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LA ROUTE AUTREFOIS ENTRE ROANNE (Loire) ET LYON (Rhône)

La truie et le porcelet de CROIZET-SUR-GAND



 

Illustration : assiette en faïence de Porquier Beau, titrée Bannalec<o:p></o:p>

                     Fin XIX° siècle – Musée départementale Breton de Quimper<o:p></o:p>

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La truie et le porcelet de CROIZET-SUR-GAND<o:p></o:p>

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Les contes des Bords du Rhins<o:p></o:p>

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Dame truie élevait, à Croizet-sur-Gand, une nombreuse progéniture avec la conscience professionnelle d’une mère poule avertie ; et cela d’autant plus aisément que ses dix plantureuses mamelles lui permettaient de répondre, sans difficulté majeure, aux appétits d’une portée remarquablement bien venue.

Certes, il lui arrivait de temps à autre d’avoir à rappeler à l’ordre, généralement un coup de groin vigoureux y suffisait, un rejeton, particulièrement insatiable mais il était bien rare que les « repas » se déroulassent autrement que sous le signe d’une amusante et saine émulation.

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Parmi les porcelets, il y en avait un, nous l’appellerons Porcelino pour préserver l’intimité de la famille, particulièrement éveillé et qui préoccupait Dame Truie par son comportement singulier. Ce n’était pas un problème d’alimentation, non, mais son attitude contestataire la prenait très souvent de court et elle en ressentait un malaise.

L’esprit toujours en état d’alerte, Porcelino harcelait sa mère de questions embarrassantes, nettement au-dessus de son âge, et cela donnait :

« M’man – la contraction est d’usage même chez les animaux

-         pourquoi les cousins marcassins ont de beaux habits rayés alors que nous nous devons nous contenter d’une robe d’un rose fadasse ? »

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Dame Truie essayait tout d’abord d’ignorer la question en jouant celle qui na pas entendu mais l’intrépide revenait à la charge et la mère en était réduite à donner hâtivement une réponse que généralement ni l’un ni l’autre ne trouvaient satisfaisante.

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Cependant, au fur et à mesure que les mois passaient, la soif de connaissance de Porcelino ne faisait que croître et la mère dut aborder avec lui des problèmes d’ordre spéculatif qui de mémoire de cochon, n’avaient jamais préoccupé la famille porcine :

« Dis, M’man ? – Aussitôt Dame Truie sentait son lait se figer dans ses mamelles – Dis, M’man ? Qu’est-ce qu’on devient quand on est grand ? »

La mère, naturellement, le savait bien « ce que l’on devenait », mais allez expliquer ça calmement à un jeune goret qui vous lance les questions comme d’autres vous assènent des gifles. Fallait-il lui dire tout de suite la vérité ? C’était s’exposer à une cascade d’interrogations complémentaires auxquelles une intelligence normale de porcin peut difficilement faire face. Et Dame Truie tergiversait biaisait, louvoyait dans la mesure de ses modestes moyens.

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La situation se compliqua à partir du moment où, sortant du giron maternel, Porcelino commença à s’intéresser aux discours que tenait un verrat rougeau sur les problèmes qui, justement,  préoccupaient notre cochonnet : c’est ainsi qu’il apprit ce que sa mère essayait vainement de lui dissimuler et qu’au détour d’une conversation il crut devoir lui montrer un feuillet imprimé sur lequel on pouvait lire ceci :

« Le porc est un animal précieux, toutes les parties de son corps sont comestibles. »

« Qui t’a donné ce papier ? S’insurgea Dame Truie.

-         C’est le verrat.

-         N’écoute pas ce vieux fou, insista la mère.

-         Il n’est pas aussi fou que tu le dis, reprit le goret. Il m‘a même raconté que cette petite phrase figurait dans ce que les hommes appellent un dictionnaire et qu’il avait ramassé cette page par curiosité, à cause de la photo, alors qu’un gamin s’amusait à effeuiller le livre. Tu vois, il n’y a aucun doute possible. » Et Porcelino se rengorgea, sur d’avoir marqué un point.

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La truie fut consternée et, à partir de ce jour-là, s’attendit au pire : le cochonnet cependant n’insista pas. Il avait lui aussi compris que toute discussion portant sur ce sujet ne pouvait qu’être douloureusement ressenti par sa mère et il se promit dorénavant de parachever sa formation en allant chercher le renseignement le plus souvent possible à la source.

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Il n’en restait pas moins que la découverte du dictionnaire avait profondément marqué Porcelino.  Bien sûr, pour le consoler, le verrat lui avait précisé « qu’être mangé » était le sort réservé à tout animal, bipède compris, mais le goret considérait à juste titre qu’il y avait une différence sensible entre le devenir des porcs et celui d’autres espèces.

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Pour les uns, il s’inscrivait naturellement dans le cycle de l’évolution, pour d’autre on court-circuite la chaîne alimentaire à des fins spéculatives au bénéfice de l’homme. Et ce qui navrait peut-être le plus le porcelet c’était de voir la triste résignation qu’affichaient ses congénères et qu’il assimilait, lui, à de la complicité inconsciente lorsqu’il voyait les cochons se gaver de nourriture comme s’ils éprouvaient un certain plaisir à prendre du poids.

Les mois s’écoulèrent et Porcelino, qui entre temps avait décidé de ne pas tomber dans le travers de ses frères, apparaissait maintenant sous les traits flatteurs d’un jeune pourceau, élégant et racé mais totalement dépourvu de graisse : Dame Truie s’en inquiétait et elle lui en faisait discrètement le reproche .

Or, il advint qu’au mois de juillet de la même année, l’entreprise reçut de nombreux visiteurs qui s’extasièrent sur la beauté des sujets présentés et qui pour quelques-uns du moins, manifestèrent le désir de se porter acquéreurs des animaux les plus représentatifs de l’excellence de l’élevage.

Parmi les acheteurs potentiels, l’un d’entre eux semblait s’intéresser tout particulièrement à Dame Truie et à sa progéniture ; le sort en est jeté, se dit tristement la petite famille. Porcelino,  qui n’avait pas perdu une bribe de la conversation qui s’était engagée entre l’éleveur et son client, se précipita soudain  vers sa mère :

« Sauvés ! Cria-t-il, nous sommes sauvés ! » Et d’expliquer qu’ils venaient d’être vendus à un émir du golfe Persique pour devenir les pensionnaires du jardin zoologique d’Abou Dhabi.

Comme la famille ne semblait pas rassurée, il ajouta :

« C’est un pays musulman  et les musulmans ne mangent pas de porc !

- Ah ! Les braves gens ! » Soupira Dame Truie, qui gagnée par une émotion intense, en oublia le sort qui était réservé à la quasi-totalité de ses malheureux frères de race.

                                                                        Léo MIQUEL (1982)

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