MAGAUD Claudius boulanger à Saint-Priest-la-Roche<o:p></o:p>
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En hommage à Charles (84 ans) et Honoré (80 ans) en 1995 ; aujourdhui tous les deux disparus, fils de Claudius le boulanger, ils avaient bien voulu me recevoir cette année là pour me parler de leurs petites enfances à Saint-Priest-la-Roche. Une cassette audio était même enregistrée. <o:p></o:p>
(B.
Hugues)<o:p></o:p>
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Monsieur Magaud Claudius arrive en 1905, à lâge de 25ans à Saint-Priest-la-Roche. Comme beaucoup de gens de lépoque, il vient de se marier, avec une jeune fille de Balbigny : Marie-Louise.
Il exerce plusieurs métiers en même temps, boulanger, coiffeur, cafetier ; cultive une petite terre pour les besoins du ménage, simple locataire le couple ne possède que le strict minimum très restreint dailleurs.
Il achète un chêne sur pied en association avec le menuisier du village ; celui-ci lui fabrique avec le bois : un pétrin denviron trois mètres de long, un lit et un buffet pour monter son ménage.
Une rue sans appellation, venant de la gare dessert le petit village, qui ressemble pour Charles :
- « à un village denfants, un jeu de construction pour gosses, avec les maisons aux toits rouges et le clocher vernissé pointu, une véritable image dÉpinal ».
- « alors que le village nous semblait immense et grand » ajoute Honoré.
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Léglise se trouve vers le haut du village. Le commerce de Claudius en bas de celui-ci. Cest un café sur le devant, avec une boulangerie sans enseigne attenante au fournil au fond dune cour, les bâtiments existent toujours servant de lieux pour des habitations.
Deux ou trois autres cafés se logent sur le périmètre de la place du village. Pour attirer les clients, monsieur Magaud pose le dimanche matin des brioches sur les tables de son café. Les consommateurs coupent des morceaux quils mangent gratuitement.
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Du lundi au dimanche toute personne qui sapproche du « fournil » peut voir le boulanger dans sa tenue habituelle. Torse nu, avec ou sans sa ceinture de flanelle, mais toujours avec son grand tablier de forte toile blanche, qui lui descend jusquaux pieds pour lui garantir le ventre contre les frottements sur le bord du pétrin, car notre homme pétris la pâte « à bras ».
Lhomme fabrique du bon pain, mais comme dans la comptine : « rondin picotin, <st1:PersonName productid="la Marie" w:st="on">la Marie</st1:PersonName> a fait son pain, son levain était moisi, son pain na pas réussi » Le levain est très important, la fermentation plus longue à lépoque quaujourdhui, donne une pâte de meilleures qualité qui se « lève » bien. Les morceaux de pâte prélevés sur louvrage de la veille et qui seront réutilisés le soir pour la nouvelle fournée, sont conservés dans un coin du pétrin avec un linge dessus. Repétris plusieurs fois dans la journée avec un peu de farine, car cette pâte à force de « pousser » et de « fermenter » risque d « aigrir » et de « tourner », comme le levain dailleurs pendant les fortes chaleurs de lété.
Le pain est vendu au poids, pesé sur une grande balance à deux plateaux. Il existe du pain ordinaire, du pain rond, des grosses tourtes, du pain de seigle aussi. A part la brioche le boulanger ne fabrique pas de gâteaux.
Un moulin à farine existe sur les bords de <st1:PersonName productid="la Loire" w:st="on">la Loire</st1:PersonName> ; il est tenu par monsieur Prat, de la qualité de la farine dépend le « bon goût « du pain.
Les paysans amènent là leur à Claudius qui doit faire le pain et rendre pour <st1:metricconverter productid="100 kilogrammes" w:st="on">100 kilogrammes</st1:metricconverter> de farine, <st1:metricconverter productid="120 kilogrammes" w:st="on">120 kilogrammes</st1:metricconverter> de pain, soit 20 pains dun kilo pour payer son travail et les frais (Chauffage au bois et levain). Pour le jeune ménage léquilibrage du budget nest pas facile.
Beaucoup de personnes prenant toujours la même quantité de pain, paient avec le système dit des « coches ». Il sagît de bâtons de bois, numérotés, chacun numéro correspond à un client ; de 30 à <st1:metricconverter productid="40 centim│tres" w:st="on">40 centimètres</st1:metricconverter> de long, possédant à une extrémité un crochet taillé dans le bois. Ces bâtons sont suspendus sur un fil de fer derrière le comptoir de la boulangerie.
A chaque achat le commerçant taille avec un couteau une encoche, le client également en regard de celle du vendeur. Le règlement seffectue en fin de mois soit en argent, soit par troc contre la farine, il faut alors parfois attendre la fin des moissons.
Pour chauffer son four le boulanger emploie des fagots, achetés aux paysans qui sapprovisionnent dans les forêts bordant le fleuve Loire. Souvent notre brave commerçant aide ceux-ci dans diverses tâches agricoles.
Il ny a pas un horaire précis de travail dans lemploi du temps de notre boulanger, mais une sorte de rite : préparation de la pâte conservée la veille, pétrissage vers minuit, sortie du four vers 6, 7 heures du matin en principe une fournée, deux au maximum. Et comme le dit Charles « Notre homme commence quand il faut et fini quant il faut. »
Un coin de la grande salle de café est réservé pour la coupe des cheveux de tous et la barbe des clients. Un jour le curé de la paroisse vient se faire raser.
- Vous nallez pas sentir quand je vais vous raser, lui précise Claudius en lui badigeonnant le visage de savon à barbe avec le blaireau. Il déplie ensuite le rasoir quil affute consciencieusement sur une tranche de cuir.
- Voilà ! Cest fini.
- Fini ! Mais tu mas rasé avec le dos du rasoir, rétorque en souriant notre brave curé, incrédule, mais dont le visage rincé est rose et poupin.
Le prêtre na rien senti tellement la lame du rasoir était coupante et affilée.
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Quand ils se promènent dehors, les enfants ne rencontre aucune voiture automobile, ni même de vélo ou « bécane », seule une odeur de crottin signale le passage de quelques voitures tirées par des chevaux.
Monsieur Magaud possède un gros Saint-bernard prénommé familièrement « Petit Chien » ; il lattèle à une petite voiture à deux roues adaptée à la taille de lanimal. Celui-ci parcourt seul, le chemin entre Saint-Priest et le café de la gare de Vendrange emmenant du pain. Il rendre de la même manière avec sa voiture vide, jamais personne, ne lui a volé quoi que ce soit.
Il est aussi propriétaire dun cheval « Bérinette » assez difficile à mener. En particulier, il ne supporte pas quune autre voiture attelée le précède. Il dresse alors ses oreilles et accélère de lui-même pour doubler, souvent cela complique la tache de son épouse qui descend au marché.
Le magasin reçoit la visite des premiers représentants de commerce, ceux-ci souvent se déplacent à pieds mais voyage par le train. Charles et Honoré se souviennent dun phonographe à rouleaux, avec un énorme pavillon en guise de haut parleur, que leurs parents avaient gagné à la suite dune multitude de ventes de tablettes de chocolat.
En cas de panne mécanique, cest le charron du village qui répare et fabrique les pièces défectueuses avec sa forge et son enclume. Honoré signale quil possède encore de nombreux outils fabriqués par cet homme et en particulier une grosse hache, quil utilise à loccasion.
A larrivée de Claudius dans le village, le curé remarque les brioches gratuites posées sur les tables du café. Il sen émeut (il est vrai que le café est loin de léglise) et en parle en chair au moment du sermon. Il avertit ses ouailles :
« Attention, la générosité de notre nouveau boulanger, ne dois pas vous conduire vers les plaisirs charnels, il ne faut pas que la gourmandise vous empêche de venir à la messe. »
Le boulanger sexplique avec le curé sur ce sujet et lincident est clôt.
Notre commerçant très tolérant suite à cette explication sentend très bien avec le curé. Pour Noël, dans sa tenue de mitron, placé derrière lautel, il chante à la messe de minuit le « Credo du paysan » de sa voix belle et puissante qui fait ladmiration du village rassemblé en léglise. Ensuite il rejoint sous la neige son fournil pour soccuper du pain. En temps ordinaire pendant la messe il nest pas distribué de « pain béni » comme cela se pratique dans certaines régions de lEst de <st1:PersonName productid="la France." w:st="on">la France.</st1:PersonName>
La population du village est calme, pas anticlérical. Comme toujours il y a quelques problèmes au moment des élections, la rumeur parle de « bagarres et de coups de poings » entre les divers partis, mais rien ne filtre vraiment et personne ne semble au courant de rien. Le maire du village est en général de Roanne.
Le docteur en médecine arrive de Neulise ou de Saint-Symphorien-de-Lay (nos deux hommes ne se souviennent pas exactement). Il se nomme Técarier (orthographe non sure) cest lui qui soigne la famille de notre boulanger. Le village vit au rythme du temps, paisible tranquille et calme.
Charles et Honoré nont pas le souvenir dune fête patronale. Mais la « Fête Dieu » donne lieu à une procession dans les rues du village.
A propos dune, Charles se souvient : « Je devais avoir quatre ou cinq ans, à cause de mes grands cheveux blonds, jai été choisi pour « faire le Christ » à la procession. Javais sur mon épaule une petite croix de bois correspondant à ma taille. Je ne sais si cest la longueur du chemin parcouru, la chaleur, le soleil ou autre chose, tant est si bien quau retour en rentrant dans léglise, je me suis affalé par terre. Les gens inquiets se sont précipités, mais je navais aucun mal, je venais juste dêtre terrassé par le sommeil. Il est vrai que jétais bien jeune à lépoque ». Charles ajoute : « Au moment daccoucher de son troisième enfant, ma mère est restée allongée sur une planche pendant 40 jours sen bouger. »
Aucun souvenir du passage du facteur, mais cest la « Marie Louise » (Fontenelle) qui sur la place du village en plus de son café, dans une pièce séparée, faisait la « postière ».
Lécole qui compte une vingtaine délèves possède une seule classe qui comprend plusieurs divisions de la préparatoire au certificat détude. Un instituteur la dirige.
E n 1914, notre boulanger est appelé le premier jour de la mobilisation. Il se rend à la gare à pied pour rejoindre son unité. La jeune maman reste seule à la maison avec trois enfants en bas âge. Bien sur elle ne peut continuer à faire le pain. Cest donc un voisin qui se charge de cette besogne. Mais la guerre séternise, le boulanger ne rentrant pas, la propriétaire des lieux veut récupérer la location du fond de commerce. Elle arrive (grâce à des connaissances bien placées) à faire partir Marie-Louise et ses enfants qui sinstallent alors à côté de léglise dans un café. Le chien lui-même est fermé dans les escaliers de la cave, sans doute empoisonné et faute de soin, pas assez de sous pour payer le vétérinaire, il passe rapidement de vie à trépas.
Notre boulanger au front en Alsace, tombe malade. Il est évacué à Ugine (Le Haut) dans les Alpes.
Sans le sous la mère et les enfants retournent à Balbigny près de la grand-mère qui se fait une joie de les accueillir. La brave femme trouve même un emploi de garde-barrière à sa fille. Cest ainsi que Honoré a vu passer plusieurs convois avec des soldats américains.
A Saint-Priest-la-Roche un nouveau boulanger sinstalle, il restera assez longtemps, mais il ne travaille pas tous les jours à son pétrin.
A son retour à la fin de la guerre notre boulanger essaie de récupérer son fond. Il sadresse à un avocat de Roanne Maître Sérol qui nest pas encore maire de Roanne. Il lui demande conseil.
Après avoir prit connaissances des faits, celui-ci déclare : « Vous avez gagné, cest de labus de confiance, le notaire à sciemment mal fait son travail, votre propriétaire à pris lindemnité du fond, elle à fait partir votre femme et vos trois enfants. Ne vous tracassez-pas voua avez gagné, je men occupe ».
Mais Maître Sérol rentre en politique et oublie bien vite la petite affaire de notre boulanger.
Au jugement, cest notre boulanger qui est condamné à payer les dépends car « la faute qui est reproché au notaire qui a obtenu le départ de Marie-Louise et ses enfant, cette faute et si importante par rapport à la valeur de lacte que le tribunal conclus, quil est impossible que le notaire est commis une erreur pareille. »
Notre brave homme écope dune amende de 800 francs.
Comme il ny a plus rien à faire à Saint-Priest-la-Roche, notre boulanger part définitivement pour Saint-Etienne, une autre vie commence.
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