• 1 armistice 1918
     

    Mes frères

     

    Dans l’histoire des peuples il est toujours des dates ou plus chères, ou plus douloureuses à la mémoire, selon qu’elles évoquent le souvenir d’une grande joie ou d’une grande douleur nationale. Ainsi l’Eglise a son Vendredi Saint et son jour de Pâques ; elle commémore le premier dans un profond recueillement funèbre, et le second dans l’allégresse triomphale.

     

    Le Vendredi Saint de a France, ce furent nos désastres de 1870, les vieux s’en souviennent encore ; son jour de Pâques, ce fut le 11 novembre 1918, et les Anciens l’auraient marqué d’une pierre blanche.

     

    Mais, n’est-ce pas le privilège des cœurs bien nés de ne jamais séparer, à chaque anniversaire, ceux qui ont défilé le jour de la victoire, et ceux qui  en ont jalonné le route de leurs corps sanglants ? Aux uns, à ceux qui survivent, nous disons notre gratitude ; aux autres, à ceux qui sont tombés, nous ajoutons la prière des chrétiens.

     

    Et voilà pourquoi nous sommes ici. Les voûtes de cette vieille église, huit fois séculaire, ont pu voir, aux grandes fêtes liturgiques, des assemblées compactes ; elles ont pu entendre l’écho des cantiques résonner dans cette enceinte, quand la foule des pèlerins venait jadis au tombeau de notre Sainte. Mais elle n’a point vu, que je sache, de cérémonie d’un caractère plus religieusement patriotique que celle qui nous rassemble aujourd’hui.

     

    Il est bon en effet, à certaines dates, de songer à ceux qui ont payé de leur vie notre salut à tous et de porter devant Dieu, par des hommages communs et des prières unanimes, leur mémoire à jamais glorieuse. Leur souvenir en nous, mes chers amis, n’est point comme ces feuilles d’automne que le vent arrache et disperse, ni comme la neige d’hiver qui ensevelit tant de choses dans son blanc linceul ! Nous lui voulons une fraicheur de printemps éternel que n’altèrent ni les années, ni les vicissitudes de la vie ; le givre qui recouvre nos toits n’a pas la puissance d’atteindre les âmes pour effacer le souvenir dont la pérennité est assurée.

     

    « Il est bon de se rappeler, disait M. Poincaré à Nancy, que la grandeur d’un pays est faite de plus de morts que de vivants. » Nous savons bien que la route de la victoire est jalonné de quinze cent mille Français, de tous ceux-là qui sont tombés dans la première fleur de la jeunesse, ou déjà parvenus à la maturité du foyer familial ; oui, de tous ces époux, fils, frères, amis, dont les beaux yeux éteints plus jamais ne verront ici-bas les yeux de leurs mères et le clair soleil de la France. Ils dorment leur grand sommeil de gloire à laquelle ils sont montés par la voie douloureuse du sacrifice.

     

    Nous sommes donc bien dans l’esprit de ceux qui président aux destinées du pays et qui ont demandé qu’on ne laissât point passer inaperçue une date qui rappelle la fin de la plus grande des guerres, quand, au coup de 11 h ; du matin, l’ennemi déposa les armes dans l’écrasement de la défaite et que toutes les cloches annoncèrent notre victoire.

     

     

    Du souvenir découle naturellement la reconnaissance. On dit que le sentiment de la reconnaissance est une fleur éphémère. On montre même dans un musée un tableau qui représente deux sœurs, lesquelles se regardent sans avoir l’air de se connaître ; c’est la Bienfaisance et la Reconnaissance. A Dieu ne plaise que nous méritions le reproche d’un tel parallèle ! Et s’il est vrai de dire que la durée de la reconnaissance de la reconnaissance se mesure à la grandeur du bienfait reçu, nous n’aurons jamais fini de magnifier l’héroïsme de ceux qui nous ont délivrés de la plus odieuse barbarie. La dette contractée envers eux est insolvable, parce que la sainte Ecriture dit elle-même que la plus grande marque d’amour que l’on puisse témoigner à quelqu’un est de donner sa vie pour celui qu’on aime. Ainsi ont fait pour nous les soldats, et la longue trace de sang qui va de Belfort à la mer à une éloquence qu’aucune parole humaine ne saurait exprimer. Oui, on peut leur appliquer ces belles paroles de nos Ecritures aux vaillants de Judas Machabée : « Ils se jetèrent sur l’ennemi, ils en abattirent mille à leurs pieds et mirent tout le reste en fuite. »

     

    Leur gloire est sans tache. Ah ! Puisse notre reconnaissance se hausser à la mesure d’une telle immolation ! Qu’elle ne soit pas à court terme, mais à longue échéance, c’est-à-dire sans fin…

    O mon âme dresse en toi un autel dont tu ne démoliras   s jamais les pierres, afin que tu puisses offrir aux Morts de la Grande Guerre le sacrifice perpétuel du souvenir et de la reconnaissance !

     

    Et j’ajoute : celui de la PRIERE. Si, contre l’habitude, un prêtre aujourd’hui, prend la parole devant ce catafalque qui nous rappelle des tombes absentes et lointaines, ce n’est pas qu’il ait besoin de nous attendrir sur le sort de ceux auxquels vous apportez des hommages ; mais il veut plutôt vous apportez des hommages ; mais il veut plutôt vous redire avec S. Augustin que « Dieu est la patrie des âmes » et que vers lui doivent monter nos pensées pour y trouver nos disparus.

     

    C’est le secret de la religion de se mêler aux grands courants de la vie nationale, dont elle partage les triomphes et les infortunes. Il n’est pas une détresse de la patrie à laquelle l’Eglise de France ne se soit associée, pas une de ses joies qu’elle n’ait ressentie elle-même dans l’allégresse. L’apôtre S. Paul écrivait déjà à Timothée : «  Conjure qu’il soit fait tout d’abord des prières et des supplications pour les princes, les chefs, tous ceux qui sont en dignité, afin que nous puissions mener une vie tranquille dans la piété » et il ajoute que « cela est bon et agréable à Dieu, qui veut que le salut de tous les hommes. »

     

    Les douze milles drachmes produit d’une collecte que Judas Machabée fit porter en hâte au temple de Jérusalem, afin qu’on y offrit un sacrifice pour ses soldats morts au dernier combat, sont aussi une preuve que c’est une sainte et salutaire pensée de prier pour nos morts afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés. Oui, c’est beau et bien français assurément d’orner de fleurs des milliers de tombes et de les parer de la cocarde du Souvenir !

     

    C’est beau et bien français de rassembler en des lieux choisis et vénérés tant d’ossements épars que l’enfer des batailles avait dispersé ! C’est beau et bien français d’élever des monuments devant lesquels défileront des foules émues et des régiments vainqueurs !... Mais l’Eglise qui aime tant à nous parler d’immortalité et qui, par-dessus la cité du temps, montre la cité des cieux, nous presse de joindre nos prières et d’en offrir le prix à nos morts, comme un bouquet d’immortelles. Que ces prières se mêlent à la voix des cloches qui semblent porter là-haut l’accent de nos implorations vers celui qui tient en ses mains le sort des peuples, qui juge les nations et délivre les âmes : « Souvenez-vous, Dieu tout puissant, de toutes ces victimes offerte en holocauste pour la rédemption de tous ! Pesez dans vos mains magnanimes la valeur de leur immolation. Après le corps de votre Christ immolé à la messe, y a-t-il  quelque chose de plus sacré que le corps du soldat immolé pour son pays ? »

     

    Inclinons-nous bien bas devant ces noms gravés sur la pierre ou le marbre et qui signifient la Marne, l’Yser, la Champagne, Verdun, la Somme, les Vosges, l’Argonne, toute la ligne du front où se sont jouées pendant plus de quatre ans les destinées du monde entier ; C’était pour les bénir tous ensemble que nous fûmes conviés à cette solennité. Une solidarité nous lie étroitement à eux : dette de souvenir pour l’immense travail fourni à la cause victorieuse ; dette de reconnaissance toujours chère aux cœurs bien nés, et qu’on sait payer à ceux qui sont montés aux cimes les plus élevées du sacrifice ; dette de prière dont nous demandons au Seigneur d’accepter la valeur.

    « O morts glorieux, reposez, la haut, dans la paix divine, comme vos cendres ici-bas dans les plis du drapeau. Le vent de la victoire, soufflant dans nos étendards, a passé sur vos tombes pour remuer la poussière de vos corps sanglants. Puissent vos âmes tressaillir à jamais dans les splendeurs des Saints et puisse sur vos tombes, connues ou inconnues, surgir une France nouvelle, libérée de toutes les vieilles querelle dont nous avons failli mourir, afin que, dans la rude paix à conquérir, vous soyez le symbole pacifiant de l’esprit nouveau qui doit inspirer notre vie pour le bonheur, la prospérité, la gloire, l’extension toujours plus grande de la vieille patrie française ! » Ainsi soit-il.

     

    L’AMI DU CLERGE PAROISSIAL (Langres) novembre 1922

     

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