P L I E U S E
Plieuse: celle qui prépare le mort pour l'ensevelissement (l'habille et le « plie », l'enveloppe dans un linceul) et qui veille le corps.
(La Diana, Société historique et archéologique du Forez, Montbrison – 1975)
Vieille fille sans avoir,
Elle manie au lavoir
Tout le jour son lourd battoir,
Et chante même, oublieuse
De son métier de la nuit ;
Mais, dès que le soleil fuit,
La lavandière est plieuse,
Plieuse du linge blanc
Qu’elle rapporte en tremblant,
Sur la tête ou sur le flanc,
De la lointaine rivière ?
Non, mais plieuse des morts,
Dont il faut coudre le corps
Dans la chemise dernière…
L’Angélus tinte au clocher :
Les vivants vont se coucher ;
La mort qu’on n’ose toucher,
Dans sa rigide posture
Attend une douce main
Qui lui mette pour demain
Son habit de sépulture.
La Plieuse sort sans bruit
Et, sous la lune qui luit,
Seule son ombre la suit…
Un chien vaguement aboie…
Elle monte chez le Mort
Que déjà travaille et mord
Le ver éclos de sa proie.
Puis, sous le pâle reflet
Qui traverse le volet
Et qui fait un peu moins laid
Le pauvre cadavre blême,
La Plieuse, sans dégout,
Lave, arrange, drape, coud
Son habit, pour tous le même…
« Plieuse, va doucement !
Que j’aie encore un moment
Mon blondin au front charmant…
Voilà de la toile fine ;
Fait-lui son nid bien douillet,
Afin que s’il s’éveillait
Il se crût sur ma poitrine.
« Plieuse, c’est mon amant
Dont tu couds le vêtement ;
Mets-y pour tout ornement
La marguerite flétrie
Qu’à mon corsage il piqua
Le premier soir qu’il risqua
Son aveu dans la prairie… »
« Plieuse, c’est mon époux !
Il fut fort, vaillant et doux
Mais une mauvaise toux
L’a ployé comme une gerbe,
Mettons-lui des habits lourds,
De la laine et du velours :
Il doit faire froid sous l’herbe !... »
« Plieuse, c’est mon orgueil
Que tu couches au cercueil ;
Et je mourrais de mon deuil
Si celle qui m’est ravie
En me léguant quatre enfants
Ne m’eût dit : « Je te défends
« De leur dérober ta vie »
Mais avant de recouvrir
Ce front où j’ai vu fleurir
Tant d’espérance et mourir
La gaîté de ma demeure,
Laisse mes quatre blondins,
En baisant ces yeux éteints,
Apprendre qu’il faut qu’on meure… »
Plieuse, aux vieux vagabonds,
Que tes soins aussi soient bons !
Ils couchèrent sous les ponts,
Ou même à la belle étoile :
Que leurs pauvres corps rouillés
Une fois soient habillés
D’une chemise de toile !
Et si je ferme les yeux
Dans le lit de mes aïeux,
Viens à pas silencieux,
Plieuse, ma vieille amie,
Qui m’as quelquefois bercé,
Mettre sur mon front glacé
Et ma paupière endormie
Le drap blanc, si doux à voir,
Que tes bras nus au lavoir
Ont battu d’un lourd battoir,
Dans l’eau vive et la lumière,
Puis par un joyeux matin,
Séché sur les fleurs de thym,
De genêt et de bruyère.
François FABIE (La Terre et les Paysans) 1923