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    TRADITIONS SOCIALES ET COALITIONS

    La dernière révolte des mariniers de Roanne

    Communication de M. Jean Caboste

     

         Une société n’est pas la réunion éphémère de quelques individus. Elle existe à partir du moment où ses membres ont la sensation d’une véritable solidarité. Structure matérielle et conscience collective sont les deux conditions d’existence d’une société

                                                                                   Ph. Aries

     

    Jusqu’au début du XIX° siècle la vie roannaise a été dominée par le commerce fluvial qui représentait sa principale raison d’être.

     

    L’importante corporation des mariniers dont on se plait parfois à rechercher l’origine parmi les nautes de la période gallo-romaine a grandi avec la ville ou, plus exactement, c’est la ville qui doit son essor à la puissance et au développement de cette communauté.

     

    Cependant les mariniers roannais ont crée, pour eux seuls, une société bien définie dont les personnes qui la constituent ne se considèrent plus comme des individus mais comme les membres d’un groupe, ce qui engendre des habitudes et des traditions d’autant plus fortes que ce groupe est puissant.

    Ces habitudes et ces traditions vont perdurer durant toute l’histoire de la marine de Loire et particulièrement à Roanne, dont le développement limité n’aura jamais la dimension nécessaire pour disloquer cette forme sociale bien homogène.

     

    Durant tout le moyen-âge, la communauté des marchands fréquentant la Loire, puissante organisation qui regroupe les mariniers de plus de 30 villes, doit lutter pour défendre ses droits contre les divers péages imposés par les seigneurs.

     

    La puissance étant indissoluble d’un certain pouvoir d’argent, les marchands lèvent des taxes prélevées sur les marchandises transportées et les sommes recueillies sont mises à la disposition de la communauté pour la défense de ses intérêts et pour la réalisation des travaux nécessaires à la navigation.

     

    Mais ce régime d’imposition plus connu sous le nom de droit de boîte bénéficie aussi aux mariniers eux-mêmes en les aidant dans certaines circonstances. Ainsi le droit de boîte constitue-t-il une  sorte de caisse de secours mutuel avant la lettre.

     

    Riche est puissante, la corporation des mariniers qui regroupe les voituriers par eau et les charpentiers en bateaux se referme sur elle-même pour protéger ses privilèges. La succession dans le métier se fait souvent de père en fils et une certaine endogamie limite toute ouverture vers l’extérieur.

     

    Il faudra attendre le milieu du XVI° siècle, lorsque le droit de surveillance est retiré à la communauté, pour qu’une brèche entame sa puissance par le biais de la suppression du droit de boîte.

     

    Le développement économique de la France va, dans les années suivantes, porter d’autres coups à cette situation de monopole.

    C’est d’abord en 1605, le début du creusement du canal de Briare et c’est surtout l’amélioration du réseau routier qui fait qu’à la fin du XVIII° siècle, la Loire a perdu de son importance au profit de la route de Bourgogne.

     

    Enfin, la Révolution va porter un coup fatal au corporatisme et la loi de mars 1791 déclare que désormais « il serait libre à toute personne de faire tel négoce, d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouverait bon ».

     

    Il ne semble pas cependant que la corporation ait pour autant disparu ou se soit ouverte au monde extérieur. Ancrés dans leurs habitudes et fiers de leurs traditions, les mariniers roannais vont continuer, comme par le passé, à vivre dans un monde à part. Ils savent qu’ils détiennent la clé du trafic sur le fleuve et qu’ils pèsent de tout leur poids sur l’économie nationale en particulier en ce qui concerne le transport du charbon.

    La loi du 2 avril 1810 qui enlève aux propriétaires miniers l’exploitation de leurs gisements pour les confier à des concessionnaires soumis à la surveillance de l’état, va conduire à un accroissement de la production charbonnière et à une notable augmentation du trafic fluvial.

     

    Ainsi, la marine roannaise aborde-t-elle le        XIX°    siècle dans une conjoncture économique florissante alors même qu’elle se trouve fragilisée dans ses structures et qu’elle n’a plus la possibilité de disposer des fonds propres à assurer sa survie sociale.

    Très rapidement, dans les années qui vont suivre, les mariniers vont pressentir que même leur essor économique va être dangereusement mis en cause par l’arrivée du chemin de fer et qu’ils ne disposent plus des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre ce nouveau concurrent.

     

    Bien qu’il ne soit plus possible de le faire légalement, ils vont cependant, de fait, continuer à interdire toute immixtion dans leurs affaires et s’opposer par la force à ce que des bateaux soient conduits par des mariniers étrangers travaillant à des tarifs inférieurs à ceux qu’ils entendent imposer.

    En avril 1819 un conflit oppose les mariniers aux marchands de charbon de Roanne et de Saint-Just-sur-Loire et, dans le port, des bateaux conduits par des étrangers ont été détachés et l’un d’eux s’est brisé sur les piles du pont.

     

    La plainte des marchands de charbon, pour entrave au commerce et association illicite, va, par l’intermédiaire du préfet, remonter jusqu’au ministre de l’intérieur où, malgré la gravité des faits, elle ne suscite qu’une réaction modérée. Le ministre reconnaît que la municipalité a le pouvoir de fixer les salaires mais, comme il s’agit en l’espèce d’un travail qui se continue au-delà de la circonscription, il ne voit pas bien comment l’autorité pourrait intervenir en cette matière.

     

    Mais l’enquête menée par le préfet fait apparaître un autre fait beaucoup plus important. Il découvre en effet qu’il existe un syndicat secret qui tient des assemblées sous la religion du serment et qui impose à chaque marinier une contribution « volontaire ». Il découvre aussi que les mariniers n’acceptent de faire un transport qu’après avoir obtenu l’accord de leurs syndics.

     

    Ainsi, il apparait à l’occasion de ce conflit que, malgré les dispositions légales, et au travers des différents régimes, les mariniers de Roanne ont conservé leur entité et que la corporation dissoute est devenue une société secrète disposant des mêmes pouvoirs. Pouvoirs qui, bien qu’occultes, n’en demeurent pas moins étendus au point que l’administration qui trouve ces faits « extrêmement blâmables » émet le vœu que « la vigilance paternelle des magistrats, la menace au besoin, et enfin des poursuites doivent dissoudre cette dangereuse association ».

     

    La modération des propos du ministre à l’encontre des mariniers contraste avec le discours qu’il tient habituellement en d’autres circonstances et, à la même époque et pour des faits semblables, il adresse une lettre au lieutenant de police du département du Rhône où l’on peut lire : « …Toute coalition d’ouvriers tendant à faire hausser le taux des salaires est un délit prévu par le Code pénal ; il doit être dénoncé aux tribunaux, et l’autorité administrative qui est chargée de le faire constater, n’a le droit ni de transiger sur la peine encourue, ni d’appliquer des amendes au profit des pauvres ».

     

    Préfiguration du syndicalisme ou combat d’arrière-garde d’une vieille corporation ? La lutte entre le pouvoir central et cette association spécifique de travailleurs va se poursuivre durant l’année 1819, mettant en jeu toute l’administration depuis le maire de Roanne jusqu’au ministre et, peut-être n’est-il pas inutile d’en retracer la chronologie.

     

    L’affaire débute en janvier 1819 par une lettre que les mariniers adressent au maire de Roanne.

     

    « Les soussignés, tous mariniers du port de Roanne, domiciliés en la même ville et la commune de Parigny, au lieu-dit du Coteau de Roanne, ont l’honneur de vous exposer qu’il existe beaucoup d’anciens mariniers sur le port de cette ville qui, au bout de leur carrière, et après avoir beaucoup travaillé, ont éprouvé des malheurs qui leur ont enlevé tous les moyens d’existence ; que d’autres, moins avancés en âge, ne peuvent cependant, par le fait d’accidents, pourvoir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Le désir qu’éprouvent tous les mariniers valides et en état de travailler, de venir au secours de ceux qui se trouvent dans cette malheureuse position leur a suggéré la pensée de l’établissement d’une bourse commune formée d’une petite retenue sur le salaire de chaque marinier dans ses voyages, et dont le produit serait uniquement consacré à la pieuse destination de soulager les mariniers âgés, infirmes ou malade, leurs veuves et leurs enfants.

     

    « Un tel dessein ne peut que recevoir, Monsieur le maire, votre approbation, dès qu’il tend à soulager une portion intéressante de vos administrés.

    Mais pour parvenir à le réaliser, il est indispensable que tous les mariniers valides obtiennent la permission de se réunir, pour arrêter entre eux le mode de l’établissement de cette caisse commune, les moyens d’en faire les fonds, la nomination d’un caissier, le mode de distribution des secours, etc.

     

    « En conséquence, les soussignés vous supplient, Monsieur le maire, d’autoriser ou de faire autoriser, par qui de droit, les mariniers du port de Roanne à se réunir aux jours et heures qui leur seront indiqués, sous la présidence de la personne notable qu’il plaira désigner, à l’effet de délibérer sur toutes les questions relatives à l’établissement de la caisse de secours dont il s’agit ».

     

    Quel est le but poursuivi par les mariniers en formulant une telle demande ? Ont-ils vraiment besoin d’une caisse de secours alors que cette caisse existe, de fait, au sein de leur société secrète ou bien sentent-ils que leur association est menacée et essayent-ils, par ce biais, d’officialiser ce qui existe déjà ?

     

    Quoi qu’il en soit, le ton volontairement modéré de cette demande et le bon sens qui s’en dégage ne peuvent laisser indifférent l’administration municipale qui délègue l’un des adjoints au maire pour assister à l’assemblée des mariniers quoi se tient le 27 janvier dans une salle de la mairie.

     

    Au cours de cette réunion les mariniers décident des statuts de leur société dont les principaux points sont :

     

    « La caisse sera formée d’une rétribution qui sera payée au moyen d’une retenue faite à chaque marinier et par chaque voyage.

    La caisse sera confiée à l’un des marins qui sera désigné par les syndics dont il sera parlé ci-après.

     

    « Il sera nommé des syndics au nombre de cinq, auxquels le caissier rendra ses comptes annuellement par recettes et dépenses.

    Les syndics ainsi que le caissier seront nommés chaque année par une assemblée de mariniers désignés par l’autorité municipale, mais ils pourront être réélus indéfiniment.

     

    « Le caissier rendra ses comptes à cette assemblée.

    Aucune somme ne sera payée par le caissier que sur un mandat signé de trois syndics au moins.

    Il sera établi une commission de quinze membres pris dans les différents quartiers occupés par les mariniers, laquelle sera nommée par le maire. Les membres de cette commission seront spécialement chargés de visiter les malades et infirmes et de rendre compte aux syndics de leurs besoins ».

     

    A la suite de la rédaction de ces articles, il semble que l’administration se soit émue et ait implicitement reproché au maire d’avoir favorisé cette réunion. M. Ramel, adjoint qui avait présidé cette assemblée fait, le 8 mars, la déclaration suivante : « Je soussigné, certifie que dans l assemblée des ouvriers mariniers tenue le 27 janvier 1819, dans une salle de la mairie et présidée par moi, en exécution de l’arrêté de M. le maire du 7 dudit mois de janvier, les articles ci-dessous ont été délibérés et arrêtés, sauf rédaction, et qu’étant tombé malade immédiatement après le 29 janvier, je n’ai pu m’occuper de la rédaction desdits articles ».

     

    La maladie providentielle de M. Ramel montre bien l’embarras du maire et le sentiment qu’il a de s’être laissé entraîner dans une affaire qui dépasse son pouvoir municipal d’autant plus qu’il est saisi, le 19 mars, d’une plainte du syndic officiel des marins qui lui fait par de la situation sur le port : « …Il y a bien longtemps que les ouvriers mariniers ont fait des réunions pour fixer les prix et même pour arrêter les expéditions, mais jamais ils n’en avaient fait de plus fortes et de mieux soutenues que depuis quelques mois : c’est au point que, dans ce moment, les maîtres ne sont plus libres de faire partir tel ou tel nombre de bateaux que le besoin de leur commerce l’exige ; il faut, avant, que les mariniers consultent un certain nombre d’entre eux qu’il se sont choisis et qu’ils appellent syndics ; ensuite ils viennent dire ou qu’il n’y a pas assez d’eau, ou bien qu’ils veulent tel prix. D’après cela, parlez à un, vous parlez à tous. Si quelques mariniers braves et honnêtes (et il en est) s’avisent d’endramer une équipe, aussitôt une foule se porte sur le quai et les forces de mettre l’ancre à terre, en les menaçant d’une punition… »

     

    Et le syndic d’ajouter :

    « …Ce qui adonné lieu aux mariniers d’avoir un accord si parfait entre eux (cet accord est tel qu’ils font absolument la loi sur le port), c’est une caisse qu’ils ont formés, dans laquelle chacun d’eux verse une somme prise sur son voyage…L’établissement de cette caisse leur a servi de prétexte pour se réunir et pour se choisir un certain nombre de syndics, dont ils ont formé leur conseil et d’après lequel ils règlent toutes leurs démarches. Il serait donc très à souhaiter que cette caisse fut anéantie ».

     

    Ainsi apparait clairement le but poursuivi par les mariniers ; la caisse de secours n’est destinée qu’à servir de tremplin pour officialiser un véritable lobby sur le trafic fluvial.

    Prenant prétexte de la formation de cette caisse, les mariniers multiplient les réunions.

     

    Le maire essaye de temporiser mais le caractère autoritaire pris par le syndicat avant la lettre préoccupe les autorités car il risque d’entraver le commerce du charbon qui est le principal, pour ne pas dire l’unique, fret transitant par Roanne et c’est ce même charbon qui fit vivre toute la population des ports de la Loire.

     

    D’autre part, l’exemple roannais qui commence à se propager dans les autres ports « finirait par gagner toutes les autre classes ouvrières ». Alors que la caisse de secours fonctionne effectivement et lève au grand jour ses cotisations, le marquis de Tardy, maire de Roanne, essaye toujours d’atermoyer. Il met en avant la maladie de M. Ramel pour justifier le retard apporté à la transmission du dossier au sous-préfet et il conclut par une mise en garde sévère dénonçant le caractère illicite d’une telle association.

     

    « …Il est de mon devoir de vous observer que le roi lui-même s’est interdit par la Charte le droit d’ordonner aucune contribution, sous quelque prétexte que ce soit, et que toute imposition levée sur des Français doit être autorisée par une loi ; c’est ce que j’ai eu l’honneur de vous exposer de vive voix, en recevant votre pétition, et que je vous répète ici officiellement, afin que personne ne tombe en faute par l’ignorance, et qu’il n’y ait pas lieu de la part du gouvernement à des poursuites en concussion, qu’il serait hors de mon pouvoir d’arrêter. »

     

    Inspiré sans doute par la municipalité, le bureau de bienfaisance de Roanne tente de récupérer à son profit les fonds recueillis par le syndicat tout en spécifiant que les dons seront volontaires et seront exclusivement employés aux individus de la marine infirmes, âgés ou accidentés. « Le bureau de bienfaisance de la ville de Roanne, voulant seconder les désirs louables manifestés par un grand nombre de mariniers pour secourir les malades, infirmes ou indigents des ouvriers de la marine, au moyen d’une rétribution volontaire, déclare que, sauf l’approbation de M. le préfet, il ne voit pas d’inconvénient à adopter les articles suivants additionnels à son règlement… »

     

    Comme prévu, cette suggestion ne recueille aucun écho et les patrons mariniers portent plainte contre les mariniers les accusant de « délits contre la liberté » et contre leurs syndics qui imposent les conditions de travail et décident du départ des convois.

    A nouveau l’affaire remonte en haut lieu. Le préfet écrit au ministre de l’intérieur, pour l’informer du développement de la coalition et il s’adresse au procureur pour qu’il fasse appliquer les articles du code pénal.

    Les patrons exposent à leur agent à Paris les troubles de Roanne afin que celui-ci agisse sur les députés et sur le ministre.

    Le maire se trouve dans une situation de plus en plus inconfortable et il tente de dédramatiser l’affaire en la présentant au ministre sous un aspect plus humain.

     

    « Les mariniers, familles comprises, sont au nombre de 1500. Ils sont exposés à la concurrence des mariniers des autres communes, d’où baisse des salaires. Le nombre des exclusions, pour raison de filiation, est au plus de 8. Les ouvriers sont charitables : un d’eux devenu fou, envoyé aux Anticailles de Lyon, est pensionné par ses camarades (150 fr par quartier). Mais ils ont commis des délits contre la liberté du travail ».

     

    Cette lettre n’aura que peu d’effet car le jour même où elle est expédiée, les mariniers de Roanne provoquent ceux de Saint-Rambert et de Saint-Just-sur-Loire à propos d’un convoi qui devait partir du pont de Roanne.

     

    Mieux encore, il apparait cette fois que le marquis Tardy est implicitement mis en cause par l’administration qui lui reproche toujours d’avoir cautionné la réunion constitutive de la caisse de secours. La plainte déposée le 26 avril par les marchands de charbon de Roanne et de Saint-Just-sur-Loire semble même désigner le maire et son adjoint comme les instigateurs du mouvement.

     

    La rumeur est telle que le 29 mai, le préfet se trouve contraint de prendre la défense du marquis de Tardy auprès du ministre dans une missive où il ajoute : « …J’ai recommandé à M. le sous-préfet de Roanne de se concerter avec M. le procureur du roi et M. le maire, relativement aux meures que les circonstances pourraient réclamer et, dans le cas où les voies de conciliation et de représentation seraient inefficaces, de m’adresser une demande écrite et motivée, d’après laquelle je pourrais provoquer l’envoi et le concours de la force armée… »

    La situation à pris cette fois un tour dramatique qui paraît irréversible, mais la décision d’intervention de l’armée dépend du ministère de la guerre à qui il appartient seul de prendre les dispositions nécessaires et l’administration n’a rien à lui ordonner sur les moyens d’exécutions. La démarche du préfet auprès du commandement militaire risque donc de prendre un certain temps.

    C’est alors que la situation va subitement se débloquer.

    Début juin, la Loire est en crue et les mariniers, qui veulent profiter des hautes eaux, traitent à l’amiable et à des prix différents avec les expéditeurs.

     

    Le 11 juin le calme reparaît. Les mariniers sont partis.

    Cette situation nouvelle va apporter le calme dans les esprits.

    Le 14 juin, le sous-préfet, s’adressant au préfet de la Loire, expose le problème sous un jour nouveau où il apparaît que, si « d’après les allégations de maitres, l’association secrète des compagnons avait pour but d’élever les prix de la main-d’œuvre, en empêchant l’embauche d’ouvriers étrangers et le départ isolé des bateaux ; d’après celles des ouvriers, les maitres avaient fait des conventions ensuite desquelles aucun d’eux ne pourrait expédier des charbons à un prix au-dessus de celui convenu entre eux ; avec dédit de 1 000 fr en faveur de tous, payable par celui qui n’observerait pas la condition. Plusieurs réunions, sans doute ont été tenues par les mariniers ; l’une autorisé le 5 janvier  1819, par le précédent sous-préfet, pour délibérer et dresser le projet de règlement d’une caisse de secours en faveur des non-travailleurs et des pauvres, a été présidée par l’ex-adjoint Ramel, mais il n’y a pas a en tirer argument contre ce fonctionnaire, qui a été accusé à tort, ainsi que le maire, de favoriser le mouvement ».

     

    Ainsi, il apparaît que l’association des mariniers avait pour but de lutter contre le monopole crée par les maîtres sans que l’on sache d’ailleurs « …laquelle des deux associations est antérieure à l’autre » et le sous-préfet d’ajouter « …Il n’est pas sur que l’association des mariniers existe, car on n’a pu désigner ses syndics, ni leurs actes ».

    Et de conclure : « …En tout cas, il est naturel que les maîtres fassent quelques bénéfices, mais non pas un monopole sur la main-d’œuvre ».

     

    Cette association patronale dont l’existence semble attestée par divers rapports du maire est-elle seule à l’origine de ce conflit ?

    Apparemment oui, mais deux aspects du problème doivent être pris en considération.

     

    Le premier, purement technique, concerne la navigation. Les mariniers, pour des raisons de commodité souhaitent ne partir que par grandes eaux et par grands convois ce que ne veulent pas les patrons qui, de plus refusent aux mariniers le droit de légir (alléger) en route.

    Le second est d’ordre économique et annonce le déclin de la marine de Loire.

     

    De 1° novembre 1817 au 1° mai 1818, 2044 bateaux sont entrés à Roanne alors que l’année suivante et pour la même période, il n’entrera plus que 1729 soit une perte relativement minime de 5% mais qui, peut-être, est l’amorce d’une crise plus importante.

     

    En fait, la crise est déjà là, d’après le maire, « …Ce projet de faire baisser les prix des transports et les salaires des mariniers tenait dans un plus vaste plan, concerté entre le commerce de Roanne et le commerce de Saint-Etienne, dans la vue de faire tomber les charbons de terre de Valenciennes et du Bourbonnais, en livrant à un prix inférieur ou du moins égal les charbon de terre de ce département, dont la qualité est supérieure, et qu’à cet effet les négociants de charbon de ces deux villes avaient consenti à des sacrifices, qu’ils avaient voulu faire partager aux mariniers, en leur accordant des conditions moins favorables ».

     

    Quelques incidents vont encore marquer cette lutte d’influence. Le 22 juin au soir « on voit un rassemblement considérable de fils de mariniers de quinze à seize ans au bas de Roanne, sur la rive droite ; ils ont assailli à coups de pierre les mariniers de Pouilly-les-Feurs qui conduisaient des bateaux de charbon, dont plusieurs ont dû être abandonnés. La fermentation est grave, les 10 gendarmes insuffisants ».

     

    L’autorité militaire ne pendra aucune mesure.

    Le 5 juillet a lieu le jugement des mariniers instigateurs de la caisse de secours. Les peines sont mesurées et seuls deux prévenus sont condamnés à 2 mois de prison et 100 fr d’amende.

    Il faut dire que « quelques jours avant, il (le préfet) avait reçu un acte de soumission de quelques mariniers, au nom de tous les autres, reconnaissant leurs torts, c'est-à-dire l’existence d’une caisse, mais non la coalition, et promettant une conduite conforme au bon ordre ».

     

    Le 20 juillet, les mariniers obéissant aux ordres qui leur ont été intimés remettent entre les mains du maire les registres des recettes et dépenses et les fonds appartenant à leur caisse de secours.

     

    Ainsi s’achève la dernière aventure des mariniers de Roanne.

    Les grands jours du commerce fluvial sont terminés. Avec l’industrialisation, le commerce du charbon va connaître de grands développements mais le progrès va apporter avec lui le chemin de fer.

     

    La marine de Loire à fait son temps.

     

     

     

              


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