NOS QUATRE VENTS DANS LE PILAT (LOIRE).
Je suis le Vent
Ouvrez les gens ! Ouvrez la porte !
Je frappe au seuil et à l’auvent.
Ouvrez les gens ! Je suis le Vent
Qui s’habille de feuilles mortes.
Entrez, Monsieur, entrez, le Vent
Voici pour vous la cheminée
Et sa niche badigeonnée
Entrez chez nous, Monsieur le Vent
Emile VERHAEREN
Chez nous les quatre vents s’appellent : le « matinal », la « bise », la « traverse » et le « vent ».
Le « vent », ainsi désigne-t-on, dans nos campagnes, le vent du Midi. C’est le vent qui balaie les champs, affole les blés, tourmente les arbres en secouant les fruits et va jusqu’à détacher les raisins des ceps. Car, pour la violence et la durée de ses colères, le vent du Midi ne connaît pas de rival. C’est notre Mistral à nous, un Mistral chaud et qui court du Sud au Nord, alors que le vrai galope du Nord au Sud. Il souffle en toute saison. Aux mois de Mars et Avril, il déchaîne la vie, fait éclater les bourgeons, allume la flamme des pêchers en fleurs. C‘est le vent des résurrections ; mais, aux jours de Novembre, il précipite la débâcle des feuilles, les arrache aux arbres et amène les grandes pluies froides qui préludent à l’hiver. En hiver, il fait de brèves apparitions ; c’est l’ennemi de la neige dont il hâte la fonte et qu’il transforme en boue liquide.
La « bise », au contraire, conserve la neige. Elle avive la lueur des étoiles dans les froides et claires nuits d’hiver, les nuages s’évanouissent à son souffle. En été, elle préside aux longues périodes de beau temps et tempère, par sa fraîcheur, les jours brûlants de Juillet et d’Août.
D’après Frédéric Mistral dans son poème du Rhône, c’est sur les hauteurs de Condrieu, vers le Mont Monnet, que la bise se renforce et devient peu à peu le vent qui porte son nom. Celui-ci s’en va « crescendo » à travers les plaines de Valence et de Montélimar, les défilés de Saint-Vallier et de Donzère, pour se répandre comme un fou furieux sur la région provençale.
Quant à la « traverse », elle nous vient de l’Océan, en passant par-dessus le Pilat, après avoir franchi plusieurs centaines de kilomètres. La traverse règne souvent en Mars et Avril. C’est elle qui préside aux folles giboulées de Mars. En été, la traverse est souvent maudite car c’est elle qui chasse la pluie si souvent désirée en cette saison. C’est elle aussi qui, huit fois sur dix, nous amène du Pilat les orages de grêle.
Furtif et rare, le « matinal » est un vent de transition qui, chez nous, ne dure que quelques heures. Malgré son nom, il se déclare souvent le soir au coucher du soleil et, dès le lendemain avant midi, il cède sa place au vent du midi. On dit d’ailleurs que « quand prend le matinal, le vent du Midi monte à cheval ». En hiver, il lui arrive pourtant de tenir plusieurs jours de suite et c’est au cours de son règne que la température descend le plus bas. Rien n’est glacial comme un lever de soleil en Janvier ou Février par le matinal.
Ce vent n’amène ni la pluie, ni le grêle ; il lui arrive pourtant d’être plus funeste que les tempêtes à grand fracas, car c’est lui qui, par les purs matins d’Avril et de Mai, gèle les vignes et la floraison des arbres fruitiers, anéantissant sur de grandes surfaces les espérances du vigneron et du producteur de fruits. Silencieux désastre sur lequel, pour l’achever, se lève un soleil magnifique.
Tels sont les quatre vents de chez nous.
Claude Aurèle JUTHIER, revue n° 4 « DAN L’TAN » de l’association : Visage de notre Pilat