CONTES, LEGENDES, TRADITIONS DE NOTRE REGION
AMPLEPUIS (Rhône) ET SES ENVIRONS
(2° partie sur 3)
Texte élaboré par Marcel BEROUD avec la collaboration de M.M. Georges BOURBON et Germain PATAY.
Groupe de Recherches Archéologique d’Amplepuis (Juillet 1977).
Au mois de mai, pour les Fête-Dieu, il fallait mettre des branchages devant les portes pour empêcher les fourmis d’entrer.
La Belle de Mai, qui préside chaque année au renouvellement des noces de la Terre et du Ciel, est souvent représentée sous la forme d’un rocher brut auquel les mères du pays allaient consacrer leurs enfants. Dans le voisinage de Pontcharra, à Clévy, derrière une croix du XVI° siècle et en face d’une chapelle consacrée à la Vierge chrétienne, il existe, enfoncée au niveau du sol, une pierre de granit percée d’une ouverture qui, peut être a servi à y placer une croix. Cette pierre jouissait d’une renommée très grande et très étendue car on y venait de fort loin afin d’y faire uriner les nouveau-nés. Cette opération, qui n’a d’ailleurs pas complètement disparu, doit protéger les enfants de certaines maladies et leur donner la force de marcher de bonne heure.
L’antiquité de cette pierre est prouvée par la légende qui y est attachée. Selon ce récit, les habitants de Pontcharra, désirant posséder ce monument au milieu d’eux, vinrent un jour pour l’enlever mais ils ne purent même pas réussir à la faire mouvoir. Ils y attelèrent alors quatorze paires de bœufs sans pouvoir pour autant en venir à bout. En désespoir de cause, ils renoncèrent à leurs tentatives et laissèrent le rocher là où il est encore aujourd’hui.
Cette croyance qui veut que les enfants aient de meilleures chances de marcher plus tôt se retrouve (non entachée de paganisme cette fois) à Saint-Fortunat, près d’Amplepuis, petite chapelle dans laquelle, il y a peu de temps encore, la plupart des mamans amenaient leurs enfants pour obtenir cette satisfaction.
Un autre lieu aux propriétés curatives miraculeuses se trouve à Tarare, au Palet de Samson. Ce palet consiste en une énorme pierre plate qui sert de pont pour traverser le ruisseau de Chanillière, près des « noyers dansants », au-dessous du champ où se tenait le sabbat. L’eau, à cet endroit précis, peut guérir, parait-il, certaines maladies et au siècle dernier, certains tarariens assuraient y avoir obtenu des guérisons.
Nous venons de parler de sabbat. Il s’agit là d’une cérémonie honnie entre toutes dont on ne se hasarde à parler qu’à voix basse, après avoir verrouillé toutes les portes.
Le sabbat qui se tenait aux portes de Tarare, au lieu dit « la Goutte Frizon », combe situé sous Belair, ne jouissait pas d’une notoriété aussi grande que dans certaines régions. Cependant, il parait que les habitantes de Tarare s’y rendaient secrètement le samedi soir, au plus profond de la nuit, sans que leurs maris le sachent.
Il se passait des choses incroyables que l’on n’ose répéter, mais tous savent que Satan en personne, « Maître Léonard », souvent sous les apparences d’un bouc, y menait des danses échevelées, assisté de sorcières qui arrivaient à travers les airs en chevauchant un balai. On y servait des banquets plantureux, on y pratiquait des danses érotiques, on y hurlait de monstrueux blasphèmes et l’on revenait parfois de ces fêtes redoutables avec une queue de cochon dans sa poche.
Lorsque le christianisme s’impose, ces cérémonies disparurent et les plantes sacrées des sorcières, le selago (genre de la famille des Sélaginacées) et la verveine, ne servirent plus, dans l’esprit populaire, qu’à composer des philtres et autres breuvages enchantés principalement destinés à inspirer de l’amour.
Peut-être est-ce pour punir Tarare de ces débordements qu’une autre légende assure que cette ville est menacée d’un nouveau déluge. Il paraît que l’on peut entendre bouillonner sous terres les flots d’une mer intérieure destinée à noyer tous les habitants. Il faut bien prendre garde à ne pas déplacer une certaine roche qui doit se trouver sur les flancs du Mont Boucivre ( ?) au territoire de la Villette car, alors, les flots seraient libérés et Tarare disparaîtrait.
Pour rester à Tarare, signalons la « Roche Folle », mégalithe qui devrait se situer dans le vallon du Thulin qui s’ouvre sur la rive droite de la Turdine et mène à Saint-Marcel l’Eclairé. C’est un rocher immense faisant partie du sol mais surmonté, au milieu de nombreux débris, d’une pierre conique haute de trois mètres environ posée en équilibre sur quelques autres. Dans la nuit de Noël, à minuit exactement, cette pierre tourne sur elle-même, peut-être actionnée par une fée taquine puisque, sur la rive opposée du Thulin, existait un « chemin des fées », ce qui laisse supposer que ce lieu fut occupé par quelques-uns de ces charmants êtres imaginaires.
Nous n’avons pas retrouvé cette « Roche Folle » mais, comme il s’agit d’un lieu où se déroulent les compétitions motocyclistes de Tarare, il est possible que les travaux entrepris, soit pour élargir la route de Saint-Marcel, soit pour améliorer le terrain de ce sport, ont fait disparaître ce mégalithe enchanté ?
A Amplepuis aussi d’ailleurs nous avons notre roche qui se soulève pendant la messe de minuit. Il s’agit d’un mégalithe situé au centre de l’oppidum du Bois du Puy. Si monsieur Patay, le sympathique trésorier de notre Groupe, avait creusé encore un peu plus profondément, peut-être aurait-il découvert le druide malicieux qui, une fois l’an soulève cette grosse dalle qu’il a eu tant de peine à dégager.
Parmi les légendes caractéristiques de la victoire du christianisme sur le paganisme, citons celle qui a pour théâtre Saint-Romain-de-Popey.
Au hameau de Solémy, sur la cime de la montagne, s’élevait autrefois une croix gigantesque qui excitait la haine d’une partie des habitants, encore sous l’emprise des anciennes religions polythéistes. Un jour, une femme, probablement une prêtresse de l’ancien culte, ayant commis un grand crime sur lequel la tradition ne s’explique pas, fut condamnée à porter dans son tablier, sur le haut de la montagne, assez de terre pour enterrer la croix. La malheureuse travailla longtemps et consciencieusement, espérant toujours arriver au bout de ses peines mais, au moment où elle voyait le résultat de son labeur sur le point d’aboutir, la croix s’élevait de son propre mouvement et dominait toujours. Elle mourut à la tâche, ses efforts ayant échoué devant le triomphe de la croix.
Siç cette femme mourut d’épuisement en transportant de la terre dans son « devantier », ce fut une tout autre aventure qui arriva à une autre personne qui, apitoyée à la vue d’un chat noir qui semblait blessé, le mit dans son tablier pour l’emporter chez elle. Or, plus la femme allait, plus le chat devenait lourd alors que ses yeux prenaient une expression diabolique, jusqu’au moment où, avec un grand ricanement moqueur, le chat sauta du tablier et se transforma en démon. Il est probable que cette femme, comme tant d’autre gens autrefois, fut persuadée par la suite que tous les chats noirs personnifiaient le Diable.
L’histoire de la croix de Saint-Romain-de-Popey est difficile à situer car, au hameau de Solémy, il n’y a pas vraiment une montagne, mais tout juste une petite colline. Peut-être s’agit-il du Crèt de Popey ? Mais alors il est assez loin de Solémy.
Ce Crèt de Popey tirerait son nom, d’après une tradition rapportée par M. Jean Mirio dans ses « Pages Anciennes », de celui de la femme de Néron qui y aurait séjourné. Cette femme, Poppée, belle et ambitieuse, après avoir été la cause de la mort d’Octavie, précédente épouse de l’Empereur, aurait réussi à se faire épouser par Néron en 62. Avant de le tuer d’un coup de pied au ventre, Néron lui avait, parait-il, organisé à Saint-Romain une vie très agréable pour elle. La légende dit que, chaque jour, Poppée venait se baigner dans les eaux de la Turdine, plus exactement sur la terre de Bully ou jaillissent deux sources ferrugineuses.
Une autre tradition voudrait que ce nom de Popey vienne du grand Pompée qui, se trouvant en mission dans la région en 48 avant J.C., aurait établi un vaste camp retranché à Saint-Romain avec le Crët de Popey comme observatoire. Cette version n’est guère concevable car, historiquement, il ne semble pas que Pompée soit venu jusque dans notre région (pas plus que Poppée, d’ailleurs) et d’autre part, en 48 avant J.C., il se trouvait en Égypte où il fut assassiné précisément cette année là.
Pour rester dans les traditions relatives aux grands personnages, signalons que François I° vint, paraît-il plusieurs fois à Vaugneray pour se livrer aux joies de la chasse. Or il advint qu’un soir il s’égara dans la forêt. Après avoir beaucoup marché, il arriva enfin, harassé, à la hutte d’un charbonnier nommé Molon. Ce dernier vit bien qu’il devait s’agir d’un personnage de quelque importance mais il s’occupa surtout des besoins de son hôte. Le lendemain matin, restauré et reposé, François I° se fit reconnaître et, en récompense des bons soins reçus, donna au sieur Molon le droit de chasse dans les forêts avoisinantes. C’est pourquoi depuis, un bois s’appelle la Molonnnière.
Voici encore une tradition relative à un grand de ce monde. Le 13 avril 1814, Napoléon I°, se rendant à l’Ile d’Elbe après son abdication, s’arrête à l’auberge du Perroquet, au Pin Bouchain. Ayant demandé deux œufs sur le plat à l’hôtesse, il fut effaré, au moment de payer, de ce voir réclamer le prix énorme de 2 livres, soit 48 francs.
Il demanda alors si la rareté des œufs dans la région justifiait un pris aussi élevé, à quoi l’hôtesse répondit que ce qui n’était rare n’étaient pas les œufs, mais les Empereurs. Ce fait est-il exact ? Nous sommes très sceptiques à ce sujet car nous avons entendu raconter la même histoire dans beaucoup de régions de France et pourtant, si nous devons croire que cette aventure est bien arrivé à Napoléon, c’est au Pin Bouchain qu’elle nous paraît la plus vraisemblable et ceci pour deux raisons. D’abord, la précision des dates et des détails qui furent repris et illustrés par un journal du début du XX° siècle et, ensuite, la personnalité de l’hôtesse, Sophie Viallier, plus connus sous son prénom de « La Sophie ».
C’est que la Sophie était une maitresse femme qui enfourchait un cheval comme un dragon et conduisait de temps à autre la malle-poste de Tarare à Roanne pendant que son père tenait l’auberge. Rien d’étonnant à ce qu’ne telle femme ait eu la réplique nécessaire pour bénéficier au mieux du passage d’un haut personnage.
D’autant plus qu’elle ne manquait pas d’humour si l’on en croit le trait de caractère suivant rapporté sur son compte : ayant eu six filles, elle avait coutume de dire : « Chacune de mes filles à un frère » ce qui, au premier abord, faisait penser qu’elle avait également six garçons alors qu’elle n’en avait qu’un. Sans conteste pourtant, ce garçon était bien le frère de chacune des filles.
(A SUIVRE)…