événement, bouleversant le train-train de la vie quotidienne.

     

    Lorsque, au XVII° siècle, messire J.J. Bouchard prit le chemin DE Rome ? il revêtit un bon habit de drap d’Espagne mêlé et une casaque grise, car, dit-il, le noir n’est nullement prisé à la campagne «  où tous les offices et dignitez des villes ne sont d’aucune considération » ; il aurait pu ajouter que le noir n’était guère pratique sur les routes poudreuses… Au siècle suivant, lorsque le jeune M. de Frénilly, alors âgé de vingt ans, se rend à Poitier, il voyage à cheval, en culotte de nankin, en bas de soie, le chef coiffé d’un chapeau à plumes, avec seulement une petite valise pour le nécessaire, il avait, en effet, pris soin d’expédier sa malle par la diligence. Comme son épée n’avait pu entrer dans son porte-manteau, il l’avait confiée au postillon qui galopait devant lui, l’arme à la main, la pointe en l’air. « On nous montrait, écrit le spirituel mémorialiste, un grand respect dans les villages et on nous prenait sans doute pour le Connétable de France, courant la poste à franc étrier pour sa santé… »

     

    Vers la même époque, un curé beauceron, avide de changer d’air, s’évadait de Prasville pour visiter une partie de la France. Dans on pittoresque récit (inédit), il nous dépeint son équipage fort simple :

     

    Mon bréviaire et quelques chemises

    Composent toutes mes valises

    Je pars sans en dire un mot

    Courant, trottant avec Margot…

    (C’est-à-dire sa jument).

     

    Fort plaisamment, les auteurs du temps se moquent de ces braves gens, qui empruntant la diligence de Sens, croient utile de s’encombrer de mille et un petits riens, d’une lourde malle et de nombreux vêtements.

     

    La tradition de ces railleries envers les malheureux voyageurs se maintint fort longtemps. En l’an de grâce 1828, sous le règne de Charles X, Xuard de Clopincourt publia un Rudiment du promeneur en voiture, ouvrage amusant, souvent humoristique, où l’auteur met en scène un épicier droguiste de la rue des Lombards, alors centre important de ce commerce.

     

    Cet honorable négociant, si nous en croyant du moins cette mauvaise langue de littérateur, se munit de deux énormes pistolets d’arçon, dont il ne savait point se servir, d’une canne a épée et d’un grand couteau de chasse, dans le but évident de repousser les attaques, devenues d’ailleurs rarissimes à cette époque, des détrousseurs de voitures, puis il joignit à cet arsenal un « pépin » enveloppé dans un fourreau de toile verte, revêtit une large houppelande à ramages et, en plein mois d’août, coiffa son chef frileux d’un immense bonnet de laine à oreillettes. Afin de ne pas courir le risque d’être empoisonné dans une auberge, notre hardi explorateur, avait disposé dans un panier  trois bouteilles de vin et une langue de veau rôtie, il avait joint à ces provisions une bouteille d’osier pleine de ratafia de verjus « pour se réveiller le matin ».

    Les bagages de nos ancêtres étaient imposants, il en subsiste encore quelques vestiges à la vérité fort délabrés dans des musées ou des greniers de province.

     

    Louis Vuitton a examiné, dans un ouvrage déjà ancien, un certain nombre d’accessoires de voyage du temps jadis, voici comment il décrit une malle du temps de Louis XIV : « Elle consiste en un coffre en bois, recouvert de cuir scié et orné d’appliques ciselées de cuivre représentant des soleils, des lions et des anges voletant deux à deux. Des clous de cuivre étampés entourent de leurs circonvallations les appliques ciselés et d’autres clous plus larges taillés à facettes. Deux petites couronnes, placées à droite et à gauche du motif central, donnent à présumer que ce coffre a dû appartenir à un haut personnage. Au milieu du devant, un large motif de cuivre repoussé et ciselé représente Dieu auréolé flanqué de deux anges aux ailes éployées et surmonté d’un ornement composé de volutes s’enchevêtrant les unes sur les autres. Le tout est surmonté d’un Saint-Esprit, la tête en bas. Une poignée sert à soulever le couvercle. » De nos jours, les valises sont moins bien décorées, elles se contentent souvent d’arborer, non sans fierté, des étiquettes d’hôtels, moins esthétiques, il faut bien l’avouer que ces ferrures compliquées et artistiques.

    Au début du XIX° siècle, les marchands d’articles de voyage vendent principalement des « vaches « et des « veaux » ; c’étaient des malles destinées aux berlines et aux chaises de poste, la première s’adaptant à l’avant du véhicule, la seconde à l’arrière, celle-ci prenait parfois des formes bizarres épousant les contours de la voiture ; toutes deux étaient en bois recouvert de cuir. Par la suite, dès le début de la mise

     Exploitation des chemins de fer, on créa la « malle voyageur », puis en 1845, la marmotte plus particulièrement conçue en vue de permettre au représentant de commerce de ranger ses échantillons.

     

    Il y avait aussi le sac de nuit en tapisserie ou en repas, doublé à l’intérieur de forte toile, et fermé par une corde passant par des œillets situés à la partie supérieure. C’est Godillot qui imagina la fermeture dite feuillard, système, écrit Louis Vuitton, « en forme de mâchoire, avec pitons et cadenas ou avec une petite serrure, complété par deux poignées en cuir » » ; cet objet était payé un sou pour la façon !

     

    Le sac de nuit était alors incommode, car il ne pouvait se tenir debout ; c’est seulement en 1830 qu’il fut pourvu d’un fond en cuir et carton. L’avènement des chemins de fer amenant les fabricants à imaginer des modèles toujours plus pratiques, on plaça alors sous le fond du sac une petite mallette indépendante, fermée par une serrure à moraillons et qui était consolidée par deux petites courroies de cuir avec boucles. Cet ustensile fut à la mode de 1830 à 1870 environ, et nous avons pu en voir encore des spécimens, assez fatigués, dans des collections privées.

     

    Vers l’avènement de la monarchie de Juillet, poursuit Louis Vuitton, pour rendre plus facile les courts voyages par chemins de fer, on vulgarisa la malle portative avec poignées qu’on appela valise, mais cette innovation ne fut pas immédiatement goûtée par le public, qui trouvait qu’elle formait double emploi avec le sac de nuit. En revanche, la malle jumelle servant réciproquement de fond et de couvercle eut, malgré sa forme bizarre peu élégante, un incroyable succès.

     

    Ainsi vêtu, les bras chargés de paquets et d’ustensiles étranges dans lesquels étaient entassées les choses  les plus imprévues, le touriste quittait sa rue Saint-Denis ou son Marais pour se rendre à Tours, à Marseille ou à Dieppe. Longtemps, il n’eut à sa disposition que la route, par le cheval ou la diligence, ou l’eau, par le coche, mais il savait s’en contenter. Cependant le trajet n’était pas toujours des plus agréables. Contant d’alerte façon son Voyage en Bourgogne, le chevalier Bertin brosse un tableau coloré de la vie à bord d’un coche d’eau ; laissons-lui la plume : « L’entrepont est occupé par des moines, des soldats, des nourrices et des paysans…Celui qui parmi nous s’intitule le patron a sa cabane près du gouvernail. L’antre de la vivandière n’est pas loin et, ce qui n’est point plaisant pour les malheureux qui n’ont point fait leurs provisions, c’est que la cuisine n’est séparée de ce qu’on nomme à bord les bouteilles que par une cloison. Le tillac est embarrassé de cordages, et d’ailleurs le temps ne nous permet pas de nous y promener. On n’a pour ressource que six espèces de cahutes enviée et sollicitées comme un gros bénéfice...

    Toujours au XVIII° siècle, Brussel, dans un amusant récit de voyage, raille une voiture publique où :

     

    Deux paniers d’excellent usage,

    Liés dessous comme une cage

    Font à huit jambes en soutien

    (bien solide, je n’en crois rien).

    Partout la paille bienfaisante

    Remplace et la plume et le crin,

    Et sans son humeur complaisante

    Il n’est fessier qui n’eût sa fin

    Frappant sans cesse le sapin

    Qui le met en capilotade…

    Mais ce sont là moqueries de poétaillon ; certes, quelques voyageurs se plaignent des moyens de transports, mais la plupart vantent la célérité et le confort, relatif évidemment, de ces diligences pesantes mais pittoresques. Lorsque le chemin de fer fit une timide apparition, nombreux furent ceux qui regrettèrent le temps des voyages lents, des longues haltes au relais, su claquement joyeux du fouet du postillon. Pendant un certain nombre d’années, le rail tua plus ou moins la route, puis l’avènement du cycle et de l’auto favorisa le tourisme. Alors, les vieilles voies de France qui ont vu passer les turgotines cahotantes et grinçantes se remirent à vivre, les auberges sillonnèrent de nouveau les chemins fréquentés, la route de France retrouvait son visage aux multiples aspects…

                                                                                       Roger VAULTIER (Août 1954).


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