LA TOUSSAINT<o:p></o:p>
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Le culte des morts est aussi ancien que la race humaine. Si haut quon remonte dans lhistoire, on le trouve déjà établi au cur de lhomme : bien avant quil y eut des philosophes, les générations primitives du globe envisageaient la mort non comme une dissolution de lêtre, mais comme un simple changement dexistence.
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Sans doute, ces générations primitives ne croyaient pas que lâme se dégageait de sa dépouille charnelle pour entrer dans une demeure céleste ; elles ne croyaient pas davantage quaprès sêtre échappée dun corps elle allait en ranimer un autre. Elles croyaient que lâme du mort restait dans le voisinage des vivants et poursuivait à côté deux une existence souterraine et mystérieuse. Et cest pourquoi, à la fin de la cérémonie funèbre, elles lappelaient trois fois par son nom, trois fois lui souhaitaient de ce bien porter, trois fois ajoutaient : « Que la terre te soit légère ! » Lexpression a passé jusquà nous, comme aussi la coutume du Ci-gît ou du Ici repose quon inscrivait sur les monuments funéraires et que nous continuons dinscrire sur les tombes de nos morts.
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Cette croyance dans un prolongement souterrain de la vie a reçu des rationalistes diverses explications. El les meilleures, sil faut dire, ne sont guère satisfaisantes. Cest ainsi que daprès Herbert Spencer, lombre mouvante des objets, limage humaine réfléchie par les eaux, surtout les fantômes évoqués dans le rêve et lhallucination durent suggérer aux premiers hommes la conception dun « double » dun corps subtil, plus ou moins séparable du corps mortel, dun simulacre survivant à la mort et auquel on donna postérieurement le nom dâme.
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De cette croyance primitive serait dérivée la nécessité de la sépulture. Pour que lâme se fixât dans sa nouvelle demeure, il fallait que le corps, auquel elle restait attachée, fût recouvert de terre. Lâme qui navait pas son tombeau navait pas de domicile. Elle était errante et misérable, et cest elle qui, pour punir les vivants de ne pas lui avoir donné le repos auquel elle aspirait, les effrayait par des apparitions lugubres.
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Mais la sépulture ne suffisait point. Et les morts avaient encore dautres exigences. Si près des vivants, ils ne voulaient pas être oubliés deux ; ils requéraient des hommages, des soins particuliers. Volontaires dabord, ces soins devinrent rapidement obligatoires, prirent la forme de rites. Ainsi se serait établi le culte des morts.
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Il y avait un jour de lannée surtout qui était consacré chez les anciens a se culte. Chez les Latins, les fêtes dont on les honorait ce jour-là étaient appelées féralia. Elles se passaient comme les nôtres en plein air. Les sanctuaires étaient fermés en effet pendant les féralia ; toute cérémonie était suspendue ; il semblait quil ny eût plus dautres dieux que les mânes des défunts présents sous terre. Aussi leurs tombes étaient-elles le rendez-vous de toute la population des campagnes et des villes. On les jonchait de fleurs et de couronnes ; on y joignait des épis, quelques grains de sel, du pain trempé dans du vin pur. Le reste de la journée sécoulait en prières et en commémorations.
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On voit que notre fête des trépassés ressemble singulièrement aux féralia des Latins. Et, de même, nous leur avons emprunté la fête qui précède le jour des mort et que nous appelons la Toussaint. Dans lancienne Rome, cependant, cette fête, qui sappelait les caristia suivait le jour des Morts au lieu de le précéder.
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A quelques détails près, dailleurs, on peut dire que les rites de la fête des Morts sont les mêmes dans toute la chrétienté : en Islande comme à Cadix, à Vladivostok comme à Brest, cest partout ce jour là, les mêmes théories funèbres, le même défilé recueilli de pèlerins se rendant au champ du repos avec des couronnes et des prières.
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Charles Le Goffic (Fêtes et Coutumes populaire) 1922.