LA GREVE DES P.T.T.
(Paris, mars 1909)
Les employés parisiens des postes, télégraphes et téléphones ont voté durant la nuit de lundi à mardi, la grève générale.
Vendredi 12 mars 1909, cinq ou six cents agents ambulants sortant d’un meeting, à Paris, apprennent d’une délégation de l’Assemblée Générale qui venait de tenter une dernière démarche auprès du ministre et sous-secrétaire d’Etat des Postes pour essayer d’obtenir le retrait de la circulaire sur le « tiercement », a été éconduite. Ils organisèrent spontanément, sous le coup d’une extrême irritation, une manifestation devant la Chambre des députés et devant le sous-secrétariat des Postes. Comme ils poussent le cri séditieux de « Conspuez Simyan ! » les gardiens de la paix arrêtent un certain nombre d’entre eux. C’est alors de l’exaspération et, dans un moment de folie, ils envahissent les bureaux du Central Télégraphique, s’y barricadent. Il faut l’intervention de la police conduite par monsieur Simyan en personne pour rétablir l’ordre.
Le lendemain, les télégraphistes du bureau central, au nombre de 1200 se mettent en grève sur place : pendant trois heures ils s’obstinent, malgré les objurgations de leurs chefs, à rester les bras croisés, laissant les télégrammes s’entasser à côté des appareils inertes. Puis ce sont des meetings violents où des agents de toutes les catégories acclament la grève générale.
Quant aux causes de cette agitation qui à tout de suite atteint une intensité extraordinaire et que monsieur le sous secrétaire d’Etat Simyan prétend être exclusivement révolutionnaire ou anarchistes, elle serait d’une toute autre nature s’il on en croit des témoins impartiaux et désintéressés.
Les grévistes réclament l’abrogation d’une circulaire décidant que l’avancement aurait lieu « par tiers » « au choix », « à l’ancienneté » et au demi-choix. Or se système, que l’on a nommé le « tiercement », a pour conséquence de permettre à la faveur d’une complication qui devient de l’enchevêtrement, la continuation du favoritisme dont M. Siamyan, en prenant possession de son poste, avait promis la suppression complète.
Il règne de plus dans la haute administration des Postes, une véritable incohérence. En voici deux exemples absolument caractéristiques :
· « Le 9 février dernier deux cents télégraphistes en quittant leur service se groupent devant le sous-secrétariat d’Etat des postes, criant « Conspuez Simyan ! A bas les fiches ! Vive la grève ! ». Renseignements pris, ces fonctionnaires protestent contre une mesure intérieure prise à leur égard par l’administration : on les obligeait au moment où ils quittent le service, à inscrire sur une « fiche » le nombre d’heures de présence effective qu’ils avaient faites et le nombre de dépêches qu’ils avaient individuellement transmises. Cette mesure était considérée par les intéressés comme vexatoire et comme injustement défiante pour leur zèle professionnel. Alarmé par cette manifestation, M. Simyan s’informe et consent à recevoir une délégation. Après explication, le sous-secrétaire d’Etat déclare que cette mesure a été prise à son insu et qu’il va donner des ordres pour la faire rapporter immédiatement. Il en fut d’ailleurs ainsi fait.
· Le lendemain nouveau tumulte au même bureau. Ce sont les employés qui protestent contre une circulaire qui vient d’être affichée et qui est ainsi conçue « L’administration a décidé que 6 dames employées, en plus des 17 effectuant déjà une vacation supplémentaire rétribuée, et cinq commis pourront être conservés chaque jour, en semaine, jusqu’à dix heures du soir, au poste central. Ces agents auxquels il ne sera provisoirement accordé aucune rétribution, prendront ce jour là, à titre de compensation leur service une heure après l’ouverture. Cette mesure est prise à titre provisoire, en raison du manque de crédits ».
Ces conditions sont en contradiction formelle avec l’article 4370 de l’instruction générale qui prévoit que « chaque heure de travail effectuée en dehors des vacations normales donne droit à une indemnité calculée d’après le tarif ci-après : Paris-Central, pour les agents de toutes catégories : 0 fr 75 entre neuf heures et minuit.. » On envoie donc une nouvelle délégation à M. Simyan qui déclare encore que la circulaire a été rédigée en dehors de lui et qu’on va l’annuler.
Et dans chacun de ces deux cas on n’a cherché le coupable ni appliqué de sanction ! Est-il étonnant, après cela, que le personnel, pour se faire rendre justice, ait eu recours à cette mesure extrême qu’est une grève générale ? Ce ne sont pas sans doute les répressions ultra-sévères de M.M. Barthou et Simyan qui ramèneront le calme dans les esprits et l’ordre dans les services.
En attendant, les courriers n’ont pu partir de Paris, mardi soir. Et d’autre par l’agitation s’étend en province, particulièrement à Lyon et à Saint-Etienne. Dans la première de ces villes, la grève générale a même été votée.
A l’heure où nous mettons sous presse, une interpellation au sujet de la grève se discute au Palais-Bourbon. On dit qu’après le vote de confiance, que M. Clemenceau escompté, M. Simyan donnera sa démission. Ainsi se terminerait la crise. Mais voilà bien des aléas.