PASSAGE DE JEAN-JACQUES BOUCHARD DANS NOTRE REGION
(Jean-Jacques Bouchard se détermine lui-même comme « parisien » les lignes ci-dessous proviennent de son ouvrage « Les Confessions » et particulièrement du chapitre concernant son « voyage de Paris à Rome » en 1630. Pour simplifier l’écriture nous appellerons son voyageur F, qui a couché la veille à la Pacaudière).
Le mardy, à 3 lieues, repassé la Loire dans un bac, à Roanne, bourg fort joly ; la Reine mère et les Cardinaux Bagni et Richelieu y avoient passé, descendans par eau à Orléans dans certains basteaux dont il y a très grande quantité en ce bourg, qui sont faits fort proprement avec des ais comme de petites maisons. A une lieue et demie de Roanne, se treuve l’hospital, où commence la montagne de Tarare. Puis disné à Saint-Saphorin de l’Ay, distant d’une lieue et demie ; Après avoir monté une autre lieue et demie, l’on trouve un meschant hameau nommé la Fontaine, et à une lieue au-delà, la Chapelle, qui est tout au plus haut de la montagne ; où il faisoit une telle obscurité à cause des brouillards, qu’F fut contraint de mettre un mouchoir blanc sur la croupe du cheval du messager pour le pouvoir voir et suivre, quoy qu’il ne fust que deux heures après midy. Ces ténèbres y sont, ce dit-on, presque continuelles, la hauteur de la montagne arrivant près de la moyenne région. Cela fit songer à F que c’est l’une des plus grandes faveurs que le ciel nous puisse donner, que de nous faire naistre en beau païs et tempéré. Aussi les gents qu’il vit là portoient sur le visage je ne sçiai quoi de la misère et de l’horreur du lieu, ressemblant plus à des satyres, faunes et ours, qu’a de vrais hommes : surtout un certain hermite qui vient demander l’ausmone aux passans. Si la montée avoit esté roide, la descente le fut bien davantage, et elle peut estre mise au nombre des autres précipices qui entourent cette montagne de tous costez.
Toute la compagnie mit pied à terre, bronchant et glissant dans la boue de dix pas en dix pas ; maisF se tint tousjours à cheval, aimant choir avec sa beste que seul, outre qu’il voyoit les deux malliers, plus chargez de beaucoup que sa monture, alles sans broncher. Il luy réussit bien, que luy seul arriva à Tarare sans choir, tous les autres estant ou blessez ou perdus de fange. Ce petit bourg est au pied de la montagne, distant d’une lieue de la Chapelle. La peste y avoit esté furieuse, et y en avoit encore quelque reste. La crainte d’estre volé empescha de bien reposer la nuit, y aiant une fort belle hostesse au logis qu’on disoit avoir pratique avec des garnements…
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