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    LES INONDATIONS DE LA LOIRE

    Les premières inondations simultanées du Rhône et de la Loire remontent à l’an 580, et Grégoire de Tours, le rapporte en termes précis :

    « La cinquième année du roi Childebert, le pays d’Auvergne fut  accablé d’un grand déluge d’eau, la pluie ne cessa de tomber pendant 12 jours et celui de Limoges fut inondé avec impossibilité de semer.

    Les rivières de Loire et de Flavaris qu’ils appellent Allier se gonflèrent, sortirent de leur lit, ce qui causa la perte de bétail, un grand dommage dans  l’agriculture et renversa beaucoup d’édifices ».

    De son palais dominant le cours du fleuve, le saint évêque de Tours fut certainement témoins des faits  qu’il relate ; il vivait dans ce temps, et peut-être écrivait-il ayant sous les yeux le tableau affligeant des campagnes couvertes d’eau.

    Nous le citons textuellement « En 585, de grandes pluies grossirent tellement les rivières, que, sortant d leur lit, elles enlevèrent les moissons voisines et couvrirent les prairies. – En 588, les rivières grossirent outre mesure, en telle sorte qu’elles couvrirent des endroits où les eaux n’étaient jamais arrivées et ne firent pas peu de tort aux semences. En 587 et 590, les eaux grossirent extraordinairement. – En 592, les foins périrent par le débordement des fleuves ».

    Dans l’espace de 12 années, six débordements successifs, les inondations furent très communes au moyen-âge.

    Nouvelles inondations mentionnée dans les écrits en 820 « que des eaux des fleuves débordés couvrirent la terre dans quelques endroits, qu’elles y séjournèrent longtemps et empêchèrent les semailles ».

    Les Annales de Saint-Bertin place en outre en l’an 846 une grande inondation de l’Yonne, qui se répandit dans la cité d’Auxerre. « Ce qu’il y eut de plus merveilleux, y lisons-nous, c’est qu’une vigne avec sa pièce de terre, les ceps, les sarments, les arbres et tout, fut charrié par la rivière sans se briser en aucune manière et replacée toute entière ainsi qu’elle était, dans un autre champ, comme si elle y eût été naturellement ».

    Il se passe encore deux siècles, dans les documents historiques et cette fois, suivant une Chronique anonyme, il provient de la Loire : « Dans différents pays, les fleuves débordèrent. La Loire surtout sortit tellement de son  lit, qu’on fut exposé à de grands dangers dans tous les environs ». Cette inondation est marquée à l’an 1003 et, à l’an 1037, la même Chronique ajoute « que la Loire, ayant deux fois débordé, causa dans les environs des dommages considérables ».

    Raoul Graber nous apprend « Toute la terre fut tellement inondée par des pluies continuelles, que durant trois années on ne trouva pas un sillon bon à ensemencer.

    Et suivant Orderic Vital, en 1120 : « l’inondation des rivières, causée par des pluies excessives, envahit les habitations des hommes ». (Histoire de Normandie, cette inondation se rapporte à la Seine).

    Moins d’un siècle ensuite, et dans un intervalle de 50 ans, Quatre inondations se firent sentir, et bien qu’elles ne puissent pas toutes être classées parmi celle du Rhône ou de la Loire, faute d’indices suffisants, nous croyons devoir nous y arrêter comme une preuve à l’appui des réflexions que nous avons faites sur la fréquence de ces calamités au moyen-âge. Ces inondations se trouvent consignées dans différents chroniqueurs.

    Voici Guillaume de Nangis (Chronic) : « Au mois de novembre 1175, dit-il, il y eut une inondation extraordinaire qui renversa les métairies et submergea les semences. Il y eut au mois de mars 1196, en plusieurs endroits, une soudaine et excessive inondation d’eaux et de fleuves qui détruisit des villes avec leurs habitants. »

    Viennent ensuite Rigord et Guillaume le Breton, qui parlent tous deux de cette dernière inondation (De Gest. Philip. Aug).

    Le premier dit « que des villages entiers furent submergés avec leurs habitants. » et le second confirme cette assertion  dans ces termes : « Il survint tout à coup une inondation d’eau et de fleuves qui détruisit les ponts en beaucoup de lieux et renversa beaucoup de villes. »

    Rigord ajoute que les ponts sur la Seine furent rompus, et comme il est avéré que cette inondation causa d’immense ravage dans Paris, à ce point que Philippe-Auguste dut quitter son palais de la Cité pour se réfugier à l’Abbaye Saint-Geneviève, l’histoire l’a enregistrée plus spécialement dans les fastes de la capitale. Néanmoins, il existe des témoignages constatant qu’elle exerça de grands désastres sur les bords du Rhône ; mais rien n’atteste qu’elle embrassât le bassin de la Loire ; toutefois, il est permis de le supposer, et le récit, quelque bref qu’il soit, des chroniqueurs, peut confirmer cette conjoncture. Les expressions dont ils se servent semblent, sinon  généraliser, du moins donner  une grande étendue à l’inondation, et l’Orléanais ne touchait-il pas à l’Île-de-France ?

    En décembre 1206,  nouvelle grosse inondation « telle, que depuis un siècle on n’en avait pas ouï raconter de pareille » rapporte Guillaume le Breton qui ajoute « Qu’en 1219, pendant tout le mois d’avril et jusqu’au milieu du mois de mai, les fleuves s’enflèrent tellement qu’ils couvrirent les près, les bruyères, les bourgs, les vignes et les moissons dans leur voisinage, au grand dommage des cultivateurs ; ensuite, qu’il ne cessa de pleuvoir continuellement jusqu’aux calendes de février, et qu’il y eut une si grande inondation d’eaux, que les flots firent crouler des ponts et un grand nombre de moulins et de maisons ».

    En 1226, au mois de septembre, le Rhône déborda et causa des dommages considérables à Lyon ; la ville d’Avignon surtout eut grandement à souffrir, ayant été démantelée à la suite du siège qu’elle venait de soutenir contre l’armée royale de Louis VIII pour la cause des Albigeois.

    Pendant le XIV° siècle, 4 inondations du Rhône, en 1338, 1356, 1362 et 1375 (des lettres patentes de Charles V, données en cette année, nous apprennent qu’il y eut à Lyon 200 habitations détruites par les eaux du Rhône et de la Saône) eurent lieu et cinq dans le XV° siècle, en 1408, 1421, 1433, 1471 et 1476.

    Le XVI° siècle fut encore plus fécond, puisque 10 inondations se firent sentirent sur les rives du Rhône : juillet 1504, novembre 1544, novembre 1548, 1561, décembre 1570, 1571, octobre 1573, 1578, août 1580, 1590.

    La plus épouvantable fut celle de 1570.

    Du XIII° au XVI° siècle, les documents contemporains gardent le silence pour ainsi dire, sur les débordements de la Loire, tandis qu’ils constatent 13 grandes inondations de la Seine.

    Dans les années 1414,1427 ou 1428, et 1493, la Loire éprouva des crues énormes et exerça quelques ravages, en 1557 également et en 1567, le 28 mai, elle déborda encore, mais avec beaucoup plus d’intensité ; elle se réunit au Loiret ; Orléans et ses environs furent submergés, ce qui donna naissance, sans doute, à ce vieux dicton (lu dans un ouvrage de 1644 intitulé Les Rivières de France, par le sieur Coulon) :

    « Quand Loire et Loiret s’entretiennent,

    Il n’y a pas pays qu’ils ne tiennent ».

    La ville de Tours fut envahie par les eaux grossies de la Loire et du Cher, et une plaque en marbre, conservé dans la rue Saint-Etienne, atteste qu’elles atteignirent sur ce point une hauteur de plus d’un mètre. Dans la petite église de Saint-Mesmin, près d’Orléans, on voit aussi une inscription qui se rapporte à cette inondation :

    « L’an mil cinq cent soixante-sept,

    Du mois de mai le dix-sept

    En cette place et endroit,

    Se trouvèrent Loire et Loiret »

    En 1608, la Loire occasionna des désastres considérables, et vingt ans après, dans le mois de novembre 1628, ses eaux montèrent avec une rapidité telle, que plusieurs des hauts personnages de la cour de Louis XIII, qui revenaient du siège de la Rochelle, faillirent être victimes (M. le cardinal de Richelieu, le garde des sceaux et quelques autres) de cette crue extraordinaire.

    En 1663, une nouvelle inondation, plus violente encore.

    Ce fut vers cette époque que l’on commença à s’occuper sérieusement de l’établissement et de l’entretien des digues sur les principaux points du cours de la Loire les plus exposés, par leur situation topographique, à être engloutis sous les eaux.

    Les villes bâties sur le bord du fleuve, les vallées fertiles, furent mises à l’abri et garantie des débordements par des travaux d’art hélas pas toujours très efficaces. Déjà avant dans un Capitulaire de Louis le Débonnaire le problème de la protection est abordé. Les anciens rois avaient crée des commissaires pour veiller à la garde et surveillance des turcies et levées réalisées.

    Ces protections furent commencées sous Charlemagne, complétées par Henri II d’Angleterre, et refaites par Philippe de Valois, après son père, Charles de France. Louis XI en établit de nouvelles. En 1738, elles s’étendaient depuis Angers jusqu’à Nevers, sur la Loire, et le cours de l’Allier en était pourvu jusqu’à Vichy.

    « Leur largeur ordinaire, dans leur superficie, est de quatre toises ; celle de la base est proportionnée aux différentes hauteurs, de manière qu’une levée de douze pied de hauteur a douze toises de largeur dans le bas ; il faut excepter de cette règle les levées qui ne servent point de chemin, dont la largeur au-dessus est fixée à trois toises ».

    Elles n’empêchèrent pas complètement les inondations, qu’elles rendirent même plus dangereuses en quelque sorte, lorsque les eaux, se faisant irruption à travers les levées, venaient à les rompre, comme en 1641, où la Loire se réunit au Loiret, en1649 et 1651, où les vallées d’Anjou souffrir plus particulièrement ; en 1665, 1668, 1707, où tout le Val d’Orléans fut submergé ; en 1709, 1710,1711,1723, où les mêmes désastres se reproduisirent. En 1733, l’inondation atteignit des proportions immenses.  On s’aperçut à Orléans le 27 mai que la rivière croissait, le lendemain, on la vit encore grossir ; néanmoins cela ne causa pas beaucoup d’effroi durant la matinée, mais tout à coup sur les trois heures après midi, il vint un torrent d’eau qui donna en moins de deux heures 9 à 10 pieds de crue, qui augmenta jusqu'à 20.

    Les levées crevèrent en nombre d’endroit, depuis Roanne jusqu’à Orléans ; La ville fut inondée, la plupart de ses rue ressemblaient à autant de rivière, le pavé fut totalement enlevé par la violence de l’eau, quantité de maisons furent renversées, et les habitants, tant hommes que femmes et enfants, se retiraient tous dans les couvents et dans les églises, comptant y trouver plus de sureté et de secours, soit pour les tirer du périls, soit pour y recevoir des vivre, qu’on ne pouvait leur fournir que par les fenêtres des bâtiments.

    La rivière, entraînant tout ce qui se trouvait sur son passage, était couverte de bateaux vides et chargés, de bois de charpentes, de tonneaux de cercles, d’arbre, de moulins et d’autres débris qui abattirent quantité de ponts et qui firent infiniment craindre pour ceux d’Orléans.

    La ville de Tours se vit sur le point d’être totalement submergée ; il y avait dans l’église de Saint-Martin 8 pieds d’eau ; elle était dans la cathédrale à la hauteur du principal autel ; les habitants furent trois jours sans vivres, et la Loire, qui était déjà par-dessus les ponts, menaçait la ville d’une ruine entière, si pour la préserver on n’en avait pont détourné le cours, en faisant ouvrir la levée entre Montlouis et la Ville-aux-Dames, ce qui submergea aussitôt ce dernier bourg, sans pouvoir sauver ni habitants, ni bestiaux, ni effets.

    Crues importantes encore en 1788 et 1790.

    Au XIX° siècle crues en 1802, 1804, 1808,1809, 1825 (crue impétueuse), 1834, 1842, 1844, 1846 : terribles ravages que la Loire exerça alors du Puy jusqu’à Tours, la basse Loire ayant été épargnée.

    Le 17 octobre, grossie par une pluie incessante qui tomba pendant près de trois jours, elle atteignit, à Roanne, le niveau des plus hautes eaux ; dans la nuit, la digue fut emportée et la ville submergée ; plus de 200 maisons disparurent ou s’écroulèrent ; une partie d’Andrézieux fut emportée, ainsi que le chemin de fer. Le 19 octobre, Nevers fut également envahi par la Loire. En quelques heures, de minuit à trois heures du matin, elle monta de plus de 4 mètres. Le 20 à onze heures du soir, une crue inattendue se fit sentir à Orléans ; deux arches du viaduc du chemin de fer du Centre furent enlevées ; le 21 au matin, les eaux étaient de 6,5 mètres au-dessus de l’étiage. Dans la nuit, les levées cédèrent sur trois points à Jargeau, à Sandillon, à Saint-Privé, et l’eau, se précipitant par les brèches couvrit bientôt le Val entier.

    A Orléans, la basse ville fut saccagée par les flots, et des maisons s’affaissèrent. La Loire et le Loiret se confondirent, et le 22 les désastres continuèrent. Les bas quartiers de Blois furent inondés ; la gare d’Amboise et d’autres parties du chemin de fer d’Orléans à Tours furent gravement endommagées, plus de 4 kilomètres de la voie furent détruits. Il y eut aussi des dégâts épouvantables sur tout le cours de l’Allier.

    Tiré de l’ouvrage de Maurice Champion : « Les inondations du Rhône et de la Loire » 1856

    Il faudra attendre la mise en eau du barrage de Villerest en 1985 pour enfin pouvoir réguler la Loire.

     
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