BIENTÔT LES FEUX DE LA SAINT-JEAN (24 juin)<o:p></o:p>
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Cétait le soir, sur la place dune petite ville, ou bien à la campagne, sur une hauteur dominant le paysage. Un bûcher dajoncs ou de brindilles, tordus en cône autour dune grande perche et surmontés dun bouquet et de létendard de saint-Jean, attendait les « processionneurs ». M. le curé venait en tête suivi du maire et des adjoints. La pieuse théorie faisait le tour du bûcher. Apres quoi, M. le maire abaissait son cierge et allumait lui-même le tantad. La flamme montait dans un joyeux crépitement. Une lueur rouge baignait le ciel, et, la procession repartie, des danses se nouaient, cadencées et vives, autour du brasier agonisant. Quelques gars, plus hardis, samusaient même à le traverser dun bond <o:p></o:p>
Jai assisté à lune de ces scènes en Bretagne, au hameau de Saint-Jean-du-Doigt, qui possède une église merveilleuse et un bijou de fontaine, renommée pour son eau miraculeuse. Le tantad était dressé devant léglise Un ange descendait sur un fil de fer et, du cierge quil tenait à la main, allumait le bûcher. On aurait pu craindre que le voisinage de léglise ne créât un danger dincendie, et ceût été mal connaître les Bretons. Ils savent, de notion certaine, que le soir de <st1:PersonName productid="LA SAINT-JEAN" w:st="on">la Saint-Jean</st1:PersonName> le vent tourne toujours au nord-est, de façon à porter les flammes dans la direction opposée. Ce changement du vent est lindice de la présence du saint. Ari an aotrou sant Yan en he pardon « Voici Monsieur saint-Jean qui arrive à son pardon », disent les bonnes gens.<o:p></o:p>
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Il ny a plus guère de feux de <st1:PersonName productid="LA SAINT-JEAN" w:st="on">la Saint-Jean</st1:PersonName> quen Bretagne, en Vendée, et dans quelques cantons du Midi. A Bordeaux, on en allume encore sur les places publiques de certains quartiers populaires. Tel apporte un fagot, tel une vieille futaille hors dusage, tel une caisse ou un panier défoncé. Des rondes se forment, les enfants tirent des pétards, les femmes fredonnent une chanson, quelquefois un ménétrier mène le branle. Bordeaux est vraisemblablement avec Brest la seule grande ville de France qui ait conservé lusage des feux de <st1:PersonName productid="LA SAINT-JEAN" w:st="on">la Saint-Jean</st1:PersonName>.<o:p></o:p>
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Encore à Brest, les bûchers sont-ils remplacés par des torches promenées sur les glacis, quon lance en lair et qui retombent en secouant une poussière lumineuse. En Poitou, la coutume est de prendre une roue de charrette dont on entoure le cercle et les jantes dun fort bourrelet de paille. La roue, allumée au moyen dun cierge bénit, est promenée dans la campagne que les étincelles doivent fertiliser. Il nest point malaisé de voir là le souvenir dune pratique païenne : la roue symbolise le soleil et son entrée dans le solstice. Et lon sait de reste que les Celtes, le 14 juin, célébraient la fête du renouveau de la jeunesse ressuscitée du monde.<o:p></o:p>
Leurs druides, suivant une tradition, faisaient cette nuit-là le recensement des enfants nés dans lannée et allumaient sur toutes les hauteurs des bûchers en lhonneur de Teutatès, père du feu.<o:p></o:p>
« On pouvait voir tous les villages sallumer à la flamme de Taupont répondait celle de <st1:PersonName productid="La Touche" w:st="on">La Touche</st1:PersonName>, et la lumière gagnait lautre côtés de la vallée, revenait vers Ploërmel par <st1:PersonName productid="la Ville-Bernier" w:st="on">la Ville-Bernier</st1:PersonName>, <st1:PersonName productid="La Ville-R←hel" w:st="on">La Ville-Réhel</st1:PersonName> ; lentement les fumées ondulaient dans lair, seffaçaient et se perdaient sous lardent rayonnement des brasiers, et bientôt les flammes dégagées montèrent hautes et droites vers le ciel perpétuant le souffle des vieux cultes consécrateurs du feu qui est la source première de la vie universelle. »<o:p></o:p>
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Cette survivance de traditions millénaires ne laisse pas en effet de surprendre un peu au premier abord. Mais pour qui connaît lâme bretonne et qui sait combien elle sest peut modifiée à travers les âges, le phénomène parait banal. En quelques paroisses de <st1:PersonName productid="la Haute-Cornouaille" w:st="on">la Haute-Cornouaille</st1:PersonName>, la cérémonie avait dailleurs une conclusion assez funèbre ; quand les danses avaient cessé et que le feu était près de séteindre, on lentourait de grandes pierres plates destinées, dans la pensée des assistants, à servir de siège aux anaon, aux mânes grelottants des pauvres morts de lannée, avides de se reposer quelques heures en tendant leurs mains débiles vers les cendres <o:p></o:p>
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Paris,- inutile de le dire ! na plus de feux de Saint-Jean. Les derniers datent de lancien régime. On dressait alors le bûcher sur la place de Grève et cétait le roi en personne, assisté de toute sa cours, qui lenflammait. Lhistorien Dulaure nous a laissé la description dune de ces cérémonies, qui se passa sous Charles IX :<o:p></o:p>
« Au milieu de la place de Grève était placé un arbre se soixante pieds de hauteur hérissé de traverses de bois auxquelles on attacha cinq cents bourres et deux cents cotrets ; au pied étaient entassées dix voies de gros bois et beaucoup de paille. Cent vingt archers de la ville, cent arbalétriers, cent arquebusiers, y assistaient pour contenir le peuple. Les joueurs dinstruments notamment ceux quon qualifiait de grande bande, sept trompettes sonnantes, accrurent le bruit de la solennité. Les magistrats de la ville, prévôt des marchands et échevins, portant des torches de cire jaune savancèrent vers larbre entouré de bûches et de fagots, présentèrent au roi une torche de cire blanche, garnie de deux poignées de velours rouge ; Sa Majesté, armée de cette torche, vint gravement allumer le feu »<o:p></o:p>
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Le dernier monarque qui alluma le feu de Grève de ses mains fut Louis XIV. Plus tard cet honneur revint au prévôt des marchands et, à son défaut aux échevins. Par une bizarrerie véritable, la perche qui soutenait le bûcher était surmontée dun tonneau ou dun sac rempli de chats vivants. Cest ainsi quon lit dans les registres de la ville de Paris : « Payé à Lucas Pommereux, lun des commissaires des quais, de la ville, cent sous parisis pour avoir fourni, durant trois années finies à <st1:PersonName productid="LA SAINT-JEAN" w:st="on">la Saint-Jean</st1:PersonName> 1573, tous les chats quil falloit audit feu, comme de coutume, et même pour avoir fourni, il y a un an où le roi y assista, un renard pour donner plaisir à Sa Majesté, et pour avoir fourni un grand sac de toile où estoient lesdits chats ».<o:p></o:p>
Il arrivait en effet que, pour ajouter plus déclats à la fête, quand daventure Sa Majesté y assistait, on joignait aux chats quelque animal féroce, ours, loup, renard, dont lautodafé constituait un divertissement de haut goût <o:p></o:p>
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Mais <st1:PersonName productid="LA SAINT-JEAN" w:st="on">la Saint-Jean</st1:PersonName> navait pas que ses feux ; elle avait aussi ses herbes, ses fameuses herbes de <st1:PersonName productid="LA SAINT-JEAN" w:st="on">la Saint-Jean</st1:PersonName> qui, cueillies le matin, pieds nus, en état de grâce et avec un couteau en dor, donnaient pouvoir de chasser les démons et de guérir la fièvre. On sait que, parmi ces fleurs mystérieuses se trouvait la verveine, la plante sacrée des races celtiques. On la cueille encore sur les dunes de Saintonge en murmurant une formule bizarre, nommée la verven-Dieu et dont le sens sest perdu.<o:p></o:p>
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Mais voici mieux : les Espagnols appellent la vigile de <st1:PersonName productid="LA SAINT-JEAN" w:st="on">la Saint-Jean</st1:PersonName> la verbena de San-Juan, la verveine de Saint-Jean. Dans toute lEspagne, dit un savant docteur de lUniversité de Madrid, M. Otéro Acevedo, on allume ce soir-là de grands feux appelés lumés, qui sont entretenus toute la nuit et que les enfants traversent en bondissant suivant un rythme qui rappelle les danses antiques.<o:p></o:p>
Sur la côte, la population va sébrouer dans la mer, malgré le froid, souvent très vif, quoi quen disent les almanachs ; ceux qui habitent les villages de lintérieur vont dans les prairies, dont lherbe est encore très courte, et se roulent dans la rosée ; cest paraît-il, un préservatif et, au besoin un remède souverain contre les maladies de la peau.<o:p></o:p>
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Les jeunes filles ce soir-là remplissent deau un vase quelles déposent au rebord de la fenêtre et, à minuit sonnant elles y écrasent un uf provenant dune poule noire : suivant la forme que prend cet uf, celle qui interroge ainsi le destin voit apparaître un novio, un château, un cercueil, etc. Inutile dajouter que cest toujours le novio qui se laisse deviner. Quant à la verveine qui a donné son nom à la vigile, il est dusage de laller cueillir au coucher du soleil, puis de la plonger dans leau et de ly laisser jusquau jour, exposée aux rayons de la lune ; cette eau sert, le lendemain à se laver le visage. On dit également, en Espagne, de celui qui à lhabitude de se lever tôt ; quil va cueillir la verveine, coge la verbena <o:p></o:p>
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Semblablement, chez nous, de quelquun qui se couche tard, on pourrai dire : « Il est allé ramasser un charbon de Saint-Jean ». Le fait est que ces charbons passent en Bretagne pour avoir toutes sortes de propriétés merveilleuses. Il en suffit dun recueilli dans les centres du tantad et dévotement placé, au retour, dans un coin du foyer, pour préserver la maison de lincendie et de la foudre. On dit encore quen balançant les nouveaux-nés devant la flamme de trois tantads, on les garde à tout jamais contre le mal de la peur <o:p></o:p>
Croyances puériles, sans doute, et qui témoignent dune âme singulière et naïve, agitée plus quaucune autre par le frisson du surnaturel. Mais la vérité est que les Bretons, en même temps que les plus superstitieux, sont les plus traditionnel des hommes. Où quils aillent, ils apportent avec eux les coutumes de leur pays. Cest ainsi que, dans cette nuit sacrée du 24 juin, tandis que <st1:PersonName productid="la Bretagne" w:st="on">la Bretagne</st1:PersonName> lointaine, là-bas, derrière lhorizon, sétoile de points dor et danse autour de ses tantads, la mer, dIslande, à son exemple, se fleurit de soudaines constellations.<o:p></o:p>
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Un baril, depuis le matin, sur la goélette, oscille lourdement à lextrémité de la grande vergue. On y a empilé dantiques défroques, moufles, « curages », vareuses préalablement trempées dans le goudron et lhuile de foie de morue. Comme en Bretagne de son fagot, chaque homme y est allé de sa contribution personnelle de vieux chiffons. Léquipage, vers huit heures, a formé le cercle au pied du mât. Il ne fait pas nuit « à » Islande, du 1° mai au 1° octobre.<o:p></o:p>
Est-ce le jour, pourtant, ce crépuscule perpétuel, ces limbes blafards, où grelotte un soleil chlorotique ?...<o:p></o:p>
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Le novice grimpe dans les enfléchures, boute le feu au baril. Et voici que, dans un tourbillon dopaque fumée noire, la flamme éclate, bondit se propage, dirait-on de bord à bord. Phénomène explicable, toutes les goélettes bretonnes ayant leur fouée traditionnelle, leur tantad aérien suspendu à lextrémité de la grande vergue et qui déchaîne, dans linstant quil sallume, les acclamations frénétiques de léquipage. Le tumulte sapaise pour la récitation de la prière. Puis, le capitaine descend dans le poste payer « la double » à ses hommes.<o:p></o:p>
Et, ce soir-là, les « Islandais » sendorme en rêvant de <st1:PersonName productid="la Bretagne." w:st="on">la Bretagne.</st1:PersonName><o:p></o:p>
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« Fêtes et Coutumes populaires » par Charles le Goffic (1922)<o:p></o:p>
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Quant à la coutume de traverser le feu la question se pose : est-ce réminiscence du passé lointain, où bêtes et gens passaient au milieu du feu, tant pour se purifier de leurs souillures que pour préserver des maladies à venir ? On ne sait ; peut-être est-ce tout simplement une concession à ce mystérieux désir de bonheur qui hante toute âme humaine et le lui fait chercher partout.<o:p></o:p>
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