Pétition au Directoire pour la Continuation de la Guerre
Une curieuse lettre de Naconne près de Cleppé tiré de l’ouvrage : « Paris pendant l’année 1797 » de Jean-Gabriel Peltier
Citoyens, j'ai toujours été très-glorieux, et je le suis devenu davantage encore depuis la révolution. Je suis parvenu, il est vrai, à être capitaine de la garde mobile de mon pays, mais cela ne suffit point à ma gloire. Je ne vous cacherai pas que je vois avec un extrême déplaisir les préliminaires de la paix qu'on nous annonce. Je devais m'attendre à être général d'armée un jour, et à acquérir par conséquent, une bonne portion de gloire ; car la gloire est une chose absolument nécessaire à mon existence. Ne pourriez-vous pas, citoyens, avant de faire la paix, me confier, pour mes menus plaisirs, un corps d'environ cinquante mille hommes? Je me chargerai, avant qu'il soit peu, d'en faire tuer ou estropier la bonne moitié, de massacrer quelques milliers d'Autrichiens ou de Hongrois, et de ravager une province, de manière à n'y laisser que des cendres et des ossements. Quoique je n'aie jamais vu la mer, je me chargerai volontiers d'une flotte de 30 ou 40 vaisseaux, pour les conduire sur les côtes d'Angleterre ou d'Irlande : après quoi je me retirerai chez moi, bien tranquille et couvert de gloire, sans parler des dépouilles».
Je vous dirai, .citoyens, que la garde mobile que j'ai l'honneur de commander, est une garde tout-à-fait immobile, à la tête de laquelle je n'ai pas plus l'air d'un héros que d'un manche à balai. Les administrateurs de mon département avaient dernièrement requis les gardes mobiles de leur ressort, pour marcher contre Montbrison, afin d'y assurer la liberté des élections. Nous nous proposions à cet effet de livrer bataille aux électeurs, et je comptais bien en tuer un bon nombre pour ma part : mais ma malheureuse étoile m'a privé de l'honneur d'une victoire sur laquelle j'avais fondé d'avance ma renommée ; car mes gardes mobiles ont refusé de nous seconder, ils sont demeurés plus immobiles que jamais.
Je suis donc réduit, citoyens, à ne tuer que des moineaux dans mon village, au lieu de tuer des hommes, comme je le désirerais. Je vous supplie de vouloir bien prendre soin de ma gloire ; je pense que vous ne refuserez pas à mon ambition la vie de quelques milliers d'hommes qui se feront un véritable plaisir de mourir, à cette fin de me procurer la réputation d'un héros. Que si vous ne voulez pas favoriser mes vues et me fournir des occasions de faire parler de moi en Europe, je déclare que j'emploierai, pour y parvenir, les moyens les plus violents et les plus désespérés. Je brûlererai plutôt un temple, comme Érostrate, ou je couperai la queue à mon chien, comme Alcibiade
Mais j'attends votre réponse avant d'en venir à aucune extrémité.
(Signé) Makics Gonin. Capitaine de la Garde mobile, à Naconne, sur les bords de la Loire