• peintre grizonnet
     

    Illustration : « Balbigny – Le Port au temps des Mariniers »

    Tableau de F. GRIZONNET (1) (Exposition de Saint-Etienne 1937)

     

     

    LES MARINIERS DE LOIRE

     

    « Chantons la Loire et sa marine !

    Sur terre il n’est rien de pareil.

    En route, au lever du soleil.

    Chantons la Loire et sa marine ! »

     

         C’est avec ce refrain d’enthousiasme et de fierté que les « Roannards » se rendaient en l’église de Saint-Nicolas-de-Port au jour de la fête de leur saint patron, Saint Thomas l’Incrédule, précédés de leur bannière bleue à croix blanche et de leurs porte-avirons. Car, il y a un siècle, les mariniers de la Loire, de Saint-Rambert à Roanne, formaient non seulement une corporation mais un type bien spécial de Foréziens que personne n’aurait eu l’outrecuidance de mélanger avec « les planards », « les ventres-jaunes » ou les « gagas », voire les colporteurs dont la renommée de routiers descendait jusqu’aux foires de Beaucaire. Mais le chemin de fer a tué la race des mariniers il y a cent ans, en 1858 ; Que ces quelques lignes que nous leur dédions ne soient pas un simple commentaire sur leur vie passionnante, mais plutôt un hommage à la mémoire et à la gloire des Gens du Fleuve.

     

         En ces temps-là, le charbon de Saint-Etienne et de Rive-de-Gier gagnait Nantes par la voie fluviale. Amené par chariots à Saint-Rambert il embarquait sur la Loire et les mariniers foréziens conduisaient les embarcations jusqu’à Roanne via Balbigny, port important tant pour sa position géographique à l’entrée du saut de Pinay que pour ses berges élevées et la profondeur des eaux. Ainsi, vers 1838, cinq mille bateaux descendaient chaque année la Loire, à une époque où Balbigny ne comptait pas moins de trois cents mariniers. Nous allons essayer de revivre ensemble la vie prestigieuse des « gars de l’eau », comme eux-mêmes aimaient à se surnommer avec orgueil.

     

         Chaque jour, près de deux cents chariots à bœufs sont amenés, remplis de houille du bassin  stéphanois, au port de Saint-Rambert-sur-Loire. Là, de sommaires embarcations longues de vingt-sept mètres, sont fabriquées spécialement pour le transport du charbon dans des fûts de sapins provenant de Saint-Bonnet-le-Château et de toute la montagne venant du Haut-Forez. Baptisées « Saint-Rambertes » ou parfois « Sapines », ces péniches descendrons jusqu’à Nantes et seront laissées sur place, vendues par l’équipage qui reviendra en Forez par les poussiéreuses pataches que nos compatriotes empliront de leurs histoires paillardes racontées avec notre accent du terroir et notre patois aux termes particulièrement riches.

     

         La Saint-Ramberte chargée, deux hommes la conduisent jusqu’à Balbigny, sans grand-peine, au long de la calme Loire de la plaine. A Balbigny, trois hommes complémentaires devront parfaire l’équipage pour affronter les redoutables courants de Pinay et de la Roche, et les gorges de Saint-Priest et de Saint-Maurice, deux lieues et de Saint-Maurice, lieux redoutés des gens du fleuve qui devront serrer bien fort dans la poche de leur chemise la Vierge plate des mariniers.

     

         Ha ! Balbigny au temps des mariniers ! Quarante auberges grouillant d’une vie continuelle, tant de jour que de nuit, servant à toutes les heures le « zana », plat fortement épicé, où mijotaient plusieurs sortes de viandes et qu’on arrosait d’un vin non moins corsé. Car c’étaient de rudes gars, ceux de la marine, pittoresques avec leurs courtes blouses serrées dans une large ceinture de flanelle rouge, avec leurs chapeaux poilus à larges bords, leurs épais favoris descendant au long de leurs oreilles cerclées d’or (les armuriers et les marins portaient des boucles d’oreilles pour  conserver une excellent acuité visuelle) ; de rudes gars qui ne craignaient ni les intempéries, ni les filles, ni les propos gaillards. Aussi, lorsque la gendarmerie sera instaurée, la brigade ne s’installera-t-elle pas au canton, à Néronde, mais au port de Balbigny.

     

         Cependant la vie du marinier ne se passait pas seulement en franche ripailles et propos galants. Sous la conduite d’un « bonhomme » - telle était l’appellation traditionnelle du « capitaine » de saint-ramberte – les quatre navigateurs embarquent à jour piquant : à l’avant, deux hommes armés de longues perches ferrées, les « bâtons » ; à l’arrière deux autres pour éviter les écueils. Le gouvernail, longue latte assez sommaire que l’on nomme « l’empeinte », était manié par le bonhomme, maître à bord après Dieu.

     

         Et l’on descendait la Loire, par tous les temps, en hurlant les commandements : « Mer », c'est-à-dire à gauche côté de l’Océan, « Galerne », à droite, côté du continent. De sapine à saint-ramberte, de Roannard à Charabias (ceux du Velay) on interpellait les connaissances et le parler franco-provençal de nos pays répercutait ses échos dans les gorges. Galerne ! Hardi les gars de la Loire, Thomas est avec nous !

     

         Lors des grandes crues, l’activité sur le fleuve s’intensifiait malgré une navigation plus dangereuse. Mais les mariniers n’avaient pas peur, l’eau était leur élément et, si leur vie est aujourd’hui passée dans la légende des époques révolues, comme toute légende elle s’entoure de ses héros.

    Tant en novembre 1790 que les 17 et 18 octobre 1846 les mariniers eurent l’occasion de montrer leur courage. En 1846, l’eau du fleuve dépassa de deux mètres le niveau du vieux pont de Balbigny et c’est grâce à leur bravoure que de nombreux habitants eurent la vie sauve. Et aux veillées des bords de Loire, alors que se narrent les grands faits des temps anciens, on cite encore le nom des héros de ces journées, les mariniers Antoine Peillon, Pierre Peillon, Joseph Deschamps et quelques autres.

     

         Amis mariniers, si votre corporation, tuée par le progrès de la machine, ne donne plus vie à notre fleuve, nous les Foréziens, lorsque nous longeons notre Loire vers le chemin de halage qui nous conduit à Pinay, nous voyons encore dans notre rêve, les saint-rambertes glisser parmi les remous et notre mémoire, comme les rochers, répète encore votre fier refrain :

     

    « Eh non, il n’y  pas de marine

       En tous pays assurément,

       Semblable à l’origine

       A celle de la Loire, vraiment ! »

     

     Jean-Paul SORDET  (Almanach du Lignon et du Forez pour l’An 1957)

     

    « Ils arrivaient le soir quand l’eau était propice,

       En laissant au fleuve le soin de les porter ;

                    Ils couchaient dans nos murs,

        Puis, bien avant le jour, reprenant leur office,

        Une bourde à la main, contournaient les rochers »

     

                                                        (Les Mariniers de la Loire)

     

     (1) Francisque GRIZONNET :

     

    « Grizonnet  a pour son pays de Loire le même culte qu’avait Guillaumin pour la Creuse. Il y prend toute son inspiration, le peint avec amour, et l’évoque avec une sincérité pleine de tendresse et de poésie.

     

    Au dernier Salon des Arts du Forez, Francisque Grizonnet était représenté par cinq toiles : « Balbigny.- Le Ports du temps des Mariniers », « La Loire à Vourdia », « Le matin à l’étang d’Hormais », « Pouilly-les-Feurs (Port Sud) et « Le Mois de Marie à l’atelier ». Dans toutes, on retrouve ce style souple, la fraîcheur des tons et leur précieux arrangement, témoins des qualités de ce peintre honnête et subtil à la fois, qui ne triche jamais, mais qui voit la nature en poète.

     

    Le Salon de Saint-Etienne paraît bien petit pour Francisque Grizonnet ! Mais celui-ci se soucie trop peu du succès, il ne pense qu’au plaisir de peindre.

     

                                       « La Revue Moderne Illustrée des Arts et de la Vie », Paris  (N° 3. 15 février 1937)


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