LA BOITE À MONNAIE DUN VITICULTEUR DU VILLAGE DE LAY<o:p></o:p>
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Lobscurité était totale et des relents de moisissures imprégnaient toute chose alentour. Largent dit-on na pas dodeur mais lorsquil séjourne longuement dans une atmosphère confinée, il convient daccueillir le dicton avec une prudente réserve.
Une pièce de un franc, que les hasards dune existence déjà longue avaient conduit dans le « bas de laine » dun viticulteur beaujolais, faisait état de vingt années de service devant ses compagnes de captivité.
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« Mes chères, lexpression gardait encore un certain crédit malgré les dévaluations successives, vous ne pouvez imaginer ce quon peut voir de choses, en deux décennies pour peu que la chance vous accompagne ».
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Lauditoire devint attentif. Lintervenante poursuivit :
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« Jai débuté dans des conditions qui me parurent difficiles. Il faut dabord se rappeler que pour nous, et vous en conviendrez je pense, la pire des situations est celle qui nous condamne à limmobilité.
(une voix) - Nous en savons quelque chose
- Jai donc chu, à peine mise en circulation, dans une tirelire en terre cuite dont je ne pouvais sortir avant quelle ne fût brisée. Fort heureusement, la maladresse du garçon détenteur de ce bibelot me libéra plus vite que je ne my attendais et je connu alors ma première poche ; une poche de pantalon de gamin, vous voyez ce que cela peut-être ; une sorte de fourre-tout dont le contenu se renouvelle perpétuellement. Et je me retrouvai sur le trottoir ; enfin, presque, car une voiture me poussa aussitôt dans une bouche dégout.
- Quelle horreur ! dirent à lunisson quelques pièces neuves de cinq francs.
- De fait, ce fut un long calvaire, enchaîna la conteuse. Il fallut dix bonnes années avant que le cloaque ne parvint à me rejeter sur une plage de la Méditerranée.
- Vous avez dû éprouver un grand soulagement, murmura une auditrice.
- Mieux, un bonheur inexprimable : le va-et-vient des vagues me lavait de toutes les souillures et un soleil radieux me redonnait mon éclat.
- Jusquà ce que avançât une consoeur dépressive.
- Jusquà ce que ma course reprit. Je dois avouer tout de même que je profitais largement des vacances estivales ; lestuaire dun collecteur dégout nétant pas, à lévidence, un lieu fréquenté par le grand tourisme, je ne fus recueillie quà la mi-novembre par un garnement venu patauger dans une zone qui devait très certainement lui être interdite. Et je fus échangée le jour même, contre un chewing-gum dans un distributeur automatique.
- Cela doit être « sympa » de pouvoir de temps à autre retrouver des collègues, de briser son isolement, souligna une « cinquante centimes » qui avait le sens de la convivialité.
- Effectivement, reprit notre héroïne, jai passé là une semaine en discussions interminables, mais néanmoins enrichissantes, bien que nous fussions, toutes du même bord. Mais ce qui mamusa le plus, ce fut tout autre chose.
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On fit à nouveau silence.
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« Y en a-t-il parmi vous qui savent ce quest une table de jeux ? »
Personne ne semblait avoir connu une telle expérience.
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« Imaginez un immense tapis vert sous une lumière éblouissante et là, une foule de billets de pièces, de jetons de toute sorte dans un échange incessant entre des mains avides et le râteau sélectif dun habile croupier Des saisons au casino, jaurais aimé en connaître beaucoup je pense. Je ne pense pas quil puisse y avoir pour nous de situation plus
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- Enivrante ?
- Cest cela.
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La « semeuse » se tut. Il y eut dans le récipient comme un grand moment de tristesse tant la condition des recluses était différente de celle qui venait dêtre évoquée. On soupira dans lobscurité.
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Soudain, le couvercle se souleva et une main hésitante apparut ; chacun retenait son souffle. Quels allaient être les heureux bénéficiaires dun nouveau voyage
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On attendait un long moment ; lhomme ne se décidait toujours pas. Tout à coup, ce fut la consternation ; la main souvrit laissant échapper quelques monnaies qui vinrent ainsi sajouter aux autres. Et le couvercle se referma.
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« Au temps pour les crosses », ricana un « napoléon » qui tenait à rappeler par cette formule toute militaire quil avait connu les guerres de lEmpire ».
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Notre pièce de un franc sentit le découragement la gagner. Pourtant si jose mexprimer ainsi, elle fit contre mauvaise fortune bon cur et semploya à remonter le moral de ses compagnes de misère :
« Il est rare quune situation soit totalement désespérée. Nous ne somme ici que depuis quelques mois et ce serait bien le diable si notre propriétaire néprouvait pas le besoin de se servir de nous dune manière ou dune autre !
- Mes petites, marmonna un louis dor que personne navait encore remarqué, quand vous serez ici depuis un demi-siècle, vous comprendrez ce que cela signifie de tomber entre les mains dun paysan avare, doublé dun collectionneur « numismatique ».
Léo MIQUEL (1982)
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